L’âge d’or de la désinformation ne fait que commencer

Par Dr. Boyan Radoykov
8 avril 2024 11:33 Mis à jour: 16 avril 2024 10:10

La désinformation est une question de pouvoir et, de par son influence nocive mais percutante, elle lui est indispensable. C’est un outil qui permet de façonner les perceptions du public dont se servent aussi bien les régimes autoritaires que les démocraties. La diffusion de fausses informations n’est pas une pratique nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Toutefois, au cours des dernières décennies, elle s’est professionnalisée et a pris des proportions exorbitantes tant au niveau national qu’international.

Les origines de la désinformation

La désinformation est une information trompeuse, produite intentionnellement et diffusée délibérément, pour induire en erreur l’opinion publique, pour nuire à un groupe cible ou pour faire avancer des objectifs politiques ou idéologiques. Le terme désinformation est une traduction du russe дезинформация (dezinformatsiya). Le 11 janvier 1923, le Politburo du Parti communiste de l’Union soviétique a décidé de créer un Département de désinformation. Sa mission était « d’induire en erreur les adversaires réels ou potentiels sur les véritables intentions » de l’URSS. Dès lors, la désinformation est devenue une tactique de la guerre politique soviétique connue sous le nom de « mesures actives », un élément crucial de la stratégie de renseignement soviétique impliquant la falsification, la subversion et la manipulation des médias.

Pendant la guerre froide, de 1945 à 1989, cette tactique a été utilisée par de nombreuses agences de renseignement. Le terme « désinformation » des masses a été de plus en plus utilisé dans les années 1960 et s’est généralisé dans les années 1980. L’ancien officier de renseignement du bloc soviétique, Ladislav Bittman, le premier professionnel de la désinformation à passer à l’Ouest, a observé à cet égard : « L’interprétation est légèrement faussée, car l’opinion publique n’est qu’une des cibles potentielles. De nombreux jeux de désinformation sont conçus uniquement pour manipuler l’élite décisionnelle et ne font l’objet d’aucune publicité« .

Avec sa création en juillet 1947, la CIA s’est vu confier deux missions principales : prévenir les attaques étrangères surprises contre les États-Unis et entraver l’avancée du communisme soviétique en Europe et dans les pays du tiers-monde. Les agents de la CIA ont été en première ligne de la contre-propagande et de la désinformation orchestrées par le gouvernement américain pendant les quatre décennies de la guerre froide.

L’essai réussi d’une arme nucléaire par l’Union soviétique en 1949 a pris les États-Unis au dépourvu et a abouti à l’avènement de deux puissances nucléaires s’affrontant sur la scène mondiale dans une atmosphère internationale de tension extrême, de peur et d’incertitudes. En 1954, le président Eisenhower a reçu un rapport top secret d’une commission présidée par le général à la retraite James H. Doolittle, qui concluait : « Si les États-Unis veulent survivre, il faut reconsidérer les concepts américains de « fair-play » qui existent depuis longtemps. Nous devons apprendre à subvertir, saboter et détruire nos ennemis par des méthodes plus intelligentes, plus sophistiquées et plus efficaces que celles utilisées contre nous. Il peut s’avérer nécessaire que le peuple américain se familiarise avec cette philosophie fondamentalement répugnante, qu’il la comprenne et qu’il la soutienne. » Bien entendu, la philosophie « répugnante » inclut la subversion par la désinformation.

Experts en la matière, les États-Unis n’ont pourtant pas réagi énergiquement à la désinformation dont ils faisaient l’objet et ce jusqu’en 1980, lorsqu’un faux document a prétendu que Washington soutenait l’apartheid. Par la suite, ils ont aussi moyennement apprécié l’opération « Infection », la campagne de désinformation soviétique visant à influencer l’opinion publique mondiale en faisant croire que les États-Unis avaient intentionnellement inventé le VIH/Sida.

Aux États-Unis, l’influence intellectuelle d’Edward Bernays est à l’origine de la propagande politique institutionnelle et de la manipulation de l’opinion. Double neveu de Sigmund Freud, et après avoir été l’attaché de presse du ténor Caruso et des Ballets russes, il a participé, aux côtés du président Wilson, à la commission Creel (1917), qui a contribué à retourner l’opinion publique américaine en faveur de l’entrée en guerre. Sa femme et associée, Doris Fleischman, lui a conseillé de ne pas utiliser le terme trop galvaudé de « propagande« . Elle a donc inventé le terme de « relations publiques » pour le remplacer, un terme toujours utilisé.

La Chine et son autoritarisme numérique

En Chine, la tromperie, le mensonge et la réécriture de l’histoire sont des techniques de désinformation au service du Parti communiste, selon les tactiques apprises en Union soviétique dans les années 1950. Aujourd’hui, la Chine dispose d’un arsenal sophistiqué de désinformation tous azimuts. Ses principaux objectifs sont de retourner l’opinion publique, d’interférer dans les cercles politiques étrangers, d’influencer les élections, de discréditer ses opposants ou encore de donner une image trompeuse de ses intentions et priorités.

