Kering : retour d’un « pure player » sur le luxe

Par The Conversation
20 janvier 2018 08:00 Mis à jour: 3 mai 2021 12:14

Kering a annoncé le 11 janvier 2018 sa volonté de se recentrer sur son activité luxe en distribuant 70 % du capital de Puma, sur les 86,3 % actuellement détenus par le groupe. Quelles sont les motivations de cette transaction ? Et pourquoi une distribution d’actions à ses actionnaires plutôt qu’une vente ?

Recentrage sur le luxe

Le groupe Kering (12,385 milliards d’euros de chiffre d’affaires au 31 décembre 2016 et environ 36 000 collaborateurs) a initié une transformation stratégique à partir de 2005, évoluant d’un conglomérat tourné vers la distribution grand public en France et en Europe (Le Printemps, la Redoute, Conforama, la Fnac…) vers un groupe de luxe à dimension internationale complété par des marques de sport et lifestyle. Afin de confirmer cette transformation, le groupe Printemps-Pinault-Redoute est devenu PPR en 2005 puis a changé à nouveau de nom en 2013 pour devenir Kering. Il s’est alors désengagé de ses activités grand public en cédant progressivement les différentes sociétés de distribution qu’il détenait et en réalisant l’introduction en bourse de la FNAC en 2013.

Depuis son entrée dans l’univers du luxe en 1999 avec l’acquisition de Gucci Group NV, Kering a développé un groupe multimarques par croissance externe en acquérant d’autres Maisons emblématiques comme Yves Saint-Laurent, Boucheron, Pomellato… Fin décembre 2016, Kering regroupait deux activités : une activité luxe et une activité sport et lifestyle. Kering est aujourd’hui un des leaders mondiaux du luxe. Selon l’étude « Deloitte Global Powers of Luxury Goods 2017 », le groupe se classe cinquième au niveau mondial (base année fiscale 2015). Présent dans la mode, la maroquinerie, la joaillerie et l’horlogerie, il dispose de plus de 20 marques dont les plus connues sont Gucci, Yves Saint-Laurent, Bottega Veneta, Balenciaga, Alexander McQueen, Boucheron, Ulysse Nardin. En parallèle, Kering a également développé une activité sport et lifestyle avec Puma, Volcom et Cobra. Kering a acquis une participation de contrôle dans Puma à partir de 2007 et détient à présent 86,3 % des parts de Puma via la holding Artémis.

Une cession en vue d’améliorer la rentabilité du groupe

Porté par les excellentes performances annoncées le 24 octobre pour le troisième trimestre 2017 (hausse du chiffre d’affaires du groupe de 28,4 % en données comparables et plus particulièrement imputables à son activité luxe), Kering officialise ainsi son intention de se recentrer sur le luxe. Ce marché mondial, estimé à 860 milliards d’euros en 2016 selon l’étude True Luxury Global Consumer Insight 2017 du BCG, pourrait même croître jusqu’en 2023 pour atteindre les 1 187 milliards d’euros. Dans son document de référence 2016, Kering indique s’attaquer à un marché représentant 249 milliards d’euros en 2016. Ce marché offre donc de très belles perspectives de développement, même s’il est en légère baisse de 1 % en 2016.

Sur le 3e trimestre 2017, les ventes de l’activité luxe ont progressé de 32,3 % drainées par la hausse des revenus de 22,2 % de la Maison Yves Saint Laurent et surtout par les ventes de Gucci en progression de 49,4 % en données comparables. Une performance exceptionnelle reflétant le succès des créations d’Alessandro Michele. Le directeur artistique de Gucci a réussi à donner une nouvelle impulsion à la Maison avec son souci d’innovation permanent, son côté excentrique et sa capacité à toucher des clientèles très variées (géographie, âge…)avec une stratégie omnicanal. Les ventes de l’activité luxe ont peut-être aussi été portées par l’engagement clairement affiché de Kering et de Gucci en matière de responsabilité sociétale et environnementale. Le développement durable est un autre pilier de la stratégie de Kering et de ses marques. Le groupe a même lancé un Compte de Résultat Environnemental (EP&L) ou, pour le grand public, des initiatives comme celle de bannir toute fourrure animale des collections Gucci à partir de 2018. Une annonce qui a fait beaucoup de bruit en octobre 2017, et ciblait tout particulièrement les milleniums.

D’après le communiqué de presse :

« Le projet permettrait à Kering de renforcer son statut de pure player du luxe, avec un niveau de profitabilité accru, positionnant le groupe parmi les meilleurs de son secteur. Kering a pour ambition de continuer à faire croître et à développer l’ensemble de ses maisons de luxe dans la couture, la maroquinerie, la joaillerie et l’horlogerie en s’appuyant sur sa génération de cash-flow élevée et sa situation financière solide. »

En effet si l’on se penche sur le document de référence 2016, il apparaît clairement que l’activité luxe est beaucoup plus rentable que l’activité sport et lifestyle. Ainsi la première contribue pour 94 % au résultat opérationnel de 2,1 milliards d’euros pour le groupe, contre seulement 6 % pour la seconde, alors qu’elles représentent respectivement 69 % et 31 % du chiffre d’affaires. De même l’activité luxe présente un taux de marge opérationnelle courante de 22,9 %, contre seulement 3,2 % pour l’activité sport et lifestyle. L’annonce de la distribution d’actions Puma a été saluée par les marchés financiers. L’action Kering a franchi les 408,9 euros le 12 janvier 2018 et plusieurs analystes ont relevé leurs objectifs de cours sur Kering.

