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Le plan quinquennal chinois fragilisé par la surcapacité et la guerre commerciale, selon des analystes
Pékin dévoile les lignes de son prochain plan économique sur fond de confrontation accrue avec Washington et de montée des tensions sociales.

Une ouvrière surveille une ligne de production de soie haut de gamme chez Anhui Jingjiu Silk Company, à Fuyang, dans la province de l’Anhui (est de la Chine), le 20 octobre 2025.
Photo: -STR/AFP via Getty Images
Les objectifs économiques fraîchement publiés par Pékin ne s’attaquent pas aux questions structurelles critiques, comme la surcapacité et l’escalade des différends commerciaux avec les États-Unis, qui menacent la stabilité et la croissance future de l’économie chinoise, estiment des analystes.
Le Parti communiste chinois (PCC) a bouclé, le 23 octobre, son quatrième plénum — grande réunion annuelle d’orientation — après quatre jours de discussions, l’agence officielle Chine nouvelle (Xinhua) saluant aussitôt les « importantes réalisations en matière de développement » de la période quinquennale qui s’achève.
L’agence d’État a également esquissé le 15e Plan quinquennal, la feuille de route économique de la Chine pour 2026 ‑ 2030, affirmant que le PCC « ouvre de nouveaux horizons à la modernisation à la chinoise ».
En dépit de ce récit optimiste, les tensions commerciales avec Washington se sont ravivées. L’administration Trump envisage désormais de restreindre des exportations réalisées avec des logiciels américains, en réaction aux dernières limitations chinoises sur les terres rares, selon Reuters qui cite un responsable américain et trois sources informées.
Pas de sortie de route pour la guerre commerciale sino-américaine
Les détails des discussions, tenues à huis clos, n’ont pas été divulgués, et le contenu intégral du nouveau plan ne doit être présenté qu’en mars prochain.
Chen Chien‑fu, professeur associé au département de diplomatie et de relations internationales de l’université Tamkang (Taïwan), souligne que le 15e Plan ayant été élaboré en amont, il ne reflète pas immédiatement les enjeux du moment et ne peut offrir de solution concrète à l’impasse commerciale entre les États‑Unis et la Chine.
« À l’approche du sommet de la Coopération économique Asie‑Pacifique [APEC] en novembre, où le président chinois Xi Jinping pourrait rencontrer le président américain Trump, alors que les deux camps sont empêtrés dans des tarifs punitifs et un conflit autour des terres rares, le calendrier est plutôt délicat », a indiqué M. Chen, également directeur du Centre d’études sur la Chine continentale à Tamkang University, à Epoch Times.
Selon le communiqué, le 15e Plan vise des « avancées significatives en matière de développement de haute qualité » et un « renforcement substantiel de l’autonomie et de la puissance technologiques ».
Arthur Ding, professeur émérite à l’Université nationale Chengchi (Taïwan), avertit que le plénum n’a guère apporté de réponses au conflit commercial en cours, signe que la compétition sino‑américaine devrait s’intensifier sur le long terme.
« Pékin ne va pas assouplir ses restrictions sur les exportations de terres rares, et Trump bloquera probablement l’accès de la Chine aux logiciels et aux outils avancés de conception de puces. Après ce plénum, il ne faut pas s’attendre à de grands progrès sur les dossiers économiques et commerciaux », a déclaré M. Ding à Epoch Times.
La crise de surcapacité reste sans réponse
Si les tensions commerciales constituent une urgence, un problème plus fondamental demeure la surcapacité chinoise, que le cabinet d’analyse Capital Economics a qualifiée en juillet de « cadeau désinflationniste et menace géopolitique ».
M. Ding anticipe qu’en l’absence de changement dans l’architecture politique du PCC, la surcapacité a peu de chances d’être traitée.
« Xi a insisté sur la construction d’un marché national unifié pour s’attaquer à la surcapacité. Mais, depuis des décennies, les dirigeants provinciaux, en concurrence pour des promotions indexées sur la performance locale, ignorent souvent les directives du centre — il est donc douteux que le plénum puisse résoudre cette crise », observe‑t‑il.
À mesure que la surcapacité s’aggrave, ajoute‑t‑il, un nombre croissant de pays imposeront des droits de douane élevés à la Chine, et les tensions commerciales dépasseront le seul face‑à‑face avec Washington.
« Une guerre commerciale sino‑européenne se profile, la surcapacité chinoise menaçant de décimer le secteur des véhicules électriques en Europe. Sans action de Pékin, l’UE et les États européens imposeront probablement des tarifs élevés pour éviter une perturbation massive de l’industrie », estime‑t‑il.
