La danse à travers les âges

Représentations historiques de l'allégorie au cérémonial

Par Michelle Plastrik
14 juillet 2023 01:48 Mis à jour: 14 juillet 2023 01:48

Les représentations picturales de la danse comptent parmi les œuvres les plus belles et les plus appréciées de l’histoire de l’art. Des exemples célèbres illustrent ce thème dans différents styles, notamment la peinture d’histoire, le portrait et les scènes de genre. Ils montrent des personnages mythiques, des aristocrates et des roturiers engagés dans un mouvement rythmique corporel, expression primordiale de notre humanité.

« Danse sur la musique du temps »

Danse sur la musique du temps, entre 1634-1636, par Nicolas Poussin. Huile sur toile ; 82,3 cm par 103,8 cm. Collection Wallace, Londres. (Domaine public)

Le peintre français du XVIIe siècle Nicolas Poussin (1594-1665) est considéré comme l’un des plus importants artistes baroques. Il est considéré comme le « père du classicisme français », bien qu’il ait passé la plus grande partie de sa carrière à Rome. Parmi ses prestigieux mécènes figurent le roi de France Louis XIII, le roi d’Espagne Philippe IV et le cardinal de Richelieu.

Poussin était un fervent admirateur des principes classiques de l’art antique ; il aspirait à en atteindre leur pureté, leur noblesse, leur formalité, leur érudition et leur structure dans ses compositions précises. Les figures dansantes de la sculpture antique l’inspiraient tout particulièrement. Elles lui ont fourni un support élégant et sophistiqué pour explorer de manière innovante le mouvement dans ses peintures d’histoire. Il a réalisé une série de peintures sur le thème de la danse, la plus éminente étant Danse sur la musique du temps. Elle a été réalisée à la demande de Giulio Rospigliosi (futur pape Clément IX) et fait aujourd’hui partie de la Wallace Collection.

Dans la Danse sur la musique du temps, les personnages principaux sont en mouvement perpétuel, mais Poussin parvient à créer un sentiment d’immobilité d’un autre monde grâce à l’harmonie des couleurs et des lignes. Il s’agit d’une peinture allégorique située dans un paysage pastoral, dont la signification exacte est ouverte à l’interprétation. Le sujet est tiré d’un extrait des Dionysiaques de Claude Boitet de Frauville, qui évoque les saisons et les dieux Jupiter et Bacchus. Les figures circulaires qui se tiennent par la main peuvent être considérées comme les saisons qui dansent, tandis que le Père Temps ailé, à droite, joue de la lyre. Un socle à gauche est surmonté des têtes sculptées d’un Bacchus jeune et d’un Bacchus plus âgé.

Cette peinture symbolise également les différents états de la condition humaine, avec les figures dansantes qui tourbillonnent rythmiquement et perpétuellement à travers le cycle de la vie. Ces figures représentent la Pauvreté, le Travail, la Richesse et le Plaisir ; poussé à l’excès, le Plaisir conduit à la Pauvreté.

Détail du cycle de la fortune : pauvreté, travail, richesse et plaisir. Le Plaisir (à gauche) sourit en tenant la main de la Pauvreté (l’homme tourne le dos au spectateur) tandis que la Richesse tient à contrecœur la main du Travail (à droite). (Domaine public)

Les danseurs les plus en vue et les plus éclairés des quatre sont la Richesse et le Plaisir. La Richesse, la dame en jaune, porte des vêtements en soie grège (deux fils colorés ou plus produisant une apparence irisée) et des perles dans les cheveux.

Plaisir est couronné d’une guirlande de fleurs et de robes fluides, que son expression séduisante accentue. De chaque côté de la toile se trouve un putto (garçon joufflu). L’un tient un sablier et l’autre fait des bulles, tous deux rappelant la brièveté de la vie. La vignette en haut de la toile montre l’Aurore (l’aurore) en train de traverser le ciel matinal en procession. Elle est suivie par le dieu du soleil Apollon, monté sur son char, et par les Heures, ce qui renforce le sentiment du temps qui passe.