Création de valeur de Puma : des bénéfices pour les actionnaires

Même si le taux de marge opérationnelle courant reste nettement en dessous de celui de l’activité luxe pour 2016, les efforts entrepris par la direction actuelle de Puma commencent à porter leurs fruits. L’endettement financier (dettes financières sur capitaux propres) du groupe est très faible, à 2,36 % fin 2016, et même négatif si on prend en compte la trésorerie disponible. Puma, qui a longtemps tiré la rentabilité de Kering à la baisse, semble avoir retrouvé des couleurs. La marque a affiché de bonnes performances sur le troisième trimestre 2017, avec une hausse de ses ventes de 17,3 % en comparable à 1 125,7 millions d’euros. Les chaussures comme les accessoires connaissent une croissance à deux chiffres.

La marque Puma semble prête à gagner des parts de marchés sur ses concurrents. (davitydave/VisualHunt)

Puma lance de nouvelles collections prometteuses avec des produits innovants comme la Puma One et développe encore ses partenariats avec des idoles des jeunes telles que Selena Gomez (actrice, chanteuse…), extrêmement active sur les réseaux sociaux, Rihanna ou Kylie Jenner. Cette stratégie cible les milleniums et vise à prendre en compte les attentes d’une nouvelle génération de consommateurs dans les pays matures et émergents. Une opération qui interviendrait donc au bon moment, dans un contexte de croissance de ventes, ce qui devrait permettre à l’équipementier allemand de gagner quelques parts de marché face à ses concurrents Adidas et Nike.

Pourquoi une distribution d’actions plutôt qu’une vente ?

Au cours de 333 euros le 15 janvier 2018, la valorisation de Puma était légèrement en dessous des 5 milliards d’euros (Infront Analytics). On peut donc se demander pourquoi Kering ne tente pas de mettre en vente Puma, qui pourrait lui apporter une confortable entrée de liquidités. Si les modalités n’ont pas encore été précisément définies et sont soumises à la décision des actionnaires le 26 avril 2018, la distribution d’actions en nature aux actionnaires de Kering nous paraît être une option tout à fait en ligne avec la nouvelle stratégie du Groupe, à savoir promouvoir une croissance organique (du moins à court terme) affichant un engagement particulier sur le développement durable.

Avec un endettement financier net (dettes financières – disponibilités)/capitaux propres relativement modéré (à environ 36,5 % fin 2016) et un cash-flow opérationnel qui progresse d’année en année (660 millions d’euros en 2015, 1,2 milliard d’euros en 2016), Kering ne présente pas de besoin massif de liquidités, surtout si le groupe n’envisage pas d’opération majeure de croissance externe.

En outre, selon le communiqué de presse du 11 janvier 2018, à l’issue de l’opération

« Kering conserverait environ 16 % des actions Puma en circulation. Artémis qui détient 40,9 % du capital de Kering, deviendrait un actionnaire stratégique de long terme de Puma avec une participation d’environ 29 %. Le flottant de Puma atteindrait environ 55 %. »

Ce choix permettrait de confirmer la confiance que Kering a dans les perspectives d’évolution et de création de valeur de Puma. Néanmoins si, à court terme, Kering envisageait une opération de croissance externe ou si une opportunité se présentait, il nous semblerait judicieux d’envisager la vente d’une partie des actions, le cours ayant sensiblement progressé depuis octobre 2017 et ayant même franchi les 377,1 euros en décembre 2017.

L’activité luxe connaît une croissance remarquable, comme nous l’avons indiqué, et affiche une hausse de 80 % de ses ventes en ligne, selon le communiqué du 24 octobre 2017. Le recentrage vers le luxe prend donc tout son sens, porté par les créations, l’audace et l’innovation dont fait preuve Kering. Il semblerait que le groupe s’oriente vers une croissance organique et attache de plus en plus d’importance à sa stratégie digitale comme en témoigne la nomination le 4 décembre 2017 de Grégory Boutté comme Chief Client & Digital Officer. Toutefois, afin d’accompagner Kering dans sa transformation digitale et d’accélérer son développement, une entrée de liquidités pourrait tout de même être bienvenue, surtout si le groupe envisage de monter en puissance face à son principal rival LVMH. Rappelons-le, Kering (PPR à l’époque) avait arraché Gucci à LVMH au début des années 2000, après deux ans de lutte acharnée. Il conviendra donc de suivre avec attention les modalités définitives de l’opération relative à la cession de Puma, qui pourraient bien évoluer et se traduire par une vente d’actions dans le futur.

Isabelle Chaboud, Professeur associé d’analyse financière, d’audit et de risk management, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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