La stratégie coercitive de la Chine en mer de Chine méridionale menace la stabilité de l’Indo-Pacifique

Des navires des garde-côtes chinois ont tiré des canons à eau sur un navire affrété par la marine philippine lors d’une mission de ravitaillement de routine auprès des troupes stationnées à Second Thomas Shoal, en mer de Chine méridionale, le 5 mars 2024
Photo: Ezra Acayan/Getty Images.
La Chine utilise des canons à eau et un prétexte environnemental pour tenter de légitimer son contrôle de facto sur certaines parties de la mer de Chine méridionale, une stratégie qui, selon les experts, menace d’affaiblir la souveraineté régionale, d’éroder le droit maritime et de déstabiliser la région indo-pacifique.
Le 16 septembre, un navire philippin a été pris pour cible par les canons à eau des navires des garde-côtes chinois près du récif contesté de Scarborough Shoal, en mer de Chine méridionale.
L’attaque a provoqué d’importants dégâts à un navire de pêche, a indiqué Jay Tarriela, porte-parole des garde-côtes philippins, dans une publication sur LinkedIn, ajoutant qu’un membre d’équipage avait été blessé par des éclats de verre causés par le jet d’eau.
Les garde-côtes chinois ont défendu l’opération, un porte-parole déclarant dans un communiqué que leurs navires avaient pris des « mesures de contrôle » contre les navires gouvernementaux philippins accusés d’avoir pénétré dans ce que Pékin considère comme ses eaux territoriales (source).
Un tribunal de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye avait pourtant statué en 2016 que les vastes revendications de la Chine en mer de Chine méridionale, dont la « ligne des neuf traits », n’avaient aucun fondement juridique et que ses actions dans les eaux philippines étaient illégales.
Un effet glaçant
Ces agressions ont un impact direct sur le terrain, affirment des experts.
Lucio Pitlo III, président de la Philippine Association for Chinese Studies (PACS), a déclaré à Epoch Times qu’à mesure que Manille continue d’encourager ses pêcheurs à exercer leur activité autour du récif et à leur apporter protection et ravitaillement, les provocations récentes de Pékin « pourraient avoir un effet dissuasif ».
« Je ne m’attends pas à ce que le gouvernement philippin recule sur la question, mais il est certain que cela aurait un impact immédiat sur les pêcheurs, privés de leur gagne-pain », explique M. Pitlo.
Au-delà de l’impact immédiat pour les pêcheurs locaux, M. Pitlo prévient que de telles confrontations dégradent aussi la relation bilatérale globale entre Manille et Pékin.
La guerre juridique environnementale menée par la Chine
Cette confrontation s’inscrit dans une stratégie à plusieurs volets, incluant également des tactiques juridiques pour soutenir ses revendications.
Le 9 septembre, la Chine a adopté un projet controversé de réserve naturelle en mer de Chine méridionale, marquant une rupture nette avec les précédents internationaux et suscitant la condamnation diplomatique de Manille.
La réserve désignée sur le récif de Scarborough s’étend sur 3.500 hectares (8 650 acres), censée, selon les autorités, « protéger l’écosystème » et maintenir « diversité, stabilité et durabilité ».
Vincent Kyle Parada, ancien analyste de la défense pour la marine philippine, a déclaré à Epoch Times que cette initiative chinoise constitue « un exemple clair de ce que nous appelons la guerre juridique ».