Face à ces barrières, Chen Ian Tsung‑yen, professeur et directeur de l’Institut de science politique de l’Université nationale Sun Yat‑sen (Taïwan), note que de nombreuses marques chinoises, comme le constructeur de véhicules électriques BYD, tentent de se présenter comme occidentales sur les marchés étrangers, ce qui peut temporairement apaiser les inquiétudes liées à la surcapacité chinoise.
M. Chen Ian souligne toutefois que la surcapacité reste une menace interne sérieuse pour l’économie chinoise.
« La surcapacité chinoise ne nuira peut‑être pas lourdement à l’économie mondiale, mais elle crée de graves problèmes domestiques. Gérer d’immenses stocks invendus laisse peu de marges pour l’innovation ou la montée en gamme industrielle », a‑t‑il indiqué à Epoch Times.
La contestation sociale met à l’épreuve l’emprise du PCC
Avant le plénum, la croissance de la Chine a ralenti à 4,8 % sur les trois mois clos fin septembre, selon des chiffres officiels, soit son rythme le plus faible en un an.
Dans le même temps, les mouvements sociaux se sont intensifiés, notamment les grèves liées aux salaires impayés, en hausse de 66 % au premier semestre 2025 par rapport à la même période en 2024, rapporte Freedom House.
Cette pression économique alimente des protestations organisées et, comme l’anticipe M. Ding, un risque de fragmentation sociale à l’échelle individuelle.
« À mesure que les revenus se contractent, sur fond de ralentissement et même de déflation, l’humeur générale se dégrade inévitablement, ce qui pourrait entraîner une hausse des actes isolés », observe‑t‑il.
Jonathan Ping, professeur associé à l’Université Bond (Australie), partage cette inquiétude et met en garde : si le plénum ne présente pas une trajectoire crédible de redressement, ces tensions sociales pourraient déborder sur le terrain politique.
« Le mécontentement public pourrait s’intensifier, surtout avec la montée du chômage et des tensions sociales. Une agitation persistante peut remettre en cause le récit de stabilité et de contrôle du PCC, au risque d’éroder la confiance du public », a‑t‑il déclaré à Epoch Times.
M. Ping ajoute que, malgré des mécanismes puissants de gestion de la contestation, des difficultés économiques durables et une frustration visible « peuvent pousser la direction à adopter des politiques plus réactives » ou « risquer de saper sa légitimité ».
Relations avec Taïwan
Comme attendu, le communiqué a aussi abordé la question du détroit, reprenant une rhétorique familière appelant au « développement pacifique des relations entre les deux rives du détroit de Taïwan » et à la « réunification nationale ».
Des experts divergent toutefois sur l’interprétation de cette position.
Zhu Zhiqun, professeur de science politique et de relations internationales à l’université Bucknell, y voit un discours plus conciliant envers Taïwan, notamment au regard d’une évolution récente de l’opposition taïwanaise pro‑chinoise, le Kuomintang (KMT).
« L’élection récente de Cheng Li‑wun à la tête du KMT a donné à la Chine l’impression que tous les Taïwanais ne sont pas hostiles à Pékin, offrant une lueur d’espoir pour une réunification pacifique. Par conséquent, ils jugent inutile d’abandonner les efforts d’échanges pacifiques », a expliqué M. Zhu à Epoch Times.
M. Chen Chien‑fu abonde en ce sens, notant que si le KMT se montre disposé à dialoguer, Pékin semble mettre en sourdine sa propre rhétorique la plus dure, dans l’espoir de faire retomber les tensions à l’approche du sommet de l’APEC.
« En vue d’une possible rencontre avec Trump en novembre, la Chine doit éviter une rhétorique trop martiale sur Taïwan. Cela donne aux deux puissances davantage d’espace pour le dialogue », estime M. Chen.
M. Chen Ian Tsung‑yen propose cependant une lecture inverse : la récente purge militaire indiquerait que Xi consolide son contrôle sur la politique étrangère et inter‑détroit — une évolution qui pourrait nuire à la stabilité dans le détroit de Taïwan.
Cette purge a déjà vu neuf généraux publiquement expulsés du Parti, marquant la mesure disciplinaire la plus significative dans l’armée depuis des décennies.
« Lorsque ce type de pouvoir de défense se concentre entre les mains d’un seul homme, et que sa détermination à la réunification se renforce, ce n’est certainement pas une bonne nouvelle pour Taïwan », avertit M. Chen Ian.

Jarvis Lim est un écrivain basé à Taïwan qui s'intéresse particulièrement aux droits de l'homme, aux relations entre les États-Unis et la Chine, à l'influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-Est et aux relations entre la Chine continentale et Taïwan.
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