Opinion
L’industrie chimique européenne, thermomètre de la maladie de l’UE

Photo: Crédit photo : Samuel Furfari
TRIBUNE – Présent en France depuis 1902, ExxonMobil est l’un des acteurs historiques majeurs du secteur énergétique et chimique national. Après plus d’un siècle d’activité, l’entreprise s’apprête pourtant à tourner une page importante avec l’annonce de la fermeture de sa raffinerie et de son unité pétrochimique de Port-Jérôme-sur-Seine, ainsi que de la vente programmée de sa raffinerie de Fos-sur-Mer.
La compagnie a pourtant fortement contribué au développement économique français, en assurant l’approvisionnement énergétique et la production de produits chimiques essentiels pour l’industrie française et européenne, tout en créant des emplois qualifiés et de la valeur ajoutée. Cependant, les décisions actuelles marquent un tournant majeur, sous la pression de la concurrence mondiale et d’un contexte économique de plus en plus difficile.
Selon le Financial Times de la semaine dernière, le groupe prévoit de céder ses sites de production de polyéthylène de Zwijndrecht et de Meerhout en Belgique, ainsi que son usine d’éthylène à Fife, en Écosse. Au Royaume-Uni, elle s’est déjà désengagée de la raffinerie de Fawley.
Aux Pays-Bas, ExxonMobil a ouvert un réexamen de la rentabilité de ses installations, ce qui alimente les inquiétudes des syndicats quant à l’avenir industriel du pays. Des doutes similaires s’expriment en Italie, en Irlande et en Allemagne. ExxonMobil n’est pas un cas isolé : d’autres acteurs, comme LyondellBasell et Sabic, ont également fait le choix de délocaliser leurs activités, ce qui témoigne de perspectives industrielles de plus en plus sombres pour la pétrochimie et le raffinage au sein de l’Union européenne.
Le secteur chimique européen est en proie à un ralentissement durable, miné par une surcapacité persistante, une demande inférieure aux attentes, une concurrence féroce de la part des producteurs chinois à bas coûts, mais surtout par un déficit de compétitivité lié au prix de l’énergie. Comme le soulignait le rapport de Mario Draghi l’an dernier, avec une électricité deux à trois fois plus chère et un gaz trois à quatre fois plus onéreux qu’aux États-Unis, les entreprises ne voient plus d’avenir pour elles au sein de l’UE.
Cette crise illustre l’une des dérives majeures de la politique européenne de transition énergétique : des objectifs idéologiques poursuivis au mépris des réalités industrielles et économiques. Le résultat est une désindustrialisation qui fragilise la sécurité économique du continent, renforce sa vulnérabilité énergétique et menace des milliers d’emplois hautement qualifiés (le secteur de la chimie est, après celui de la pharmacie, celui qui offre le plus d’emplois de ce type). La transition énergétique de l’UE accélère donc l’exode des grands acteurs industriels.
Zéro carbone et zéro industrie
Une réforme s’impose, fondée sur la compétitivité et la sécurité industrielle, sans quoi le « zéro carbone » risque de se transformer en « zéro industrie » et donc zéro économie. Pour les actionnaires, la situation n’a cependant rien d’alarmant : l’amélioration de leur rentabilité les incite au contraire à fuir une Europe trop régulatrice. L’image est connue : comme la mousse qui prospère à l’ombre d’un chêne, une multitude de PME dépendaient des géants de la chimie. Mais si ces derniers s’en vont, ces dernières ne pourront pas délocaliser et fermeront, entraînant une hécatombe sociale aux conséquences dramatiques pour l’emploi.
Pour enrayer la crise industrielle du secteur chimique, la Commission européenne a tenté d’agir avec la « Déclaration d’Anvers », présentée le 20 février 2024 lors d’un sommet réunissant plus de 70 PDG de groupes industriels de la chimie à Anvers, en présence de la présidente de la Commission. Malgré l’engagement affiché et l’adhésion massive du secteur industriel, cette démarche n’a débouché sur aucun changement concret : la Commission s’est contentée de consultations et de promesses, sans prendre de mesures opérationnelles à la hauteur des attentes.
Ce manque d’impact a suscité un vif désappointement chez les industriels concernés, qui ont clairement regretté l’absence d’action concrète de la part de Bruxelles, soulignant le risque de voir les capitaux et les emplois migrer vers d’autres continents, faute d’une véritable politique industrielle européenne. Jim Ratcliffe, le patron du géant INEOS, a exprimé son amertume, estimant que les investissements massifs réalisés à la suite de la déclaration n’avaient pas été suivis de décisions politiques susceptibles de renforcer durablement la compétitivité européenne. La dégradation du climat industriel européen et la lourdeur de la réglementation remettent en question la pérennité de la chimie dans l’UE.
Sans l’abandon du Pacte vert, l’UE continuera de perdre son savoir-faire, de voir les investissements fuir et de perdre des emplois très qualifiés, tout en devenant de plus en plus dépendante de puissances étrangères, sacrifiant ainsi ses intérêts fondamentaux sur l’autel de la décarbonation. Pendant ce temps, la demande mondiale de matières chimiques explose, rendant l’industrie chimique hors UE florissante.
Samuel Furfari est un ancien haut fonctionnaire européen. Il a travaillé pendant 36 ans à la Direction Générale de l’énergie de la Commission européenne. Il est également professeur de géopolitique de l’énergie et auteur d’Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE (L’artilleur, 2024).
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Samuel Furfari est un ancien haut fonctionnaire européen. Il a travaillé pendant 36 ans à la Direction Générale de l’énergie de la Commission européenne. Il est également professeur de géopolitique de l’énergie et auteur d’Énergie, mensonges d’État. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE (L’artilleur, 2024).
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