Le nopal, un cactus ancestral à l’histoire remarquable

Par Paul Tourège
17 août 2017 16:54 Mis à jour: 15 mars 2023 00:27

Originaire d’Amérique centrale, le nopal est une plante arborescente de la famille des cactus faisant partie des oponces ou opuntias. On dénombre plusieurs dizaines d’espèces différentes à travers le globe.

Le figuier de Barbarie (opuntia ficus-indica) représente une des variétés les plus répandues. Il s’épanouit notamment sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, entre le sud de l’Europe et l’Afrique du Nord.

Découvert au Mexique par les conquistadors espagnols – qui l’introduisirent en Europe et l’exploitèrent pendant plusieurs siècles – le nopal finit par tomber dans l’anonymat, avant que la médecine occidentale moderne ne s‘intéresse à nouveau à ses propriétés exceptionnelles au cours des vingt dernières années.

Les plants de nopals se composent de plusieurs articles, c’est-à-dire de tiges ovales à la fois plates et charnues, qui ressemblent à des raquettes dont la surface est parsemée d’alvéoles recouvertes de redoutables épines. Ils présentent un tronc ligneux et cylindrique, constitué de vieux articles desséchés ayant peu à peu perdu leurs formes arrondies.

Nopal dans la vallée de Tehuacan, au Mexique. (Joel Merino/AFP/Getty Images)

À la belle saison, la plante se couvre de fleurs sessiles qui apparaissent au sommet des raquettes et forment de larges corolles aux nuances jaunes, rouges et orangées. Ces fleurs éphémères donnent ensuite naissance à des fruits imposants d’aspect ovoïde, aux couleurs vives et ornés de piquants.

Les baies du nopal sont communément appelées figues de Barbarie sous nos latitudes, tandis que les Amérindiens leur préfèrent le nom de tunas.

Une plante sacrée utilisée depuis des siècles par les peuples précolombiens

Le nopal occupait une place particulière parmi les civilisations mésoaméricaines et faisait l’objet de plusieurs légendes. Sa richesse nutritive, ses multiples vertus médicinales et les nombreux usages annexes auxquels il se prêtait, l’amenaient à être considéré comme une ressource naturelle particulièrement précieuse, au même titre que le maïs, le cacao, l’amarante, le peyotl, l’agave ou la spiruline.

Au moment de sa découverte par les conquistadors, le nopal était d’ailleurs déjà consommé depuis plusieurs milliers d’années par les indigènes, comme l’attestent les fouilles archéologiques réalisées dans les années soixante dans la vallée de Tehuacán, au centre du Mexique. Elles permirent d’identifier la présence de fibres de nopal, ainsi que de graines et de peaux issues de ses fruits, parmi les différents vestiges des tombes mises au jour.

Cueillette des figues de Barbarie en Palestine. (Abbas Momani/AFP/Getty Images)

Selon la légende, le nopal a d’ailleurs joué un rôle prépondérant dans la création de la ville de Tenochtitlan, capitale de l’empire des Aztèques.

Le mythe fondateur de la cité – dont il existe plusieurs versions – décrit l’errance interminable du peuple aztèque à travers les contrées désertiques du nord du Mexique, jusqu’à la découverte du signe promis par Huitzilopochtli, une des principales divinités tutélaires de la tribu, pour fonder leur capitale.

Après plusieurs dizaines d’années d’exode, les Aztèques aperçurent enfin le symbole espéré sur une île du lac Texcoco : un aigle perché sur un nopal et tenant dans son bec un serpent. Ils édifièrent à cet endroit la cité de Tenochtitlan, autour d’un temple gigantesque dédié à la divinité.

Au XVIe siècle, les troupes espagnoles commandées par Hernán Cortés la conquirent et bâtirent la ville de Mexico sur ses ruines.

Depuis le XIXe siècle, les armes du Mexique, qui figurent au centre du drapeau national, représentent d’ailleurs un nopal sur lequel se dresse un aigle dévorant un serpent. La plante constitue ainsi un véritable emblème, particulièrement cher aux habitants du pays.

Drapeau du Mexique. (Richard Heathcote/Getty Images)

Un avantage décisif pour l’armada espagnole

La forme singulière du nopal suscita l’étonnement et la curiosité des explorateurs du Nouveau Monde. Du reste, ils en tirèrent rapidement avantage pendant leurs voyages au long cours. Lors de ces périples, qui pouvaient s’étendre sur plusieurs mois sans aucune escale, la conservation des aliments représentait en effet un enjeu fondamental.

Les fruits et les légumes frais se détérioraient très vite et les carences en vitamines étaient monnaie courante à bord des navires. Le manque de vitamine C affectait particulièrement les marins et engendrait de terribles épidémies de scorbut, capables de décimer les équipages en quelques semaines.

La teneur significative du nopal en vitamine C, sa longévité et sa résistance, se révélèrent de précieux atouts qui permirent de préserver la santé des navigateurs en limitant les carences nutritionnelles à l’origine du scorbut. La couronne espagnole conserva d’ailleurs longtemps ce secret, qui lui procurait un avantage stratégique et militaire notable sur les puissances maritimes rivales.

Une plante nourricière indispensable à l’élevage des cochenilles

Pendant la conquête, les Espagnols finirent également par découvrir la culture des cochenilles au sein de vastes nopaleraies. Situées sur les hauts plateaux de la région d’Oaxaca, au sud du Mexique, elles abritaient certaines variétés spécifiques de nopals propices à l’élevage du précieux insecte.

