L’expansion militaire chinoise et le soutien à la Russie aggravent le conflit structurel avec les États Unis, selon des analystes
Alors que Xi vante une relation stable avec Washington, les actes de Pékin racontent une tout autre histoire.
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Un homme manœuvre un chargeur frontal pour déplacer de la terre contenant des minerais de terres rares destinés à l’exportation vers le Japon, dans un port de Lianyungang, dans la province du Jiangsu, en Chine, le 5 septembre 2010. La Chine détient un quasi monopole sur l’industrie des terres rares, de l’extraction et du raffinage jusqu’à la fabrication d’aimants.
Photo: Montage Epoch Times, STR/AFP via Getty Images
Alors que le dirigeant chinois Xi Jinping met en avant la stabilité des relations après son entretien téléphonique avec le président américain Donald Trump, des analystes avertissent que l’agressivité de Pékin dans l’Indo‑Pacifique et la militarisation des chaînes d’approvisionnement trahissent des ambitions fondamentalement incompatibles avec celles des États‑Unis et des démocraties occidentales.
« Je viens d’avoir un très bon entretien téléphonique avec le président Xi… Nos relations avec la Chine sont extrêmement solides ! », a déclaré Donald Trump dans un message publié le 24 novembre sur Truth Social, ajoutant qu’ils avaient abordé de nombreux sujets, dont la guerre Russie‑Ukraine, le fentanyl et les produits agricoles.
Le média d’État chinois CGTN a confirmé la conversation, mais a insisté sur le fait que le « retour » de Taïwan à la Chine faisait partie intégrante de l’ordre international d’après‑guerre, mettant en lumière un décalage flagrant entre les deux récits.
Xi Jinping a aussi affirmé que les relations entre Pékin et Washington avaient globalement suivi « une trajectoire stable et positive » depuis sa rencontre avec Donald Trump en Corée du Sud, le 30 octobre.
Mais si Xi vante une relation stable avec Washington, les actes de Pékin suggèrent tout le contraire.
La mer de Chine méridionale reste un point chaud
La marine philippine a indiqué le 25 novembre qu’au moins 30 navires chinois s’agglutinaient autour de récifs contestés en mer de Chine méridionale (mer des Philippines occidentales) au 24 novembre, menaçant la stabilité de l’Indo‑Pacifique et défiant directement les intérêts américains dans la région.
Les tensions entre Pékin et Manille se sont encore aggravées depuis septembre, lorsque la Chine a autorisé la création d’une réserve naturelle nationale sur le banc de Scarborough, dans la mer de Chine méridionale, un secteur disputé, consolidant ainsi sa présence et exacerbant la confrontation maritime en cours.
Évoquant les inquiétudes suscitées par les activités militaires chinoises autour de Taïwan et en mer de Chine méridionale, le secrétaire américain à la Guerre, Pete Hegseth, a déclaré lors d’une conférence de presse conjointe à Tokyo, le 29 octobre, que la Chine menait une « montée en puissance militaire sans précédent » et des « actions militaires agressives » dans l’Indo‑Pacifique.
Wang Hung‑jen, directeur exécutif de l’Institut de recherche sur les politiques nationales de Taïwan, a averti que, même si la question de la mer de Chine méridionale n’avait pas été explicitement évoquée lors de l’appel Trump‑Xi, elle demeure un point de friction majeur, les constructions d’îlots artificiels par Pékin et ses accrochages avec Manille faisant peser un risque immédiat sur les forces américaines opérant dans la zone.
« Depuis les administrations Obama et Biden jusqu’aux deux mandats de Donald Trump, la méfiance américaine à l’égard de la Chine n’a jamais cessé d’exister, qu’il s’agisse de la hausse des dépenses militaires chinoises ou de son comportement en mer de Chine méridionale ; tout cela constitue autant de défis concrets pour les États‑Unis », a expliqué M. Wang à Epoch Times.
Un navire chinois manœuvrant près du navire BRP Datu Tamblot du Bureau philippin des pêches et des ressources aquatiques (BFAR) près du récif de Scarborough, contrôlé par la Chine, dans les eaux contestées de la mer de Chine méridionale, le 16 février 2024. (TED ALJIBE/AFP via Getty Images)
La question taïwanaise
Selon M. Wang, Xi Jinping a essentiellement utilisé son entretien avec Donald Trump à des fins de propagande intérieure, présentant Taïwan – une démocratie autonome revendiquée par Pékin, qui n’a pas renoncé à recourir à la force pour la placer sous son contrôle – comme une affaire purement interne, tandis que le silence de Donald Trump sur ce point souligne un conflit stratégique de fond autour de Taïwan.
« Du point de vue américain, la position de Pékin n’est rien d’autre que sa propre interprétation, alors que Washington a une lecture distincte de la question taïwanaise, qui diverge de la vision unilatérale de la Chine », poursuit M. Wang.
Dans le même esprit, Tsai Jung‑hsiang, professeur de science politique à l’Université nationale Chung Cheng, à Taïwan, estime que de simples conversations téléphoniques ne peuvent pas résoudre des antagonismes structurels alimentés par l’expansionnisme chinois, intrinsèquement incompatible avec le rôle de Washington dans le maintien de l’ordre en Indo‑Pacifique.
Depuis l’entrée en fonction du président taïwanais Lai Ching‑te, les manœuvres militaires chinoises se poursuivent sans discontinuer, montrant que Pékin entend recourir à la coercition militaire pour imposer une invasion, a‑t‑il observé, en ajoutant qu’il est illusoire d’espérer un consensus sino‑américain sur la souveraineté de Taïwan via de simples appels ou négociations, Donald Trump refusant catégoriquement d’entériner la narration unilatérale de Pékin.