En septembre 2021, l’Institut français de recherche stratégique de l’École Militaire a publié un rapport sur les opérations d’influence de la Chine qui avertit : « Pendant longtemps, on a pu dire que la Chine, contrairement à la Russie, cherchait davantage à être aimée que crainte ; qu’elle voulait séduire, projeter une image positive d’elle-même dans le monde, susciter l’admiration. Pékin n’a pas renoncé à séduire (…) mais, en même temps, Pékin assume de plus en plus d’infiltrer et de contraindre : ses opérations d’influence se sont considérablement durcies ces dernières années et ses méthodes ressemblent de plus en plus à celles employées par Moscou ».

Le 28 septembre 2023, le gouvernement américain a publié un rapport dans lequel il accuse la Chine de vouloir « remodeler le paysage mondial de l’information » par le biais d’un vaste réseau spécialisé dans la désinformation. La manipulation internationale de l’information [par la Chine] n’est pas uniquement une question de diplomatie publique, mais constitue un défi pour l’intégrité de l’espace international de l’information ». Cette « manipulation » englobe « la propagande, la désinformation et la censure ». « Si rien n’est fait, les efforts de la République populaire de Chine vont remodeler le paysage mondial de l’information, créant des biais et des lacunes qui pourraient même conduire les nations à prendre des décisions qui subordonnent leurs intérêts économiques et sécuritaires à ceux de Pékin ».

Selon le département d’État américain, la Chine dépense chaque année des milliards de dollars pour ces opérations de « manipulation de l’information à l’étranger« . Dans le même temps, Pékin supprime les informations critiques qui vont à l’encontre de son langage sur des sujets politiquement sensibles. Le document américain poursuit en indiquant que la Chine manipule l’information en appliquant un « autoritarisme numérique« , en exploitant les organisations internationales et onusiennes et en contrôlant les médias en langue chinoise.

Quand la désinformation devient doctrine militaire

Dans certains pays, les décideurs politiques se tournent souvent vers l’histoire pour guider leurs approches réglementaires de l’information dans le domaine public. Les responsables politiques allemands, par exemple, se réfèrent fréquemment au passé nazi et à celui de la Stasi communiste pour justifier leurs actes. Pourtant, ces comparaisons historiques ne tiennent pas toujours la route. En réalité, les nazis ne sont pas arrivés au pouvoir grâce au contrôle qu’ils exerçaient sur la nouvelle technologie qu’était la radio à l’époque. En revanche, dès leur arrivée au pouvoir en janvier 1933, ils l’ont utilisée d’autant plus facilement que les gouvernements successifs de Weimar avaient placé le contenu de la radio sous le contrôle de l’État dans l’espoir de sauver la démocratie. Cela a eu le résultat pervers inverse de permettre aux nazis de contrôler la radio beaucoup plus rapidement que les journaux, une fois au pouvoir.

La désinformation est principalement orchestrée par des agences gouvernementales. Dans l’ère post-soviétique, et avec l’avènement de la société de l’information, lorsque les médias et les réseaux sociaux sont devenus un relais central pour la diffusion de fausses nouvelles, la désinformation a évolué pour devenir une tactique fondamentale dans la doctrine militaire des pays puissants. Au début des années 2000, l’Union européenne et l’OTAN ont considéré la désinformation russe comme un tel problème qu’elles ont toutes deux mis en place des unités spéciales chargées d’analyser et de démystifier les fausses informations produites en masse.

Les méthodes et les processus de la désinformation

Il existe quatre méthodes principales de diffusion de la désinformation : la censure sélective, la manipulation des index de recherche, le piratage et la diffusion de données obtenues frauduleusement, et l’amplification de la désinformation par le biais d’un partage excessif.

À titre d’exemple, les activités de désinformation impliquent les processus suivants :

• La création de personnages et de sites web inventés de toute pièce avec des réseaux de faux experts qui diffusent des références prétendument fiables afin d’accroître la crédibilité des messages.

• La création de « deep-fakes » et de médias synthétiques par le biais de photos, de vidéos et de clips audio qui ont été manipulés numériquement ou entièrement fabriqués pour tromper le public. Les outils d’intelligence artificielle (IA) d’aujourd’hui peuvent rendre le contenu synthétique presque impossible à détecter ou à distinguer de la réalité.

• Le développement ou l’amplification des théories du complot, qui tentent d’expliquer les événements importants par les actions secrètes d’acteurs puissants agissant dans l’ombre. Les théories du complot visent non seulement à influencer la compréhension des événements par les gens, mais aussi leur comportement et leur vision du monde.

