La tentative de la Chine de contrôler le lithium en Amérique latine pourrait ne pas être si simple

Par Autumn Spredemann
2 mai 2023 07:59 Mis à jour: 2 mai 2023 07:59

C’est ce qu’on appelle « l’or blanc » dans l’industrie minière. Les gisements de lithium d’Amérique latine sont devenus un nouvel eldorado, une conquête de matières premières que la Chine cherche à contrôler.

Avec l’Australie et le Chili, la Chine fait partie des trois premiers producteurs de lithium au monde. Cette dernière contrôle également environ 80 % de la production mondiale de batteries électriques, ce qui est à l’origine de l’augmentation actuelle de la demande de lithium.

Au cours de la dernière décennie, la Chine a injecté des milliards dans les économies des pays riches en lithium, tels que le Chili, l’Argentine et la Bolivie, afin d’obtenir un accès préférentiel à ce minerai.

Toutefois, le Chili et le Mexique étant les derniers à annoncer la nationalisation de leurs industries du lithium, la Chine est confrontée à de nouveaux défis dans son objectif de contrôler la ruée vers « l’or blanc ».

Les pays d’Amérique latine ont une longue histoire de tentatives bâclées de tirer profit à long terme de la nationalisation des ressources. Il s’agit d’un phénomène cyclique induit par le boom de la demande en matières premières et l’inflation des prix.

Lorsque l’État prend le contrôle des industries, ce contrôle crée non seulement des revenus à court terme plus importants, mais il s’accompagne également de graves revers à long terme.

Des problèmes tels que le manque d’innovation, la corruption, l’inefficacité, les luttes politiques internes et le manque d’intérêt des investisseurs ont entravé les efforts de nationalisation dans toute la région depuis le régime d’Hugo Chavez au Venezuela.

Le président vénézuélien Nicolas Maduro passe devant un portrait du défunt président vénézuélien Hugo Chavez au Palais législatif fédéral de Caracas, le 14 janvier 2019. (Federico Parra/AFP/Getty Images)

Aujourd’hui, le boom des matières premières a bouclé la boucle avec une nouvelle vague de dirigeants de gauche dans la région. Par conséquent, certains analystes affirment que la mainmise de la Chine sur le lithium d’Amérique latine est vouée à un avenir mouvementé.

« Le lithium est la nouvelle chose à la mode que les gouvernements de gauche veulent nationaliser », a déclaré Evan Ellis à Epoch Times.

Evan Ellis est enseignant-chercheur sur l’Amérique latine à l’Institut d’études stratégiques du Collège militaire des États-Unis. Selon lui, les projets de la Chine risquent de faire les frais des conflits politiques, en particulier avec les gouvernements nationalistes. Les pays bien nommés du « triangle du lithium », que sont l’Argentine, la Bolivie et le Chili, sont confrontés depuis des années à des manifestations contestataires menées par l’opposition.

Ce genre de troubles affecte souvent le secteur minier. Les populations touchées par la pauvreté qui vivent à la périphérie de projets étrangers d’une valeur d’un milliard de dollars éprouvent souvent du ressentiment en raison de l’absence d’avantages pour les communautés locales.

Mais, selon M. Ellis, le carnet de chèques de la Chine pourrait encore contribuer à faire avancer les projets bloqués.

Dans le triangle du lithium, la Chine a un rôle à jouer dans les trois « boîtes à biscuits ». Si les fonds chinois sont suffisants, il pense qu’ils pourraient aider à « contourner les règles ».

Le Chili en ligne de mire

Parmi les producteurs mondiaux de lithium, le Chili occupe la deuxième place après l’Australie. Il génère environ 26 % de l’offre mondiale totale à partir du désert d’Atacama, qui détient les plus grandes réserves prouvées (9,3 millions de tonnes).

Toutefois, contrairement à l’Australie, le Chili est le premier producteur de lithium issu de l’extraction de saumures.

Le 20 avril, le président chilien Gabriel Boric a annoncé que son administration commencerait à transférer les immenses exploitations de lithium du pays des géants du secteur privé comme SQM et la société américaine Albemarle à une entreprise publique.

Le président nouvellement élu Gabriel Boric s’adresse aux médias à Santiago du Chili, le 20 décembre 2021. (Marcelo Hernandez/Getty Images)

« C’est la meilleure chance que nous ayons de passer à une économie durable et développée. Nous ne pouvons pas nous permettre de la gâcher », a affirmé le président Boric lors d’une conférence de presse télévisée.

L’annonce de M. Boric fait suite au décret du président mexicain Andrés Manuel López Obrador, qui a confié le contrôle du lithium du pays à une entreprise publique en février de cette année.

« Ce que nous faisons maintenant… c’est de nationaliser le lithium afin qu’il ne puisse pas être exploité par des étrangers russes, chinois ou américains », a expliqué M. Obrador lors d’une conférence de presse à Sonora.

