Le projet Neuralink de Musk est prometteur pour les personnes handicapées mais pose des problèmes éthiques pour le grand public, préviennent les spécialistes

Par Petr Svab
24 décembre 2022 08:00 Mis à jour: 26 décembre 2022 08:12

L’implant Neuralink qui vise à permettre à une personne de contrôler un ordinateur par la pensée a de bonnes chances d’atteindre son objectif initial d’aider les personnes paralysées à communiquer. Il pourrait, du moins dans une certaine mesure, contribuer à restaurer la vue des aveugles. Selon plusieurs neuroscientifiques, il pourrait, dans une large mesure, rétablir le contrôle des membres pour les personnes souffrant de blessures à la colonne vertébrale.

Mais lorsqu’il s’agit des objectifs plus larges de Neuralink, qui consistent à permettre aux personnes en bonne santé d’utiliser des ordinateurs par la seule pensée, la capacité technique est réalisable, mais entraîne des problèmes d’éthique, de sécurité, de confidentialité et des questionnements d’ordre philosophiques, expliquent les spécialistes à Epoch Times.

Neuralink – fondée en 2016 par Elon Musk – a récemment demandé à la Food and Drug Administration (FDA) de procéder à des essais humains de ses implants cérébraux. L’entreprise a organisé une présentation de trois heures sur ses progrès, avec notamment des démonstrations d’un singe contrôlant un ordinateur avec son esprit, d’un robot capable de gérer certaines des parties les plus délicates de la chirurgie d’insertion d’un implant cérébral requise, ainsi que d’un cochon dont les jambes peuvent être contrôlées à distance par un ordinateur.

La présentation comprenait également un singe doté d’un implant cérébral qui lui permet de voir des éclairs lumineux, ce qui constitue un pas vers la proposition de la société de restaurer la vision des aveugles.

« L’objectif global de Neuralink est de créer, à terme, une interface cérébrale complète. Il s’agit donc d’un dispositif d’entrée sortie généralisé qui, à long terme, pourrait littéralement se connecter au cerveau sous tous ses aspects, à court terme, se connecter avec n’importe quelle section du cerveau et résoudre un très grand nombre de problèmes débilitants pour les gens », a déclaré Elon Musk lors de la présentation.

La technologie Neuralink « a beaucoup de sens » pour aider les personnes handicapées, déclare Nicho Hatsopoulos, professeur de neurologie à l’Université de Chicago et un des pionniers du développement des interfaces cerveau‑ordinateur.

« C’est impressionnant, en réalité », conclut-il après avoir vu la présentation de Neuralink.

Mark Churchland, professeur associé de neurosciences à l’université de Columbia et expert en décodage des signaux cérébraux, salue Neuralink qui a fait passer la technologie de l’interface cerveau‑ordinateur de l’expérimentation au produit.

« Ils semblent disposer d’une interface sans fil solide, ce qui n’est pas une chose facile à construire. Et le fait de ne plus avoir besoin d’une armoire d’équipements et d’ordinateurs mais seulement d’un iPhone est impressionnant », déclare-t-il.

« En termes d’expériences proprement dites, il ne fait rien qui n’ait été fait auparavant, mais si vous le faites mieux et de manière plus commode, cela compte beaucoup. »

Lorsqu’il s’agit des projets de la société de produire un jour en masse les implants pour qu’ils soient utilisés par tout le monde, les Prs Hatsopoulos et Churchland se montrent beaucoup plus réservés.

« Nous allons devoir mener de sérieuses discussions éthiques », déclare le Pr Hatsopoulos, notant que « c’est une chose d’aider à restaurer la fonction chez les personnes handicapées », mais « c’est une autre chose ‘d’augmenter’ les gens ».

« L’augmentation va être une grande préoccupation éthique », ajoute‑t‑il.