• L’astroturfing et inondation de l’environnement d’information. À l’origine des campagnes de désinformation se trouvent d’énormes quantités de contenus similaires, publiés à partir de sources ou de comptes fabriqués de toutes pièces. Cette pratique de l’astroturfing crée l’impression d’un soutien ou d’une opposition généralisée à un message, tout en dissimulant sa véritable origine. Une tactique similaire, l’inondation, consiste à spammer les posts et les sections de commentaires des médias sociaux dans le but de façonner un récit ou d’étouffer les points de vue opposés. Ces dernières années, l’utilisation d’usines à trolls pour diffuser des informations trompeuses sur les réseaux sociaux a pris de l’ampleur.

• L’exploitation de plateformes alternatives de médias sociaux pour renforcer les certitudes dans un récit de désinformation. Les acteurs de la désinformation profitent ainsi de plateformes offrant moins de protections aux utilisateurs et moins d’options pour détecter et supprimer les contenus et les comptes inauthentiques.

• L’amplification des lacunes d’information qui surviennent lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’informations crédibles pour répondre à une recherche spécifique. Les meneurs de la désinformation peuvent exploiter ces lacunes en générant leur propre contenu et en alimentant la recherche.

• La manipulation de protagonistes qui ne se doutent de rien. Les facilitateurs de la désinformation ciblent des personnes et des organisations de premier plan pour les associer à corroborer leurs récits. Souvent, les cibles ne sont même pas conscientes qu’elles répètent le récit d’un acteur de la désinformation ou que ce récit est destiné à influencer ou à manipuler l’opinion publique.

• La diffusion d’un contenu ciblé : les instigateurs de la désinformation produisent un contenu d’influence sur mesure susceptible de trouver un écho auprès d’un public spécifique, en fonction de sa vision du monde, de ses croyances et de ses intérêts. Il s’agit d’une tactique à long terme qui consiste à diffuser un contenu ciblé au fil du temps afin d’instaurer la confiance et la crédibilité auprès du public cible, facilitant ainsi sa manipulation.

Une course contre la montre pour prémunir les jeunes générations

Au début des années 2000, la majorité des publications sur l’internet faisaient l’éloge de son potentiel sans précédent pour le développement. Quelques années seulement plus tard, les commentateurs, les analystes et les décideurs politiques s’inquiétaient du fait que l’internet, et les plateformes de médias sociaux en particulier, représentaient de nouvelles menaces pour la démocratie, la gouvernance mondiale et l’intégrité de l’information.

Depuis, le monde est devenu de plus en plus interconnecté et interdépendant et les possibilités de désinformation sont devenues quasi illimitées. Avec plus de 5,5 milliards d’internautes et plus de 8,58 milliards d’abonnements mobiles dans le monde en 2022, contre une population mondiale de 7,95 milliards à la mi-année, le grand paradoxe est que, grâce à l’essor des technologies de l’information, la désinformation a bénéficié d’un environnement beaucoup plus propice, voire florissant et que le développement de l’IA conduit à une exploitation sans limite des possibilités des pires dérives en matière d’information trompeuse.

Certains experts s’accordent à dire que si la désinformation et la propagande en ligne sont très répandues, il est difficile de déterminer dans quelle mesure cette désinformation a un impact sur les attitudes politiques du public et, par conséquent, sur les résultats politiques. D’autres données ont montré que les campagnes de désinformation parviennent rarement à modifier les politiques des États ciblés. Néanmoins, il serait irresponsable de croire que la désinformation a peu de conséquences. Si c’était le cas, les grands pays auraient abandonné cette pratique depuis longtemps. Or, c’est le contraire qui se produit. Avec la montée progressive de l’imbécillité des élites dirigeantes et l’essor des technologies, les politiques de déstabilisation par la désinformation ont un bel avenir devant elles. Le risque et les enjeux restent énormes, et l’érosion de la confiance du public dans les institutions et les médias est à cet égard profondément significative.

La lutte contre la désinformation doit dépasser les solutions simplistes telles que la fermeture des comptes Facebook ou X (ex-Twitter), la dénonciation publique des agissements de l’adversaire ou l’endiguement des fausses informations par des moyens techniques. Et il est certainement insuffisant de se concentrer sur des actions telles que la vérification des faits ou l’éducation aux médias pour aider les individus à maîtriser et à consommer l’information. Face aux machines de désinformation des gouvernements, l’homme ordinaire ne pèse pas lourd. Il serait donc préférable de s’attaquer aux conditions de fonctionnement politiques et économiques des structures qui facilitent la diffusion de la désinformation, telles que les grandes entreprises technologiques, les acteurs étatiques impliqués, les médias et autres systèmes d’information.

Bien entendu, le facteur humain doit rester au cœur des préoccupations des dirigeants face à une désinformation étatique et médiatique grandissante. Le prix à payer pour une éducation solide des jeunes sera toujours inférieur au prix à payer ultérieurement pour leur ignorance.

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