Détail de l’Aurore menant un cortège dans le ciel du matin, d’après la Danse sur la musique du temps de Poussin. (Domaine public)

« La Camargo dansant »

L’art du ballet a atteint son apogée en France vers le milieu du XVIIe siècle. À l’origine, il était surtout pratiqué par les aristocrates de la cour et se résumait à la célébration de thèmes classiques anciens. Le Roi Soleil Louis XIV était lui-même un danseur talentueux et passionné.

Louis XIV, dans le rôle d’Apollon le Roi-Soleil, dans Le ballet de la nuit, 1653, par Henri de Gissey. (Domaine public)

Peu à peu, les femmes jouent un rôle plus important dans le ballet. Au XVIIIe siècle, l’une des plus grandes étoiles de cette première génération de danseuses professionnelles est Marie de Camargo (1710-1770), qui se produit dans le ballet de l’Opéra de Paris. Marie de Camargo était réputée pour ses qualités athlétiques et son génie technique qui rivalisaient avec celles des danseurs masculins, et elle a enrichi le répertoire de l’époque avec de nouveaux pas. Pour faciliter son jeu de jambes actif, elle raccourcissait la jupe de ses costumes et a peut-être été l’une des premières danseuses de ballet à porter des pantoufles au lieu de chaussures à talons. De ses chaussures à ses coiffures, elle était à l’avant-garde de la mode.

La Camargo fut une muse pour l’artiste Nicolas Lancret (1690-1743), qui réalisa plusieurs peintures d’elle qui furent ensuite transformées en gravures. Le tableau le plus célèbre de cette série est le premier qu’il a réalisé, La Camargo dansant. Elle fait aujourd’hui partie de la National Gallery of Art.

La Camargo dansant, vers 1730, par Nicolas Lancret. Huile sur toile ; 76,2 cm par 106,6 cm. National Gallery of Art, Washington, D.C. (Domaine public)

Lancret était un disciple très talentueux d’Antoine Watteau et il peignait lui aussi des « fêtes galantes » ou des œuvres de petite taille montrant des groupes d’hommes et de femmes élégants magnifiquement vêtus dans un décor de parc. Cependant, Lancret a développé son propre style, créant des scènes qui font plus directement référence à la société contemporaine et utilisant des couleurs plus vives et plus audacieuses. Ses œuvres sont très appréciées et entrent dans des collections telles que celle de Versailles et celle de Frédéric le Grand à Sanssouci, à Potsdam, où La Camargo dansant a élu domicile pour la première fois. Il a inspiré d’autres artistes, dont François Boucher, William Hogarth et Thomas Gainsborough.

La composition de La Camargo dansant met en scène des spectateurs élégants placés dans une courbe en « S » complexe qui accentue le mouvement du couple de danseurs exécutant un pas de deux. Ils dansent sur une musique jouée par des instrumentistes partiellement dissimulés par des arbres sur la gauche. Lancret a peint une scène de fête galante, mais c’est aussi un portrait contemporain.

Détail des danseurs dans La Camargo dansant, vers 1730, par Nicolas Lancret. (Domaine public)

La Camargo, toujours en talons, porte une robe bleu glacier ornée de fleurs bleues, roses et or qui tombent de sa jupe à son ourlet. Cela attire le regard du spectateur sur son jeu de jambes en position de ballet en demi-pointe. Dans ce paysage verdoyant, même les arbres sont gracieux – hauts avec des troncs élancés qui donnent de l’ombre. Un socle de pierre surmonté d’une tête coiffée d’une couronne de laurier fait référence à l’époque classique et rappelle la statue de la Danse sur la musique du temps de Poussin. La fontaine à droite, avec son doux jet d’eau, contribue à la qualité idyllique de la forêt. Lancret ne se contente pas de fusionner théâtralité et paysage, il crée de la poésie.

