L’Afrique est à la croisée des chemins, selon des experts, suite à la suppression de 13 milliards de dollars d’aide américaine

Par Darren Taylor
22 avril 2025 14:16 Mis à jour: 24 avril 2025 09:25

JOHANNESBURG — Les pays africains ont réagi avec choc lorsque le gouvernement américain a annulé 13 milliards de dollars d’aide financière, il y a quelques mois.

Mais selon des analystes, cette décision pourrait inciter ces pays à adopter une meilleure gouvernance, et même les voix plus critiques pensent que cela aurait au moins le mérite de jeter la lumière sur les nations les plus corrompues de la planète.

Au cours de l’année fiscale 2024, le gouvernement américain a versé près de 13 milliards de dollars de fonds publics pour aider l’Afrique,  la région la plus corrompue du monde selon l’organisme de surveillance Transparency International.

La majeure partie de cet argent était administrée par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), dont la plupart des programmes ont depuis été suspendus et intégrés au Département américain d’État.

L’argent était en grande partie destiné à des programmes visant à nourrir les populations des zones touchées par la famine et à traiter et prévenir les maladies infectieuses telles que le VIH, le paludisme et la tuberculose.

Les Nations Unies craignent que des millions de vies soient désormais menacée en raison du retrait de l’aide américaine.

Elles affirment que près de 16 millions d’Éthiopiens dépendent des céréales données par les États-Unis en 2024, ce pays d’Afrique de l’Est étant frappé par la sécheresse et une guerre civile.

En Afrique du Sud, l’argent de l’USAID payait les salaires du personnel de centaines d’organisations à but non lucratif qui travaillaient sur le plus grand programme de distribution d’antirétroviraux au monde, fournissant des médicaments à près de 6 millions de personnes infectées par le VIH.

« [Notre] programme ne fonctionne même plus à moitié de sa capacité « , a déclaré Foster Mohale, porte-parole du ministère sud-africain de la Santé, à Epoch Times. « Des millions de personnes ne reçoivent pas les pilules dont elles ont besoin pour rester en bonne santé parce que les organisations qui travaillaient avec nous sont maintenant fermées. »

Des histoires comme celles-ci abondent à travers l’Afrique.

Mais Chris Maroleng, de l’organisation à but non lucratif Good Governance Africa, a déclaré à Epoch Times que la décision de Donald Trump de suspendre le financement « met en lumière la corruption et l’égoïsme de nombreux régimes africains ».

« Nous devons tous faire pression sur nos dirigeants pour qu’ils gouvernent de manière propre et qu’ils partagent la richesse de notre continent avec leur peuple, non pas en distribuant de l’argent, mais en fournissant des services de base », a-t-il déclaré. « Dans l’ensemble, ce n’est pas beaucoup demander. »

Selon lui, Donald Trump « à le droit » de suspendre l’aide financière à l’Afrique. Pourtant de nombreux chefs d’entreprise, dirigeants politiques et de la société civile avec lesquels il s’est entretenu « sont déçus, voire en colère, de la rapidité avec laquelle cela a été fait ».

« Cela signifie qu’ils n’ont pas le temps de réajuster leurs budgets et peu de temps pour chercher de l’aide ailleurs », a-t-il déclaré.

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Des femmes transportent des boîtes de porridge, données par le Programme alimentaire mondial en partenariat avec l’USAID, pendant une sécheresse à Mutoko, au Zimbabwe, le 13 mars 2019. (Jekesai Njikizana/AFP via Getty Images)

Jakkie Cilliers, directeur de l’Institute for Security Studies en Afrique du Sud, a pu prédire que la réduction de l’aide américaine poussera près de 6 millions d’Africains dans l’extrême pauvreté d’ici un an si d’autres sources de financement ne sont pas trouvées.

« Couper l’aide américaine si rapidement, si brutalement, est une erreur car cela rend les plus vulnérables encore plus exposés à la faim, aux maladies et autres maux sociaux », a déclaré Jakkie Cilliers à Epoch Times.

Selon lui, Washington aurait pu supprimer progressivement l’aide sur cinq ans.