De taille minuscule, la cochenille est un parasite naturel du nopal qui prospère sur les parties tendres de la plante et en absorbe les sucs pour se nourrir. Le corps des femelles et leurs œufs contiennent de l’acide carminique, un éther de couleur cramoisi qui agit comme un répulsif envers les prédateurs de l’insecte.

Cochenilles installées sur une des raquettes d’un nopal. (Desiree Martin/AFP/Getty Images)

Les peuples mésoaméricains, notamment la tribu des Zapotèques, maîtrisaient la culture du nopal et l’élevage des cochenilles domestiquées, qui leur permettaient de produire un superbe colorant naturel : le rouge carmin. Ce pigment aux tons éclatants était utilisé pour teindre différents textiles et servait aussi à colorer les somptueux édifices et les œuvres d’art des autochtones.

Outre l’entretien des nopaleraies et les soins prodigués aux cochenilles, l’obtention de ce colorant requérait de nombreux efforts et l’exécution de plusieurs processus délicats et minutieux, fruits d’un savoir-faire ancestral développé au cours de longues années d’expérience.

Au terme de leur croissance, avant la période de ponte, les femelles sont identifiées et récoltées à la main sur chaque plante. La dessication des insectes permet ensuite d’assurer leur conservation et d’éviter qu’ils ne pourrissent. Une des méthodes fréquemment employée consistait par exemple à les immerger dans l’eau bouillante. Les cochenilles étaient ensuite séchées au soleil, puis passées au crible afin d’éliminer les impuretés.

Cochenilles desséchées après leur récolte sur des nopals aux îles Canaries. (Desiree Martin/AFP/Getty Images)

D’autres procédés destinés à dessécher l’insecte reposaient sur l’utilisation de fours traditionnels ou de plaques chauffées. La méthode utilisée influence de manière notable la pureté et l’éclat du pigment obtenu. Un colorant plus grossier peut d’ailleurs être préparé simplement à partir d’insectes pulvérisés.

Les conquistadors furent impressionnés par la beauté et la luminosité des rouges qui recouvraient les tissus et les peintures des peuples amérindiens. Ils développèrent et encadrèrent la culture des nopals et des cochenilles afin d’accroître la production de pigments, qui devinrent très prisés en Europe dès la seconde moitié du XVIe siècle.

La variété, la profondeur et la solidité des teintes fournies par la cochenille mexicaine lui permirent ainsi de supplanter rapidement les colorants produits jusqu’ici en Europe, à partir de l’insecte parasite du chêne kermès. Cette espèce de cochenille méditerranéenne servait à fabriquer un pigment rouge écarlate, utilisé dans la teinte des étoffes et l’enluminure des manuscrits depuis le Moyen-Âge.

Le coût de production de ce colorant était plus élevé et il bénéficiait d’un pouvoir tinctorial plus faible, ce qui permit à la cochenille mexicaine d’asseoir son hégémonie de manière définitive et d’assurer à la couronne espagnole un monopole absolu sur la commercialisation du carmin.

Les exportations du précieux pigment occupèrent d’ailleurs une place essentielle dans l’économie espagnole et constituèrent une source de profits considérables, seulement devancée par les exportations de métaux précieux extraits des mines du Nouveau Monde.

Différentes nuances de carmin obtenues à partir de cochenilles et ayant servi à teindre plusieurs écheveaux de laine. (Desiree Martin/AFP/Getty Images)

Afin d’assurer la pérennité de son monopole, l’Espagne parvint à préserver jalousement les secrets liés à la production du rouge carmin jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, allant jusqu’à interdire la sortie de cochenilles vivantes hors de ses colonies.

Toutefois, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les teintures synthétiques firent leur apparition et remplacèrent peu à peu les pigments naturels. Résistants, plus faciles à produire et beaucoup moins onéreux, les colorants chimiques précipitèrent le déclin de la production du carmin issu de la cochenille, supplanté par l’alizarine dès la fin du XIXe siècle.

Cependant, les pigments naturels sont à nouveau prisés aujourd’hui, des doutes ayant été soulevés au sujet de l’innocuité des substances synthétiques utilisées jusqu’alors. Ils entrent désormais largement dans la composition des produits fabriqués par les industries alimentaires et cosmétiques, ou les laboratoires pharmaceutiques.

Pigment carmin obtenu à partir de cochenilles élevées sur l’île de Lanzarote, dans les îles Canaries. (Desiree Martin/AFP/Getty Images)

C’est par exemple le cas du colorant naturel E120, issu des cochenilles et que l’on retrouve parmi un large éventail de marchandises destinées à l’alimentation comme la charcuterie, les sodas, les confiseries ou les produits laitiers, mais aussi dans certains médicaments et produits de beauté tels que les rouges à lèvres ou les vernis à ongles.

Bien que la culture des cochenilles ait finalement été introduite dans l’archipel des Canaries par les Espagnols au début du XIXe siècle et y existe toujours, c’est maintenant au Pérou que l’élevage des insectes au sein d’immenses nopaleraies est le plus développé.

Avec près de quatre-vingts pour cent de la production mondiale, le territoire andin s’assure en effet la mainmise sur le commerce du fameux pigment. La France représente d’ailleurs un des principaux importateurs du rouge carmin issu des cochenilles. Il est donc fort probable que bon nombre d’entre nous aient déjà eu au moins une fois affaire à ces antiques hémiptères.

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