« La danse nuptiale »

La danse nuptiale, 1525-1569, par Pieter Bruegel l’Ancien. Huile sur panneau de bois ; 119,3 cm par 157,4 cm. Institut des arts de Détroit. (Domaine public)

L’œuvre de l’artiste du XVIe siècle Pieter Bruegel l’Ancien (vers 1525-1569) constitue un contrepoint aux peintures décoratives de danses raffinées et codifiées. Il est connu sous le nom de « Bruegel le paysan » pour ses représentations complexes, détaillées et non idéalisées de la vie quotidienne des paysans des Pays-Bas (dans ce qui est aujourd’hui la Belgique), basées sur des observations directes. Les détails biographiques concrets sont rares, mais il était le membre le plus accompli d’une famille artistique multigénérationnelle – ses fils comprennent les artistes de premier plan, Pieter Brueghel le Jeune et Jan Brueghel l’Ancien – et sa renommée et son influence se sont propagées grâce à la vente d’estampes d’après ses œuvres.

L’une de ses peintures les plus populaires est la fougueuse Danse nuptiale, conservée au Detroit Institute of Arts. Il s’agit de l’une des trois seules grandes peintures de Bruegel conservées dans un musée américain. Elle montre une scène de jovialité lors d’une célébration de mariage dans une forêt. La mariée, vêtue de noir comme c’était la coutume à l’époque, danse avec ses invités désinhibés tandis qu’un joueur de cornemuse, à droite, joue. Les personnages sont modelés avec des traits simples et larges. L’utilisation importante de lignes courbes pour les individus et la formation des groupes amplifie le mouvement tourbillonnant de l’image. Cette impression de mouvement est encore renforcée par les couleurs vives choisies par Bruegel, bien que certaines d’entre elles se soient dégradées avec le temps. Une analyse scientifique récente montre que bon nombre des gris rougeâtres et des bruns actuellement visibles étaient à l’origine une couleur bleu violet obtenue en broyant du verre de cobalt. Il s’agissait d’un pigment instable qui, de nos jours, a pris une couleur poussiéreuse.

Détails de la mariée (à gauche) et du violoniste dans La danse nuptiale de Pieter Bruegel l’Ancien. (Domaine public)

L’analyse scientifique de La danse nuptiale fait l’objet de débats, à l’instar de nombreuses œuvres de Bruegel, révélant la complexité et l’originalité de son travail. Les interprétations sont multiples, allant de la leçon de morale à la prise de position politique. Dans le premier cas, on pourrait y voir un avertissement didactique sur le fait qu’un comportement rustre et dissipé conduit au péché.

Une autre interprétation est qu’il s’agit d’une réfutation de l’oppression du protestantisme par le roi catholique espagnol dans ses provinces néerlandaises. De nombreux paysans pratiquant le protestantisme, Bruegel réfute peut-être les pouvoirs royaux en célébrant un type de réjouissance désapprouvé par le catholicisme de l’époque. Indépendamment des interprétations divergentes, on s’accorde à dire que cette peinture n’est pas une simple recréation d’une scène de danse de la vie quotidienne, mais qu’elle met en évidence l’humour et l’esprit de l’artiste, ainsi que des significations plus profondes.

Ces trois tableaux ont chacun contribué à la renommée de certains de nos contemporains. Le tableau de Poussin a inspiré à l’écrivain Anthony Powell, au XXe siècle, le cycle romanesque en 12 volumes du même nom, qui a connu un grand succès. La représentation de Camargo par Lancret a servi de modèle à l’une des broches de ballerine de la société française de joaillerie Van Cleef & Arpels. Cette série, commencée dans les années 1940, a peut-être inspiré George Balanchine pour la chorégraphie de son magnifique ballet Jewels de 1967, toujours présenté aujourd’hui. Enfin, lorsque le Detroit Institute of Arts a dû vendre sa collection en raison de la crise de la faillite de la ville de Détroit, La danse nuptiale de Bruegel a joué un rôle prépondérant dans la sauvegarde de la collection.

Chaque tableau continue de « danser », inspirant les artistes et ravissant les spectateurs.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.