« Cela aurait amorti l’impact et donné aux décideurs politiques plus de temps pour s’adapter et combler progressivement les déficits de financement », a-t-il déclaré.

Mais selon l’économiste nigérian Nengak Gondyi, « Il est temps que l’Afrique mette de l’ordre dans sa propre maison. »

Le continent « ne peut pas se permettre de se complaire dans l’apitoiement et la colère » face à l’administration Trump, a-t-il déclaré.

« Ce dont l’Afrique a le plus besoin, ce n’est pas un gros chèque, mais un examen honnête et approfondi de l’allocation et de l’utilisation des ressources », a déclaré M. Gondyi à Epoch Times.

« Une collecte des recettes publiques plus efficace, la lutte contre la corruption et autres crimes financiers si répandus en Afrique, et l’élargissement des bases fiscales ne sont que quelques-unes des choses qui doivent maintenant se produire. »

L’indice annuel de perception de la corruption de Transparency International mesure et analyse la corruption dans 180 pays.

Selon son indice 2024, près de la moitié des 40 pays les plus corrompus se trouvent en Afrique subsaharienne, la région la plus pauvre du monde, et celle qui a reçu le plus d’aide américaine pendant des décennies.

Il classe 90 % des 54 nations africaines comme « hautement corrompues ».

En 2023, tous les pays sauf un – l’Érythrée – ont reçu une aide financière américaine.

En 2024, selon les registres de l’aide étrangère du gouvernement américain, Washington a fait don de près de 800 millions de dollars au Soudan du Sud, que Transparency International classe comme le pays le plus corrompu du monde.

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Une vendeuse attend des clients à son étal de fruits et légumes au marché de Waheen à Hargeisa, en Somalie, le 8 novembre 2024. (Luis Tato/AFP via Getty Images)

« La corruption est systémique à tous les niveaux de gouvernement et imprègne presque tous les secteurs économiques. Les auteurs jouissent d’une impunité généralisée », indique le site web de l’organisation.

« En tant que telle, [la corruption] a un coût élevé pour la population en détournant la richesse des vastes réserves pétrolières du pays vers des poches privées au lieu de la fourniture de services publics ou de la formation brute de capital fixe. »

L’année dernière, les États-Unis ont versé 1,2 milliard de dollars d’aide à la Somalie, classée par Transparency International comme le deuxième pays le plus corrompu du monde.

Cette nation de la Corne de l’Afrique est en proie depuis des décennies à des conflits entre groupes ethniques et à une insurrection menée par l’organisation terroriste al-Shabaab, affiliée au groupe terroriste al-Qaïda.

« La corruption est à la fois l’une des principales causes et conséquences de l’instabilité politique endémique en Somalie », peut-on lire sur le site de Transparency International.

« La corruption se produit à tous les niveaux, tant dans le secteur public que privé, et constitue une forme de comportement visible et attendue. »

« Elle affecte pratiquement tous les aspects de la société somalienne : de l’utilisation abusive des biens publics par les fonctionnaires à des fins privées et de la sollicitation de pots-de-vin en échange de services de base aux réseaux de patronage claniques utilisés pour obtenir des emplois et des nominations politiques. »

« Les entreprises se sont également adaptées au climat d’anarchie, par exemple en évitant les impôts et en vendant des aliments et des médicaments périmés. »

David Ansara, économiste à la Free Market Foundation d’Afrique du Sud, a déclaré à Epoch Times : « Ce que nous avons ici, c’est un cycle sans fin où les États-Unis donnent des milliards de dollars à des pays africains qui sont souvent parmi les plus riches en ressources de la planète, mais leurs dirigeants volent les profits et ne s’occupent pas de leurs citoyens. »

Il a déclaré que l’USAID faisait un « travail fantastique en Afrique, et son argent était étroitement contrôlé, mais ce n’est pas la question ».

« La question est qu’il est maintenant temps pour les gouvernements africains de s’occuper de leur propre peuple, en particulier ceux qui contrôlent des milliards de dollars de ressources naturelles », a-t-il déclaré.

Il cite la République démocratique du Congo et le Nigeria.