Le Pr Churchland le déclare sans détour : « Je pense que c’est sûrement une très mauvaise idée. »

D’autres spécialistes ont également exprimé des inquiétudes, allant des questions philosophiques sur le libre-arbitre aux problèmes de sécurité et de confidentialité concernant les données collectées dans le cerveau, en passant par la possibilité de pirater l’implant.

Niveau 1 : la souris mentale

L’objectif initial de Neuralink est de permettre aux personnes aux capacités réduites de pouvoir contrôler un ordinateur. Au stade actuel de son développement, l’implant a globalement la taille d’une petite pile de pièces de 20 centimes. Pour l’installer, il faut d’abord couper et décoller un morceau de la peau du crâne du patient. Ensuite, un petit trou est percé dans le crâne. Dès lors, une série de fils souples et extrêmement fins sont reliés un par un à une aiguille fine, puis collés par un robot à l’intérieur de la couche superficielle du cerveau, dans la zone du cortex moteur. L’implant est placé à l’intérieur du trou dans le crâne, ce qui le rend étanche. La peau est cousue par‑dessus et, au fur et à mesure de sa guérison, l’implant devient invisible de l’extérieur.

On demande à la personne de penser, par exemple, à déplacer sa main dans une certaine direction. Les signaux correspondants de l’activité cérébrale émis par l’implant sont recueillis pendant un certain temps, traduits en données et en commandes informatiques par l’intelligence artificielle et, voilà, l’implant permet alors à la personne de contrôler un ordinateur par la pensée.

Lors de sa présentation Neuralink a diffusé la vidéo d’un singe avec cet implant. Le primate déplaçait le curseur d’une souris vers des positions surlignées sur un écran d’ordinateur, recevant des morceaux de smoothie à la banane par un tube en guise de récompense.

La technologie sous‑jacente est réelle et une expérience similaire a été répétée à de nombreuses reprises par des chercheurs utilisant diverses méthodes, selon Shinsuke Shimojo, professeur de psychologie expérimentale au California Institute of Technology.

En réalité, il est possible d’obtenir un effet similaire sans introduire de fils dans le cerveau, car une partie de l’activité cérébrale peut être détectée à la surface de la tête, explique-t-il, précisant qu’il travaille en ce moment même sur une telle technologie.

« Il est possible d’avoir d’assez bon résultats à partir d’électrodes situées à l’extérieur du crâne. Cela se fait déjà et ce sera encore mieux. »

La voie plus invasive empruntée par Neuralink est plus ambitieuse et plus délicate.

Les autorités réglementaires n’autorisent pas les techniques expérimentales invasives, sauf en cas de besoin médical urgent, fait remarquer le Pr Shimojo.

« Ce n’est pas un problème scientifique. C’est un problème d’éthique. »

Jusqu’à présent, de telles expériences ont été approuvées à petite échelle à des fins de recherche.

Au début des années 2000, des implants développés par Cyberkinetics, une société cofondée par le Pr Hatsopoulos, ont été testés sur plusieurs patients handicapés physiques. Le projet s’est essoufflé parce que les investisseurs s’en sont désintéressés, explique ce dernier.

Le logiciel sous‑jacent a été acquis par une société appelée BrainGate en 2008 et des essais cliniques sur de petits groupes de patients sont en cours dans plusieurs instituts de recherche, dont un appelé BrainGate2 sous la direction de Leigh Hochberg, professeur d’ingénierie à l’université Brown.

Tout récemment, la science a fait des avancées considérables et plusieurs entreprises ont décidé de passer de la recherche à un produit commercialisable, explique le Pr Hochberg.

Il aide désormais plusieurs de ces entreprises, dont Neuralink, en pourparlers avec la FDA pour mener des essais cliniques qui pourraient aboutir à l’approbation officielle de son implant comme traitement.

« Les essais cliniques de ce type prennent généralement quelques années », précise le Pr Hochberg.