La guerre en Ukraine, ligne de fracture
Outre la question taïwanaise, le compte rendu chinois a indiqué que les deux dirigeants avaient également évoqué la guerre en Ukraine, Xi appelant à un « accord de paix équitable, durable et contraignant dans les plus brefs délais ».
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky accuse toutefois à plusieurs reprises Pékin de fournir des armes et des poudres explosives à la Russie, des inquiétudes relayées par le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent.
Le président russe Vladimir Poutine et des dirigeants étrangers assistent au défilé militaire du Jour de la Victoire sur la Place Rouge, dans le centre de Moscou, le 9 mai 2025. (VYACHESLAV PROKOFYEV/POOL/AFP via Getty Images)
Selon M. Tsai, l’appel téléphonique entre Donald Trump et Xi Jinping a simplement permis aux deux dirigeants d’exposer leurs positions sur la guerre en Ukraine, le comportement réel de la Chine allant dans une direction différente de son soutien déclaré à la paix — une divergence qui contraste avec la volonté de Donald Trump de mettre rapidement fin au conflit et qui est limitée par ce que cet appel téléphonique bref pouvait réellement accomplir.
« La Chine se présente systématiquement comme neutre dans ses déclarations, mais la poursuite de ses livraisons d’équipements et de matériels pertinents pour le champ de bataille à la Russie, conjuguée à l’augmentation de ses importations d’énergie, montre que cette neutralité n’est qu’une façade ; ce soutien continu de Pékin irrite de plus en plus les gouvernements occidentaux », a‑t‑il estimé.
La Chine est devenue l’un des principaux acheteurs de pétrole russe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en 2022, et Moscou compte désormais sur un approfondissement de la coopération dans le domaine du brut et du gaz naturel liquéfié (GNL).
Abondant dans ce sens, M. Wang souligne que les déclarations publiques de Donald Trump ne laissent guère de doute : il considère que Pékin soutient Moscou, et les professions de foi de la Chine en faveur de la paix offrent peu de raisons à Washington d’attendre une quelconque aide chinoise pour clore le conflit.
« Sur l’Ukraine, les États‑Unis n’ont pas besoin que la Chine apporte une solution : Washington dialogue déjà directement avec Moscou, et les responsables américains perçoivent les déclarations chinoises comme un simple discours creux, toléré à condition seulement que Pékin ne sape pas les efforts visant à mettre fin à la guerre », explique‑t‑il.
La coercition par les chaînes d’approvisionnement
Sur le volet agricole, Donald Trump a écrit dans son message que les deux pays avaient conclu un « bon accord, très important » pour les agriculteurs américains.
Confirmant cet optimisme, Scott Bessent a indiqué, le 25 novembre, que Pékin respectait « parfaitement le calendrier » de ses achats de soja, tandis que les autorités laissaient entendre qu’un nouveau plan d’aide de plusieurs milliards de dollars en faveur des agriculteurs américains serait bientôt annoncé.
Même si les échanges agricoles se poursuivent, un article publié en octobre par le think tank britannique Chatham House estime que, même lorsque des accords aboutissent sur le soja ou sur le contrôle des exportations de terres rares, ils n’offrent « que très peu de fondations structurelles » pour stabiliser la rivalité sino‑américaine.
Le rapport met en garde : loin de consolider la relation, les leviers économiques utilisés par Pékin doivent être vus non comme de simples mesures de rétorsion ponctuelles, mais comme « une répétition générale » d’une coercition plus large.
Selon M. Wang, ni la décision de Pékin de retarder la mise en œuvre de restrictions sur les terres rares après la rencontre de Busan, ni le silence observé sur ce dossier lors de l’appel Trump‑Xi ne répondent au problème de fond : la volonté chinoise de transformer les chaînes d’approvisionnement en instruments de pression.
« Lorsque le gouvernement néerlandais a gelé le contrôle de Nexperia, un fabricant de puces détenu par la Chine, pour des raisons de sécurité nationale, Pékin a aussitôt bloqué en représailles les exportations de puces Nexperia finies, illustrant une stratégie qui reste tactique dans son exécution, mais inchangée dans son objectif : faire des chaînes d’approvisionnement un levier de pression », explique‑t‑il.
M. Wang ajoute que de nombreux pays ont longtemps parié sur le fait que la mondialisation adoucirait politiquement la Chine par l’intégration économique, un pari qui a échoué face à la persistance du régime autoritaire de Pékin – une réalité avec laquelle les démocraties, à commencer par les États‑Unis, doivent désormais composer.
Washington se concentre à présent sur la réduction de ces vulnérabilités, ce qui explique la signature d’accords sur les terres rares avec l’Australie et le Japon, avec l’objectif de réduire drastiquement la dépendance à l’égard de la Chine dans les un à deux ans.
Partageant un point de vue similaire, M. Tsai a prédit que la manipulation des chaînes d’approvisionnement par Pékin ne serait efficace qu’à court terme, servant de pression économique, mais perdrait de sa valeur une fois que Washington se serait assuré d’autres sources d’approvisionnement.
« La politique de Donald Trump en matière de relations économiques et de droits de douane avec la Chine poursuit un objectif clair : empêcher Pékin de convertir les avantages commerciaux en puissance militaire. La compétition entre grandes puissances que se livrent Washington et Pékin ne se renversera donc jamais au gré de quelques coups de téléphone », conclut‑il.
Avec Reuters
Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.