Le conflit en Ukraine ou La faillite de l’Europe

Par Alexandre Page
12 mars 2022 14:53 Mis à jour: 12 mars 2022 14:58

Beaucoup de choses sont ou vont être écrites sur le sujet, et c’est toujours étrange de jeter un papier au milieu de milliers d’autres tant l’impression d’une goutte d’eau perdue dans un océan est grande. Cette idée d’un papier noyé au milieu d’autres m’a fait hésiter à écrire cette tribune, puis, j’ai songé qu’après tout, elle aurait peut-être son utilité.

Le 24 février dernier, un conflit a donc éclaté en Ukraine, plus exactement, un conflit jusqu’alors localisé à des régions de l’est s’est étendu brutalement à tout un pays. Il n’a pas fallu longtemps au Blitzkrieg russe pour venir à bout des principales infrastructures militaires ukrainiennes, témoignant d’une part du différentiel des forces en présence, mais également de l’ancienne et minutieuse préparation de cette opération. Maintenant, de nombreuses questions et dilemmes se posent à l’Occident, à l’Union européenne surtout, puisque ce conflit est à ses portes, puisque ce conflit concerne une région stratégique pour elle, et enfin, parce que ce conflit arrive après que les grands pays d’Europe, et au premier chef la France, ont engagé un processus de négociation diplomatique mis à mal désormais.

Chaque bord expose ses arguments. Il y a d’abord ceux qui comprennent l’invasion russe. Question de sécurité intérieure, l’OTAN a trop voulu s’étendre à l’est, trop d’impérialisme américain… C’est un argumentaire éminemment douteux pour justifier l’invasion d’un État souverain. D’une part, car si cet État est souverain il n’a pas à se laisser commander ses choix par son voisin, d’autre part, car en envahissant l’Ukraine, Poutine met la Russie tout aussi près de l’OTAN qu’elle ne l’aurait été avec l’OTAN en Ukraine. D’ailleurs Poutine n’a pas du tout invoqué l’OTAN comme raison de son occupation de l’Ukraine, mais la « démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine ». Pourquoi donc vouloir trouver des raisons à cette invasion que l’envahisseur lui-même n’exprime pas ? Si tant est que l’on comprenne les raisons données par Vladimir Poutine, elles restent également très floues. Démilitariser l’Ukraine ? Parce que l’Ukraine est en capacité de menacer la Russie militairement ? Dénazifier ? À croire que l’Ukraine est le IVe Reich. Évidemment que non, ce sont des prétextes fallacieux, et il est manifeste que pour Poutine, la Russie c’est l’Union soviétique, et qu’il ne la perçoit pas autrement, estimant toujours être le petit père des peuples, et cela inclut les Ukrainiens qui n’ont pas le droit de s’en trouver un autre, ainsi que toutes les anciennes républiques socialistes soviétiques.

Cela dit, ce n’est pas parce que l’envahisseur est Vladimir Poutine qu’il est le seul à blâmer dans cette situation, ni même qu’il soit le seul coupable. En fait, l’invasion de l’Ukraine est autant le résultat de l’impérialisme poutinien, que celui d’une Europe qui depuis des années et des années n’est plus qu’un grand vide. L’Europe est devenue le valet d’un autre impérialisme, celui des États-Unis, et elle n’a plus aucune conscience de son importance sur la scène internationale, au point même de s’être presque entièrement donnée à l’OTAN sous forme de ficelles au marionnettiste américain. Cela n’est pas nouveau, je dirais même que c’est le grand malheur de l’Europe à l’échelle du monde depuis la Seconde Guerre mondiale et la raison de son déclin généralisé, tant économiquement, culturellement que militairement. Mais tant que tout va bien, qu’il n’y a pas de grands évènements venant mettre en lumière ce déclin, ma foi, on s’en accommode. Le jour où il faut en sortir, malheureusement, c’est plus compliqué. Force est de constater qu’en regard de l’impérialisme poutinien, il n’y a que du vide, et c’est en profitant de ce vide que Vladimir Poutine peut se permettre ce qu’il veut. Il a la volonté, nous lui donnons la possibilité. Poutine n’a depuis longtemps aucun respect pour l’Occident qu’il méprise, qu’il méprise pour sa faiblesse, qu’il méprise, car il l’estime « efféminé », abandonné à des idéologies décadentes, perdues, comme jadis l’Empire romain, dans le lucre, le vice et la paresse. Il voit l’UE enchainée à la locomotive américaine et perdue avec elle dans la débauche. Tout cela, une chose le lui confirme : l’incapacité de l’Occident à mobiliser ses troupes, à l’affronter sur son terrain, et à préférer se défiler en utilisant comme armes des mesures économiques dont les conséquences sur la Russie sont équivalentes à celles qui frappent ceux qui les emploient. La vérité, c’est que le conflit ukrainien est autant la volonté de l’un que les faiblesses des autres. Lorsqu’Emmanuel Macron est allé voir le président Poutine, il est venu les mains vides, en souris face au chat, mais on ne négocie pas de la sorte. Il n’a pas fallu plus que l’assurance que les États-Unis n’interfèreraient pas militairement dans ses opérations ukrainiennes et l’assurance, de fait, que l’Europe non plus, pour agir selon son bon vouloir.