Chaque nouveau modèle d’implant nécessitera de nouveaux essais, même s’il espère que les améliorations logicielles du système pourront être intégrées « plus rapidement éventuellement ».

La technologie a été favorisée par les progrès de l’apprentissage automatique, qui permet de faire correspondre des schémas de signaux cérébraux à des actions spécifiques, comme le déplacement du curseur d’une souris dans une direction particulière. L’apprentissage automatique permet de corréler les schémas cérébraux avec des résultats physiques sans qu’il soit nécessaire de comprendre la fonction de chaque neurone spécifique.

« C’est la différence entre l’approche scientifique et l’approche technique », commente le Pr Shimojo.

Les scientifiques essaient de découvrir comment les choses fonctionnent, par exemple en explorant « la façon dont chaque neurone est raccordé » ou « quelle est la hiérarchie du traitement de l’information dans les différentes parties du cerveau », explique-t-il. Par conséquent, ils essaient de comprendre les relations de cause à effet.

Les ingénieurs, quant à eux, doivent résoudre des problèmes concrets. Si une intelligence artificielle trouve un modèle qui correspond au résultat souhaité 95% du temps, cela peut être suffisant.

« Je pense qu’à l’heure actuelle, l’IA évolue dans cette direction, notamment grâce aux progrès de l’apprentissage profond. »

Niveau 2 : des yeux artificiels

La prochaine étape pour la technologie Neuralink serait de restaurer la vue. Le même implant serait inséré à l’arrière du crâne et connecté au cortex visuel, la partie du cerveau responsable du traitement des images provenant des yeux. Le flux vidéo provenant d’une caméra serait alors codé sous forme de signaux neuronaux et utilisé pour stimuler les neurones responsables du traitement des images, ce qui permettrait d’obtenir une image.

Cela semble possible en principe, mais il pourrait y avoir des difficultés en pratique.

« Il y a certaines contraintes qui peuvent être levées à terme par le simple progrès technique. Et puis il y a certaines limitations intrinsèques liées à la façon dont le cortex visuel lui‑même est organisé », déclare le Pr Shimojo.

Certains neurones du cortex visuel correspondent en effet à un emplacement dans le champ visuel. Cela signifie que la stimulation correcte d’un endroit du cerveau produit un flash lumineux à un endroit particulier de la vision et que la stimulation d’un autre endroit produit un flash lumineux à un endroit différent. Des expériences de ce type ont été réalisées chez les singes et Neuralink en a démontré une.

Mais « jusqu’à présent, la résolution est très, très faible ‑ ridiculement faible », déclare le Pr Shimojo.

Les flashs lumineux produits par cette stimulation ne peuvent être positionnés que sur une grille de 12 pixels sur 12, ajoute‑t‑il.

La qualité de l’image peut être améliorée en stimulant davantage de neurones, c’est‑à‑dire en insérant plus d’électrodes dans le cerveau. L’implant Neuralink utilise actuellement plus de 1000 électrodes, avec une promesse de 16.000 électrodes sur la même puce. Pour l’aide visuelle, la présentation proposait deux implants avec 16.000 électrodes chacun. Si chaque électrode pouvait être utilisée pour stimuler plusieurs « pixels », il serait peut‑être possible d’obtenir une qualité d’image comparable à celle d’un ordinateur des années 1980.

Mais même si le nombre d’électrodes est encore augmenté à l’avenir, la qualité de l’image obtenue resterait limitée, selon le Pr Shimojo.

Le problème est que si l’on crée une carte topographique du champ visuel, en attribuant à chaque neurone sa position dans le champ, le résultat n’est nulle part assez précis pour constituer une image claire.

« La carte topographique est en quelque sorte grossière et diffuse. Elle n’est pas précise. »

Les gens voient avec clarté grâce au traitement complexe et multicouche des images par le cerveau, où le signal peut aller et venir entre les couches et où les neurones aident les neurones adjacents dans leurs tâches.