Une déclaration similaire de M. Boric a fait des vagues au sein de la communauté internationale. Le Chili a toujours été une valeur sûre pour les investisseurs en raison de sa relative stabilité politique et de sa coopération ouverte avec les entreprises étrangères. Le changement soudain des modalités d’exploitation a suscité le scepticisme des analystes et des responsables, qui se demandent si le pays restera un acteur sérieux sur le marché du lithium.

En outre, des protestations se profilent à l’horizon pour le secteur minier chilien en raison de la forte consommation d’eau nécessaire pour l’extraction de la saumure.

« On pourrait penser que l’extraction du lithium vise à favoriser la transition vers l’énergie verte. En réalité, les inquiétudes ne viennent pas seulement des communautés locales. Des groupes écologistes américains sont très actifs au Chili, formant des militants à s’opposer à l’exploitation du lithium », a indiqué le professeur John D. Graham lors d’un événement organisé par le Wilson Center le 25 avril.

Mise en garde

En Bolivie, le nationalisme présent dans le secteur minier, y compris le lithium, a été une épine dans le pied de la Chine.

Toutefois, en janvier, le président Luis Arce a signé un accord d’un milliard de dollars avec les entreprises chinoises Contemporary Amperex Technology Co. (CATL), Guangdong Brunp Recycling Technology Co. (BRUNP) et CMOC Group Ltd., pour l’accès aux réserves de lithium très recherchées de la Bolivie dans les plaines salées d’Uyuni. Les entreprises chinoises travailleront aux côtés de l’entreprise publique de lithium YLB dans l’espoir de produire 25.000 tonnes par an à partir de 2025.

Images satellite des salars del Hombre Muerto en Argentine (gauche) et d’Uyuni en Bolivie (droite). Les déserts de sel sont riches en lithium. Le lithium est extrait par concentration de la saumure après pompage et évaporation dans des marais salants (visibles sur l’image de gauche) (Domaine public)

Cependant, M. Ellis cite le projet de minerai de fer El Mutún, dans la jungle bolivienne, qui a été bâclé à maintes reprises, comme exemple de la façon dont l’argent ne peut pas tout acheter en Amérique latine.

En 2016, le gouvernement bolivien a accordé à l’entreprise chinoise Sinosteel un projet d’extraction de minerai de fer dans la montagne d’El Mutún, riche en minéraux. La production devait démarrer en 2019. À ce jour, les portes de l’installation d’El Mutún restent fermées.

L’évolution des priorités au milieu des changements de régime politique pendant la pandémie et une série interminable de pots-de-vin à des fonctionnaires du ministère ont été pointés comme étant à l’origine de la lenteur dans l’exécution du contrat de 450 millions de dollars.

C’est un schéma souvent observé dans la région.

La politique, les troubles civils et la corruption peuvent contribuer à faire sombrer même les plus grands projets.

Certains habitants prédisent que l’accord sur le lithium conclu par la Chine avec YLB connaîtra le même sort.

« Ça se passe toujours comme ça. On parle beaucoup d’un projet, comme à El Mutún, puis plus rien », a déclaré Christian Vargas à Epoch Times.

Ancien professeur d’économie, Christian Vargas vit à Santa Cruz, la plus grande ville de Bolivie. Il a expliqué que le gouvernement de gauche de son pays a lutté pendant des années pour mettre le lithium bolivien sur le marché.

« Le Chili produit plus que nous, même si nos réserves sont plus importantes », a-t-il observé, ajoutant : « Il en ira de même [avec le lithium] à Uyuni. Chaque groupe civil voudra sa part du gâteau ou il stoppera le projet. »

Mais un pays voisin du triangle du lithium a pris à cœur la leçon de l’échec du nationalisme : l’Argentine.

« Le secteur argentin du lithium a prospéré grâce à une stratégie décentralisée et favorable au marché », explique Benjamin Gedan, directeur du programme Amérique latine au Wilson Center.

M. Gedan a également souligné que le « contrôle excessif de l’État » était la principale cause de l’incapacité de la Bolivie à commercialiser ses vastes ressources en lithium.

En raison de son approche favorable au marché, les analystes prédisent que l’Argentine pourrait devenir l’un des principaux producteurs de lithium au cours des dix prochaines années. Toutefois, à l’instar de nombreux pays de la région, les prochaines élections présidentielles et les fréquentes manifestations pourraient menacer ce membre émergent du club du lithium.

Selon M. Ellis, l’Argentine est un modèle commercial plus prometteur pour le lithium en termes d’extraction et d’industrialisation à grande échelle, bien qu’elle dispose des plus petites réserves.

« C’est là que la Chine a le plus d’accès pour faire ce qu’elle veut pour extraire le lithium », a-t-il déclaré.

En apparence, du moins, pour l’instant.

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