« Pourquoi les États-Unis devraient-ils donner un centime à des pays comme ça ? » a-t-il déclaré. « Il n’y a aucune excuse pour que leurs citoyens croupissent dans la pauvreté. »

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Des habitants sur la route principale des mines de Rubaya en République démocratique du Congo (RDC) le 5 mars 2025. Ravagé par 30 ans de conflit, l’est de la RDC détiendrait entre 60 et 80 % des réserves mondiales de coltan, un minéral essentiel à la fabrication d’équipements électroniques. (Camille Laffont/AFP via Getty Images)

« En théorie, ces pays sont immensément riches. Mais en réalité, seules les élites politiques sont riches parce que les revenus sont soit volés et amassés dans des comptes offshore, soit mal gérés. »

Le contribuable américain a versé près d’un milliard de dollars en 2024 à la RDC déchirée par la guerre. C’est l’un des pays les plus riches en ressources du monde, avec de vastes gisements de minéraux critiques tels que le cobalt, le tantale, le cuivre et l’or.

« Historiquement, la République démocratique du Congo (RDC) a connu des violences et de vastes abus de pouvoir », selon Transparency International.

« Des guerres civiles prolongées, associées à la mauvaise gestion continue des ressources de l’État, ont placé la RDC parmi les États fragiles dotés des infrastructures les plus pauvres du monde. »

« La corruption, le manque d’intégrité politique et la faiblesse des institutions de surveillance exacerbent la politique clientéliste, la recherche de rente et l’instabilité dans tout le pays. »

L’année dernière, le gouvernement américain a versé 1 milliard de dollars au Nigeria, l’un des principaux producteurs de pétrole au monde.

Ce pays d’Afrique de l’Ouest, la deuxième économie d’Afrique, tire la plupart de ses revenus du pétrole et du gaz, mais aussi de minéraux comme le charbon, l’étain, le minerai de fer, le calcaire et les pierres précieuses.

En 2024, les recettes du pétrole brut nigérian ont atteint environ 51 billions de nairas (près de 33 milliards de dollars), selon la Nigerian Upstream Petroleum Regulatory Commission.

« Au Nigeria, la corruption généralisée sévit dans la politique et l’administration publique, où les réseaux de patronage jouent un rôle dominant », toujours selon Transparency International.

« Cela se manifeste au niveau fédéral, mais aussi aux autres niveaux, ainsi que dans le système judiciaire, le secteur de l’électricité et les industries extractives. »

« Les revenus pétroliers ont disproportionnellement profité aux élites dirigeantes par le biais d’une corruption systémique, de détournements de fonds et de fuites de capitaux. »

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Des travailleurs se tiennent sur une section de la raffinerie pétrochimique de Dangote Petroleum, la plus grande raffinerie à train unique au monde, à Lagos, au Nigeria, le 22 mai 2023. (Pius Utomi Ekpei/AFP via Getty Images)

Compte tenu de ce contexte, M. Ansara a déclaré qu’il n’était pas surpris que Donald Trump ait coupé le robinet de l’aide.

« Quand une personne logique examine le statu quo, ce n’est pas une décision radicale », a-t-il déclaré. « Pourquoi donner plus d’un milliard de dollars à un pays qui vend des milliards de dollars de pétrole chaque année ? »

« Le Nigeria peut sûrement nourrir son propre peuple, fournir des services de santé à son propre peuple ? Ce qui s’est passé, c’est que des politiciens corrompus ont utilisé l’aide pour éviter leurs responsabilités et piller plus d’argent, et Trump l’a reconnu. »

Un scénario similaire s’est déroulé au Mozambique, qui a reçu 780 millions de dollars d’aide de Washington en 2024.

Transparency International estime que la vaste richesse pétrolière et gazière du Mozambique a été « capturée » par une élite liée à l’ancien président Felipe Nyusi, laissant aux donateurs la responsabilité de nourrir et de maintenir les citoyens en bonne santé.

En 2024, les États-Unis ont même versé 310 millions de dollars au Zimbabwe, dont le dirigeant pro-chinois, Emmerson Mnangagwa, est sous sanctions de Washington et critique souvent les États-Unis, les accusant d' »impérialisme » et de « néo-colonialisme ».