Selon le Pr Shimojo, la façon dont l’implant pourrait obtenir un résultat comparable n’est pas encore claire.

« Ce n’est pas facile à résoudre du point de vue technique. »

Pour sa part, Elon Musk a indiqué que la vision pouvait être restaurée pour les personnes atteintes de cécité congénitale, car même ces personnes possèdent un cortex visuel.

« Même s’ils n’ont jamais vu auparavant, nous sommes convaincus qu’ils pourraient voir », a‑t‑il déclaré.

Mais le Pr Hatsopoulos n’est pas aussi convaincu.

« Je ne suis pas certain que cela soit possible », déclare-t-il.

Le problème est que le cortex visuel « se développe au cours des premières années de la vie » et que l’apport visuel des yeux « aide à organiser le fonctionnement du cortex visuel », explique-t-il.

Vers l’âge de deux ans, le cerveau perd sa capacité initiale à se développer aussi rapidement.

Ce développement précoce est « crucial », ajoute-t-il, en donnant l’exemple des enfants nés avec une cataracte. Il est possible de remédier à cette affection en remplaçant chirurgicalement les lentilles oculaires, mais cette opération doit être effectuée à un stade précoce. Si l’opération est réalisée trop tard, le patient ne pourra jamais voir, même si toutes les parties physiques sont présentes et fonctionnent.

« Tout va parfaitement bien, mais la personne ne comprendra pas les données visuelles qui lui parviennent. »

Niveau 3 : manier les membres

La présentation de Neuralink a montré comment les implants pourraient rétablir le contrôle des membres pour les personnes paralysées à la suite de blessures à la colonne vertébrale. Outre l’implant dans le cortex moteur, plusieurs autres implants seraient insérés dans la colonne vertébrale. Les signaux du cerveau seraient alors enregistrés et envoyés aux implants spinaux, comblant ainsi la partie où la moelle épinière est sectionnée ou endommagée.

En principe, cela est tout à fait réalisable, selon les spécialistes.

« En réalité, c’est ce que nous faisons en ce moment même », déclare le Pr Hatsopoulos. Son université travaille sur une technologie d’implant différente qui permet à un patient de contrôler un bras mécanique par l’esprit.

Un des défis consiste à enregistrer les données de nombreux neurones en même temps « pour obtenir le type de mouvement riche que l’on souhaite obtenir » afin de produire « un mouvement qui soit quelque peu normal », explique-t-il.

La lecture d’un millier de neurones devrait suffire à rétablir un « mouvement fonctionnel », permettant par exemple à une personne de se nourrir ou de s’habiller seule, poursuit-il.

« Peut‑être pas aussi rapidement que s’ils avaient un système intact, mais ils peuvent le faire », ajoute-t-il.

D’après ses spécifications techniques, l’implant Neuralink devrait permettre une large gamme de mouvements. La présentation comprenait la vidéo d’un cochon porteur d’implants cérébraux et rachidiens qui pliaient sa jambe et étiraient ses cuisses grâce à des commandes envoyées aux implants.

Faciliter des mouvements complexes, comme jouer du piano, nécessiterait probablement des milliers d’électrodes, selon le Pr Hatsopoulos.

Un autre défi consiste à affiner la stimulation afin qu’elle cible les fils musculaires qui ne se fatiguent pas rapidement.

« On doit faire plus que simplement activer les muscles », explique le Pr Churchland.

« On doit les activer d’une manière relativement naturelle pour éviter la fatigue. Et c’est tout à fait faisable, mais ce n’est certainement pas simple. »

Le fait que les patients coopèrent généralement de manière active pour que la solution fonctionne est utile dans cette entreprise. Même si le nombre d’électrodes peut créer un goulot d’étranglement, avec des efforts, les patients parviennent à raccorder leur cerveau pour tirer le meilleur parti de l’interface.

« Avec de la pratique, ils peuvent s’améliorer », affirme le Pr Hatsopoulos.

