Le Kenya reporte son projet de déploiement de policiers en Haïti après la démission d’Ariel Henry

Selon le ministre des affaires étrangères, aucun déploiement ne sera entrepris tant qu'une administration stable n'aura pas été mise en place en Haïti.

Par Dominic Kirui
20 mars 2024 16:23 Mis à jour: 20 mars 2024 16:23

Le Kenya a suspendu son projet de déployer un millier de ses policiers pour diriger la mission en Haïti visant à rétablir l’ordre public dans les rues — en proie à des manifestations de gangs au cours des derniers mois — après que le Premier ministre du pays, Ariel Henry, a cédé à la pression et a démissionné.

Nairobi, la capitale du Kenya, a pris cette décision alors qu’elle s’était montrée enthousiaste, en octobre dernier, à l’idée de diriger une mission de maintien de la paix des Nations unies en Haïti. Les plans de maintien de l’ordre ont suscité des critiques parmi les Kényans, la majorité d’entre eux estimant que le pays devait définir des priorités dans le déploiement de sa police en Haïti.

Le plan a également été contesté devant les tribunaux. La plus haute juridiction du Kenya, la Cour suprême, a estimé qu’il était inconstitutionnel pour le président de déployer des policiers en Haïti, en partie en raison de l’absence d’accords mutuels sur de tels déploiements entre les deux pays ; une décision que le président kenyan Wiliam Ruto s’obstine à contester.

Le 13 mars, M. Ruto a déclaré sur X qu’il avait parlé avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken qui l’a informé des derniers développements en Haïti, et qu’il a assuré M. Blinken de l’engagement du Kenya pour le déploiement de sa police en Haïti.

« J’ai assuré au secrétaire d’État Blinken que le Kenya prendrait la direction de la mission de soutien à la sécurité des Nations unies en Haïti afin de rétablir la paix et la sécurité », a-t-il déclaré.

Un peu plus tôt, le secrétaire principal aux affaires étrangères du Kenya, Korir Sing’oei, a déclaré que le Kenya devait suspendre le déploiement de 1000 de ses policiers jusqu’à ce qu’une administration soit clairement mise en place en Haïti. Cette annonce est intervenue après qu’ à Haïti M. Henry a déclaré qu’il démissionnerait une fois qu’un conseil présidentiel aura été constitué.

Haggai Chogo, un analyste de la sécurité de Nairobi, affirme que le Kenya ne pourra envoyer sa police dans la nation caribéenne que s’il le fait correctement, et uniquement dans le cadre du droit international de la police. M. Chogo faisait référence à un incident lors duquel un policier kenyan est décédé dans un hôtel américain, supposément pendant qu’il était en déplacement vers Haïti.

« Si vous voulez mon avis, l’officier, qui était un officier de la police administrative, n’était pas censé être déployé parce que la loi ne le prévoit pas. La police administrative est une police tribale qui n’est pas régie par la loi internationale sur la police et qui ne peut être utilisée que localement pour assurer la sécurité et maintenir l’ordre public », a-t-il déclaré.

Pas d’obligation

Susan Mukami, femme d’affaires et résidente de Nairobi, estime qu’elle ne ressent pas l’obligation pour le Kenya de régler les problèmes posés par les manifestations de rue et les troubles en Haïti, alors que son pays est confronté à ces mêmes problèmes ainsi qu’à d’autres questions à l’intérieur de ses propres frontières.

« Pour autant que je sache, ce pays n’avait même pas assez de policiers pour servir ses concitoyens, sans parler d’un surplus à envoyer dans un autre pays. Au moins, la police pourrait être envoyée dans un pays voisin, dont l’instabilité menacerait la sécurité et la stabilité de notre pays », a-t-elle ajouté.

La nation caribéenne, située à 12.000 km de distance, a connu une série de violences de rue depuis l’assassinat de son ancien président, Jovenel Moïse, en juillet 2021. Son successeur, M. Henry, s’est efforcé de cimenter un leadership reconnu pour son peuple, après avoir échoué à organiser des élections générales en janvier 2023 en invoquant des niveaux sans précédent de violence des gangs. Ainsi, la nation s’est retrouvée privée d’un dirigeant démocratiquement élu.

La violence des gangs n’est pas nouvelle en Haïti, puisque l’histoire montre que les dirigeants précédents les ont formés et utilisés pour soutenir leur programme politique, parallèlement au système policier du pays. Selon un rapport publié en octobre 2022 par l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, qui détaille la chronologie des gangs haïtiens, ces derniers existent depuis l’époque de François « Papa Doc » Duvalier, le dirigeant élu devenu dictateur de 1957 à 1971. Les dirigeants successifs ont formé et utilisé des groupes armés externes aux forces de sécurité nationales pour se protéger ou pour imposer leurs programmes et leurs intérêts personnels.

M. Ruto a déclaré que lui et M. Henry avaient assisté à la signature des accords de réciprocité pour sauver le plan d’envoi de la police kenyane en Haïti le 1er mars, ouvrant ainsi la voie légale au déploiement.

Alors que M. Henry se trouvait à Nairobi pour signer le pacte avec le Kenya, la violence s’est fortement intensifiée en Haïti depuis le 29 février. Des hommes armés ont brûlé des postes de police, fermé les principaux aéroports internationaux et fait une descente dans les deux plus grandes prisons du pays, libérant plus de 4000 détenus.

Il a donc été difficile pour le premier ministre de ce pays des Caraïbes de prendre l’avion pour rentrer dans son pays. Il est resté bloqué quelques jours à Porto Rico avant d’annoncer qu’il cédait aux exigences des chefs de gangs qui lui demandaient de démissionner.

Mais alors que le Kenya envisage de poser ses bottes sur le sol haïtien, il pourrait tout aussi bien priver ses propres citoyens des services dont ils ont tant besoin. Les Nations unies recommandent que chaque pays ait au moins un ratio d’un policier pour 450 citoyens. Le Kenya se situe actuellement à 1 pour 1150.

Selon M. Chogo, les agents de la police administrative ne pourront être déployés en Haïti, à tout le moins, qu’après avoir reçu une nouvelle formation, ainsi que l’uniforme de la police kényane, pour se qualifier au cadre de la loi internationale sur la police.

« Laissons la police s’occuper de cette affaire comme il se doit, mais ne mélangeons pas notre police kenyane dans la mesure où elle s’est diluée et n’a pas agi comme elle était censée le faire. La prochaine fois, ils appelleront la Kenya Wildlife Police », a déclaré M. Chogo.

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