Aussi, tant que l’Europe ne se prendra pas en main, tant qu’elle refusera non pas de faire la guerre, mais de seulement monter sur le ring, tant qu’elle n’aura pas de conscience propre, il est évident que Poutine est plus libre que l’air de faire ce qu’il veut. Pourquoi demain ne lorgnerait-il pas une autre ancienne République socialiste, comme la Moldavie par exemple qui fin 2021 a signé des accords de coopération renforcée avec l’UE et n’est pas membre de l’OTAN ? Qui l’en empêcherait, puisque l’Europe n’est prête à rien, sauf à condamner fermement ?

Pour avoir un monde de paix, il faut un monde d’équilibre, et pour avoir un monde d’équilibre, il faut combler les vides, et pour l’heure, l’Europe est un grand vide.

Alors bien sûr, nos dirigeants sont coupables, mais à leur décharge, l’opinion publique refuse majoritairement l’interventionnisme en Ukraine. « Nous ne sommes pas assez forts », « La Russie a raison », « L’Ukraine ce n’est pas chez nous », « On n’est pas concerné », les raisons sont multiples. Il convient d’abord de souligner que mobiliser ce n’est pas entrer en guerre. Mobiliser c’est prévenir que l’on monte sur le ring, et dire à l’autre qu’on est déterminé à l’affronter si besoin. Or, Vladimir Poutine n’est absolument pas prêt à mener une guerre contre l’Europe. Le mirage nucléaire est ridicule, puisqu’il sait que dans une guerre entre puissances nucléaires il n’y a pas de vainqueur, et c’est un vainqueur dans l’âme. Par contre, s’il voit que l’Occident n’a pas la faiblesse de tout lui laisser se permettre comme il le suppose et que la situation pourrait s’envenimer, il se mettra à la table des négociations avec un peu plus d’estime et donc en étant un peu plus à l’écoute de ce que l’Europe propose. A fortiori si cette Europe a choisi de mobiliser lorsque les États-Unis l’ont refusé, car il verra alors un voisin plus affranchi de l’hydre américaine qu’il ne l’imaginait également. Si l’opinion publique, à juste titre, n’est pas favorable à une guerre, elle doit comprendre que sans capacité de dissuasion, les négociations qu’elle appelle de ses vœux sont strictement impossibles.

Par ailleurs, l’opinion publique est contre l’interventionnisme, car elle ne se sent pas concernée. Pourtant, elle l’est déjà au premier chef. 70% des Français ne sont-ils pas déjà concernés par l’essence à plus de 2 euros, la baguette à 1 euro 10, le gaz qui a bondi ? Les Français estiment-ils que plus dix centimes en une semaine sur ces produits ne les concerneraient toujours pas ? Et les Français ne sont-ils pas concernés lorsqu’Ursula Von Der Leyen évoque des millions de réfugiés ukrainiens qu’il faudra accueillir ? Et comment la France ne pourrait-elle pas être concernée par un conflit lorsque ce conflit est plus proche de nos frontières qu’un Brestois ne l’est de Nice ? Que ce conflit est aux portes de partenaires européens ? Soyons sérieux, dans un monde hyperconnecté et très interdépendant, un conflit tel que celui qui se déroule aujourd’hui dans une zone hautement stratégique concerne bien au-delà des seuls Russes et Ukrainiens.

Il n’y aura donc que deux issues possibles à cette situation. Soit rien ne change, et rien ne peut empêcher Poutine d’annexer l’Ukraine si ça le chante, et peut-être, dans quelques années, de lorgner sur une autre ancienne République socialiste un peu trop émancipée de sa tutelle, soit l’Europe retrouve de sa superbe, s’émancipe également, et s’en va dire à Poutine qu’elle n’est pas la paillasse amorphe et soumise telle qu’il la voit. Il ne s’agit pas de faire la guerre à Poutine, mais de lui signifier que s’il la cherche, il la trouvera. Mais la vraie question, la seule vraie question que soulève le conflit ukrainien est bien celle-ci : « Reste-t-il assez de force et de dignité à l’Europe, pour, ce jour où l’histoire les réclame, les faire ressurgir ? » Après autant d’années à tomber en poussières, à se décrépir, rien n’est moins certain, mais l’optimisme fait vivre, et pour quelqu’un qui ne croit pas ces valeurs perdues, tout est possible !

Cette tribune a initialement été publiée sur Tysol France, le site d’actualité français de l’hebdo du syndicat Solidarność.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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