Toutefois, la capacité de bouger ne suffit pas. Pour rétablir véritablement la fonction d’un membre, il faut également rétablir le sens du toucher.

Cela signifie qu’il faut enregistrer les impulsions sensorielles du membre et les envoyer à un autre implant dans le cortex sensoriel du cerveau.

En principe, cela a déjà été fait. La stimulation de certaines cellules du cerveau, par exemple, peut donner l’impression que l’on touche quelque chose, explique le Pr Hatsopoulos se référant à des expériences réalisées dans son université. Le problème, là encore, est de lire et de stimuler suffisamment de neurones pour créer une expérience tactile suffisamment robuste.

Le Pr Hochberg reconnait que la technologie a encore beaucoup de chemin à parcourir à cet égard.

« Nous n’en sommes qu’au début, mais nous vivons des jours passionnants », déclare-t-il.

Pour un mouvement véritablement naturel, il faudra toutefois aller plus loin.

Une personne en bonne santé ne perçoit pas seulement le mouvement de ses membres à partir de ce qu’elle touche extérieurement, mais elle perçoit également le mouvement et la position de ses membres à l’intérieur de son corps.

Ce phénomène s’appelle la proprioception. Les scientifiques savent que certaines zones du cerveau reçoivent ce type d’entrées sensorielles, mais on ne sait pas encore très bien comment cela fonctionne.

« C’est la prochaine frontière dans ce domaine », annonce le Pr Hatsopoulos. « Personne ne l’a encore franchie à jour. »

Niveau 4 : les cyborgs

Pour Elon Musk, les projets de Neuralink ne se limitent en aucun cas à l’aide aux personnes handicapées. Les implants constituent davantage, selon lui, le modèle naturellement plus avancé d’un smartphone ou d’une smartwatch. Selon ces termes, il s’agit de « remplacer un morceau de crâne par une smartwatch, faute d’une meilleure analogie ».

« Je pourrais m’être fait implanter un dispositif Neuralink là maintenant et vous ne le sauriez même pas. Je veux dire, hypothétiquement, je pourrais être un de ces testeurs. En réalité, je serai l’une de ces démos », a‑t‑il déclaré sous les rires et les applaudissements du public.

Et d’ajouter : « Nous sommes tous déjà des cyborgs dans la mesure où notre téléphone et notre ordinateur sont des extensions de nous‑même. »

« Je suis sûr que vous avez constaté que si vous laissez votre téléphone derrière vous, vous finissez par tâter vos poches et c’est tout comme le syndrome du membre manquant. »

Neuralink pour les personnes en bonne santé, cependant, se projette dans un avenir lointain, voire improbable.

« La FDA n’approuvera pas son utilisation chez les personnes en bonne santé. Du moins dans cette version de l’implant », affirme le Pr Hatsopoulos, notant qu’il faudrait « démontrer un niveau de sécurité incroyable ».

Le Pr Shimojo exprime un sentiment similaire.

« Si la sécurité est prouvée, il est possible, dans un avenir très lointain, que des personnes intactes et en bonne santé aient des électrodes dans le cerveau. Mais je ne pense pas que cela se produira bientôt. »

La technologie devrait probablement arriver au point de donner aux personnes handicapées des capacités supérieures à celles des personnes en bonne santé.

Elon Musk pense que l’implant conférerait effectivement des capacités supérieures.

« Nous sommes convaincus qu’une personne n’ayant pratiquement aucune autre connexion avec le monde extérieur serait capable de contrôler son téléphone mieux qu’une personne dont les mains fonctionnent », a‑t‑il déclaré.

Mais même si l’implant est techniquement sûr, en ce sens qu’il ne risque pas de nuire accidentellement à l’utilisateur, et même s’il finit par passer le cap de la réglementation, la technologie se heurte à d’autres problèmes qui pourraient s’avérer insolubles.