Le Département américain du Trésor a déclaré que M. Mnangagwa « est impliqué dans des activités corrompues, en particulier celles liées aux réseaux de contrebande d’or et de diamants ».

« M. Mnangagwa offre une protection aux contrebandiers pour qu’ils opèrent au Zimbabwe et a ordonné aux fonctionnaires zimbabwéens de faciliter la vente d’or et de diamants sur les marchés illicites, en échange de pots-de-vin pour ses services », a déclaré le Département américain du Trésor. « M. Mnangagwa supervise également les services de sécurité du Zimbabwe, qui ont violemment réprimé les opposants politiques et les groupes de la société civile. »

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Le président zimbabwéen Emmerson Mnangagwa arrive avant l’investiture du président sud-africain Cyril Ramaphosa à Pretoria, en Afrique du Sud, le 19 juin 2024. Au lieu d’aider les Zimbabwéens à sortir de la pauvreté, le régime de Mnangagwa empoche les recettes et partage les bénéfices avec des sociétés minières chinoises liées à Pékin, selon Transparency International. (Phill Magakoe/POOL/AFP via Getty Images)

Outre ses importantes ressources en charbon et en or, le Zimbabwe est l’un des principaux producteurs de lithium, l’un des minéraux critiques les plus précieux.

Au lieu d’aider les citoyens à sortir de la pauvreté, le régime de M. Mnangagwa empoche les recettes et partage les bénéfices avec des sociétés minières liées à Pékin, selon Transparency International.

« Les flux financiers illicites (FFI) ont drainé des milliards de dollars du [Zimbabwe], en particulier dans les secteurs liés aux ressources naturelles comme l’exploitation minière, le bois d’œuvre et la faune », précise l’organisme de surveillance. « Beaucoup de ces produits des FFI sont liés à la corruption. »

Selon M. Gondyi, l’Afrique ne peut plus compter sur l’aide extérieure.

« Avec toutes les ressources que nous avons en Afrique, et encore plus d’argent entrant grâce aux investissements directs étrangers et aux envois de fonds, nous pouvons faire les choses par nous-mêmes », a-t-il déclaré.

« Le défi consiste à gérer correctement les ressources et à promouvoir des investissements qui apportent des solutions aux maux de la société et qui ne font pas qu’augmenter les profits. »

Il estime que la philanthropie africaine devrait être exploitée pour financer des projets essentiels précédemment gérés par l’USAID.

Selon lui, cela pourrait se faire par le biais de dons individuels et d’entreprises, de financement participatif organisé et d’abonnements à des investissements à impact social et à des obligations sociales.

« Surtout, les projets doivent être bien suivis par des experts de confiance non liés aux gouvernements », a déclaré M. Gondyi.

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Des excavatrices à l’arrêt sur le site minier d’Arcadia Lithium à Goromonzi, au Zimbabwe, le 11 janvier 2022. La société chinoise Zhejiang Huayou Cobalt a acquis en février 2022 la mine de lithium, dont le produit est un ingrédient clé des batteries rechargeables utilisées dans les véhicules électriques. (Tafadzwa Ufumeli/Getty Images)

M. Cilliers souhaite que le secteur privé africain intensifie ses contributions aux causes et que d’autres pays aident également à combler le vide.

« La Chine a manifesté sa volonté de devenir davantage un pays donateur qu’un pays qui se contente d’exploiter les ressources minérales africaines », a-t-il déclaré.

L’année dernière, Pékin s’est engagé à augmenter son soutien à l’Afrique à 51 milliards de dollars au cours des trois prochaines années.

« La Chine devrait maintenant avancer ces plans et doit également augmenter ses dons à l’Afrique et ne pas seulement prêter de l’argent au continent », a déclaré M. Cilliers.

« [Les Émirats arabes unis] et l’Arabie saoudite, qui sont désormais de grands fournisseurs d’aide à plusieurs nations à faible revenu, devraient également commencer à donner davantage à l’Afrique. »

En fin de compte, selon M. Maroleng, le continent devrait utiliser le choc du départ soudain de l’aide américaine pour devenir plus autosuffisant.

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