Vue aérienne du récif de Scarborough dans la mer de Chine méridionale, zone contestée, le 15 février 2024. (Jam Sta Rosa/ AFP via Getty Images)
Il explique que l’objectif de Pékin est de « présenter son occupation du récif de Scarborough comme une activité légitime sous couvert de protection de l’environnement et d’application du droit maritime ». De cette façon, les autorités chinoises pourraient présenter toute tentative philippine d’affirmation de leur souveraineté et de leur intégrité territoriale comme des intrusions dans une zone protégée, « inversant fondamentalement la narration au détriment de Manille ».
Même si certains pays utilisent le droit à des fins stratégiques, « ce qui distingue la tentative actuelle de la Chine, c’est une déformation délibérée du droit », affirme-t-il.
« Pékin est à l’origine de dommages environnementaux irréparables en mer de Chine méridionale, que ce soit par une pêche non réglementée et non déclarée, par des activités de construction d’îles ou d’autres pratiques destructrices », ajoute M. Parada.
Conscient que la plupart des pays en ont déjà pris acte, M. Parada juge que l’effort chinois vise surtout à renforcer la narration interne plus qu’à gagner la bataille de réputation sur la scène internationale.
Un défi pour l’Indo-Pacifique
Hunter Marston, chargé de recherche associé au Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Washington, met en garde : les récentes tentatives de Pékin d’occuper des territoires philippins démontrent que le régime chinois fait peu de cas du droit international.
« La gravité de la situation a été pleinement révélée : l’occupation par la Chine du récif de Scarborough, qui se trouve dans la zone économique exclusive des Philippines, montre la capacité de Pékin à saper activement la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dont elle est pourtant signataire », confie M. Marston à Epoch Times.
M. Marston précise que la Chine pourrait étendre sa présence dans toute la mer de Chine méridionale, constituant ainsi une menace majeure pour l’Indo-Pacifique. « La Chine peut franchir le Pacifique et éroder progressivement la souveraineté d’États côtiers comme les Philippines, sapant ainsi la capacité des États-Unis à défendre leurs alliés », observe-t-il.

Un hélicoptère de la marine chinoise vole à proximité d’un avion du Bureau philippin des pêches et des ressources aquatiques au-dessus du récif de Scarborough, en mer de Chine méridionale, le 18 février 2025. (Ezra Acayan/Getty Images)
M. Marston ajoute que ce type de comportement chinois risque également de remettre en cause la garantie américaine de la liberté de navigation — principe fondamental pour les grandes puissances mondiales et l’économie internationale — en mer de Chine méridionale.
L’alliance États-Unis–Philippines en action
Le 12 septembre, le secrétaire d’État américain Rubio a dénoncé directement le projet de réserve sur les réseaux sociaux. « Il s’agit d’une nouvelle tentative coercitive pour faire avancer les intérêts chinois au détriment de ses voisins et de la stabilité régionale », a-t-il écrit sur X, réaffirmant la position de Washington aux côtés de Manille.
MaryKay L. Carlson, ambassadrice des États-Unis aux Philippines, a soutenu cette position : le 16 septembre, elle a affirmé sur X que les États-Unis condamnaient les agissements agressifs de la Chine sur le territoire philippin et saluaient « les efforts du gouvernement philippin pour protéger les pêcheurs et défendre le droit maritime dans l’intérêt d’un #FreeAndOpenIndoPacific. »
M. Pitlo, président du PACS, également chercheur à l’Asia Pacific Pathways to Progress Foundation, confirme que les États-Unis et leurs alliés considèrent les agissements de la Chine comme une violation des normes internationales et n’accepteront sans doute pas que Pékin transforme des zones de pêche traditionnelles en régimes d’exclusion.
« Je pense que les États-Unis et les Philippines contesteront ce projet sur le plan diplomatique par des protestations, des communications officielles, ainsi que par des déclarations publiques dans les médias, et simultanément par des actions sur le terrain », détaille M. Pitlo.
M. Marston du CSIS indique que cette stratégie de confrontation avec Pékin est déjà consolidée à travers les piliers fondamentaux de l’alliance, notamment l’Accord renforcé de coopération de défense, qui permet aux forces armées américaine et philippine de s’entraîner ensemble et de répondre à des crises locales.
« La priorité absolue des Philippines en matière de sécurité nationale est d’empêcher les incursions chinoises dans ses eaux territoriales. C’est pourquoi les États-Unis ont transféré du matériel militaire et pris des dispositions en matière d’aide à la défense des Philippines », poursuit-il.
M. Marston conclut que ces actions concrètes, conjuguées aux prises de parole des officiels américains, s’inscrivent dans la doctrine plus large des États-Unis visant à préserver leur primauté dans le Pacifique.
« Les États-Unis se portent au secours de leurs alliés et partenaires, avec pour objectif essentiel de dissuader la Chine et de l’empêcher d’étendre sa présence territoriale en mer de Chine méridionale, ce qui porte atteinte à des intérêts américains fondamentaux comme la liberté de navigation et de commerce », affirme M. Marston.

Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.
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