Sécurité des données

L’implant Neuralink communique actuellement avec un ordinateur par Bluetooth. Ce système peut être piraté par un certain nombre d’outils facilement disponibles, selon Gary Miliefsky, expert en cybersécurité, directeur du Cyber Defense Media Group et membre du département américain de la Sécurité intérieure.

« Si vous êtes à proximité de la personne, vous serez probablement en mesure de voler certaines données. Ce n’est donc pas sûr », déclare-t-il.

Dans un premier temps, la communication entre l’implant et un ordinateur devrait être cryptée, mais cela épuiserait la batterie et la puissance de traitement de l’implant.

Même dans ce cas, « les gens trouveront des moyens de pirater » les implants, estime M. Miliefsky.

Il existe déjà des dispositifs capables de « déchiffrer » les protocoles de cryptage SSL et TLS couramment utilisés pour sécuriser les courriers électroniques, ajoute-t-il. Et les nouvelles technologies peuvent aller encore plus loin.

« L’informatique quantique peut probablement briser le cryptage actuel assez facilement. »

Un cryptage « à l’épreuve des quanta » se profile à l’horizon, mais la puissance de traitement qu’il requiert est bien au‑delà de ce qu’un petit implant pourrait gérer aujourd’hui ou même dans les décennies à venir, estime-t-il.

« Rien n’est à l’épreuve des balles. Rien n’est infaillible. Lorsqu’on nous dit qu’un système est inviolable, il est généralement piraté en cinq minutes, quel qu’il soit. »

Même si la communication entre l’implant et l’ordinateur est sécurisée d’une manière ou d’une autre, les données relatives à l’activité cérébrale peuvent toujours être récupérées sur l’ordinateur, par exemple en infectant l’ordinateur avec un logiciel malveillant.

« Soixante‑dix pour cent des nouveaux logiciels malveillants échappent à tous les scanners des antivirus. »

Admettons malgré cela que les données soient sécurisées d’une manière ou d’une autre sur l’ordinateur, les techniciens chargés de l’entretien de l’implant devront y avoir accès.

Toute personne ayant un accès interne au système Neuralink deviendrait immédiatement une cible de choix pour toutes les agences de renseignement et tous les acteurs malveillants du monde.

« Ce seraient des victimes sans qu’ils s’en doutent. Absolument. »

Et c’est sans compter le problème des agents secrets de toutes sortes qui se bouscule au portillon pour travailler chez Neuralink.

« La défense contre les menaces d’initiés est une question importante. »

Par ailleurs, une fois que les données existent, il est possible que le gouvernement utilise la loi pour forcer Neuralink à conserver les données et à les partager à des fins d’enquêtes criminelles, de contre‑espionnage, de sécurité nationale et de collecte de renseignements.

Piratage du cerveau

Les implications d’un implant piraté semblent difficiles à appréhender pleinement.

Les gens semblent être prêts à accepter un certain niveau d’intrusion dans leur vie privée. Les smartphones, par exemple, peuvent facilement être utilisés pour écouter une personne et suivre ses mouvements.

« Nous nous promenons tous les jours avec des logiciels espions », poursuit M. Miliefsky.

Un implant cérébral, en revanche, peut produire des données personnelles à un autre niveau d’intimité.

À partir du cortex moteur, un implant pourrait enregistrer un large éventail de mouvements corporels, selon le Pr Hochberg.

« Je pense qu’un grand nombre de personnes dans ce domaine continuent d’être étonnées et agréablement surprises par la richesse des informations qui peuvent être extraites de petites zones du cortex moteur », déclare ce dernier.

Dans le cortex visuel, tout ce qu’une personne voit pourrait théoriquement être enregistré, mais probablement en basse résolution.

De plus, l’implant serait placé sous la peau, ce qui signifie qu’il ne peut pas être retiré par l’utilisateur et qu’il ne peut pas être désactivé, sinon il pourrait être activé et désactivé à distance.

Plus terrible encore, l’implant peut également envoyer des signaux dans le cerveau. En envoyant des commandes au cortex moteur, il pourrait faire bouger une personne involontairement.

En théorie, il est possible de fabriquer un être humain télécommandé, confirme le Pr Hatsopoulos.

Selon les expériences de Neuralink, l’envoi de signaux visuels pourrait faire voir des choses qui ne sont pas là, distraire une personne ou même obstruer la vision avec des flashs lumineux.

Le Pr Churchland pour sa part rejette ces préoccupations, les jugeant trop éloignées de la réalité actuelle de la technologie.

« Ce n’est pas physiquement impossible, mais c’est extrêmement improbable », déclare-t-il.

« Les inquiétudes concernant une manipulation externe, je pense, sont fantaisistes dans un avenir prévisible. »

Niveau 5 : Éviter « Matrix »

Elon Musk prévoit d’aller encore plus loin. À mesure que la technologie d’insertion des électrodes s’améliorera, l’implant pourra également atteindre les zones profondes du cerveau, selon la présentation.

Ces parties du cerveau sont responsables de l’activité de la pensée, comme le traitement de la mémoire, les émotions, la motivation et la pensée abstraite.

Pourtant, le savoir‑faire pour décoder les signaux provenant de ces parties du cerveau est jusqu’à présent limité, selon le Pr Shimojo.

L’apprentissage automatique peut reconnaître des modèles avec un haut degré de probabilité, mais un certain niveau d’ambiguïté peut être « intrinsèque », affirme-t-il.

« Le cerveau est compliqué et un neurone ne participe pas à une seule tâche. Le même neurone peut participer à différents réseaux à des fins totalement différentes. C’est vraiment très dépendant du contexte et de l’environnement. »

La question de savoir s’il est possible de décoder entièrement de tels processus de pensée reste ouverte.

« Même parmi les neuroscientifiques, les avis divergent », explique-t-il, notant que de telles difficultés pourraient nécessiter « une certaine créativité intelligente pour y faire face ».

« Est‑ce que cela finira par être surmonté ? C’est possible, mais c’est un processus de très longue haleine. Ce n’est pas aussi facile que ces démonstrations peuvent l’indiquer. »

Hypothétiquement, la capacité de lire et d’écrire véritablement dans des zones plus profondes du cerveau soulèverait de profondes questions éthiques et philosophiques.

Accéder aux centres de traitement de la mémoire, par exemple, ouvrirait une autre porte aux problèmes de confidentialité et de sécurité, selon M. Miliefsky, du vol de mots de passe à la récupération de secrets nationaux, d’entreprise et personnels.

« Il n’y a pas un seul ordinateur sur Internet qui, à mon avis, soit à l’abri d’une perte de vie privée ou qui soit suffisamment sécurisé pour que l’on puisse dire : ‘Jimmy, qui a l’implant, toutes ses pensées privées sont encore en sécurité. Et cela ne se produira pas’ », déclare-t-il.

En outre, lier les parties du cerveau responsables de la prise de décision à une IA remettrait en question l’intégrité du libre arbitre, fait valoir le Pr Shimojo.

« Si vous et l’IA prenez ensemble une décision sur une action, est‑ce votre libre arbitre ou le libre arbitre hybride ? »

« Est‑ce que c’est correct pour les gens ? Est‑ce que c’est bon pour la société ? Que va‑t‑il se passer pour les élections, par exemple ? »

Comme Elon Musk l’a expliqué au cours de multiples entretiens, la connexion avec une IA est en réalité l’objectif principal pour laquelle il s’est initialement interressé la technologie de l’implant.

Sa motivation initiale pour lancer Neuralink, a‑t‑il déclaré, était de faire face au développement rapide de l’intelligence artificielle.

Au cours de la présentation et dans des exposés antérieurs, il a fait valoir que l’IA en se développant était susceptible de dépasser de loin l’intelligence humaine. À ce stade, même si elle s’avère bienveillante, elle pourrait traiter les humains comme une forme de vie inférieure.

« Nous serons comme des chats domestiques », a‑t‑il expliqué lors de la Recode’s Code Conference en 2016.

La solution serait d’empêcher le pouvoir de l’IA d’être centralisé entre quelques mains, a‑t‑il soutenu.

« Si, au contraire, le pouvoir de l’IA est largement distribué et si nous pouvons lier le pouvoir de l’IA à la volonté de chaque individu », ce qui signifie que chacun aurait le contrôle de son propre serviteur d’IA, « alors si quelqu’un essayait de faire quelque chose de vraiment terrible, la volonté collective des autres pourrait vaincre cet acteur malveillant ».

C’est pour cette raison qu’il a cofondé OpenAI en 2015, une organisation à but non lucratif qui développe une IA qui devrait être mise à disposition gratuitement. L’ONG a récemment dévoilé une IA de traitement du langage appelée ChatGPT, qui a fait des vagues par sa capacité à composer des textes complexes, y compris des essais, des opinions, des poèmes et des plaisanteries.

Le problème, a expliqué Elon Musk, c’est que la capacité de l’homme à saisir des commandes dans un ordinateur est trop lente pour qu’il puisse même « accompagner » une IA puissante.

« Quand on interagit avec un téléphone, il est limité par la vitesse à laquelle on peut bouger ses doigts ou la vitesse à laquelle on peut parler dans le téléphone », a‑t‑il déclaré lors de la présentation de Neuralink.

« Il s’agit d’un débit de données extrêmement faible, de l’ordre de 10, voire 100 bits par seconde dans le meilleur des cas. Mais un ordinateur peut communiquer à des gigabits, des térabits par seconde, donc c’est la limitation fondamentale que nous devons aborder, je pense, pour atténuer le risque à long terme de l’intelligence artificielle et aussi juste continuer notre chemin. »

Pourtant, rien ne prouve que les implants réduiraient de manière significative l’écart de vitesse entre un humain et un ordinateur. Les gens sont toujours limités par la vitesse à laquelle ils peuvent former des pensées et prendre des décisions.

Des recherches antérieures ont montré que le cerveau ne peut pas traiter les décisions à une vitesse supérieure à 100 bits par seconde. Les mesures du temps de réaction indiquent que les gens ne peuvent prendre qu’une poignée de décisions par seconde et que ce taux diminue à mesure que la complexité des décisions augmente.

Le temps de réaction des muscles est un peu plus long, mais en général, la vitesse du corps semble bien correspondre à celle du cerveau.

« On peut sans doute imaginer qu’il existe certaines circonstances où vous pourriez être plus rapide avec un implant, mais… globalement, le corps est optimisé pour être un très, très bon dispositif de sortie », explique le Pr Churchland.

Si l’on pousse le raisonnement d’Elon Musk jusqu’au bout, l’adoption à grande échelle des implants cerveau‑ordinateur ne résoudrait pas les dangers potentiels de l’IA, mais ouvrirait davantage la voie à des résultats totalitaires d’un niveau sans précédent, soutient Michael Rectenwald, professeur émérite d’arts libéraux à l’université de New York, qui a exploré les conséquences de la collusion entre le gouvernement et les Big Tech dans plusieurs livres.

« L’État a déjà utilisé le prétexte d’une pandémie pour abroger nos droits et contrôler le comportement de millions de personnes. Qu’est‑ce qui les empêcherait de contrôler directement et à distance des sujets humains ? » explique-t-il par courriel.

« Cela reviendrait à accepter de vivre dans un leurre au quotidien. D’un côté, la promesse transhumaniste de capacités surhumaines et de prolongation de la vie. Au final, un monde contrôlé par des algorithmes, sans autonomie, sans liberté, et une existence virtuelle dans un métavers de leur création. »

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