Cependant, il pourrait falloir de dix à quinze ans à l’Europe pour parvenir à une indépendance totale vis-à-vis de l’approvisionnement chinois en terres rares. D’ici là, la guerre menée par la Russie risque d’avoir encore grignoté les frontières orientales de l’Europe. Tant que l’UE ne menacera pas Pékin de droits de douane retentissants — à hauteur de 100 %, comme l’a évoqué en octobre le président américain Donald Trump —, la Chine ne cédera pas. Un tel levier tarifaire s’avèrerait déterminant, car l’Union européenne affiche un
déficit commercial chronique vis‑à‑vis de la Chine, oscillant entre 300 et 400 milliards d’euros annuels depuis 2022.
Le contrôle chinois sur les terres rares équivaut à un système mondial de licences conférant à Pékin un pouvoir d’étranglement sur les secteurs européens liés à l’intelligence artificielle, à la défense, à l’automobile et aux technologies de pointe. Malheureusement, il est désormais trop tard pour que l’UE constitue des réserves : la Chine restreint déjà ses exportations. Jusqu’à 98 % des importations européennes de terres rares provenaient de Chine ces dernières années. Selon les analystes de SFA Oxford, il faudra encore une douzaine d’années pour entièrement diversifier l’extraction et le raffinage hors de l’orbite de Pékin.
Pendant ce temps, les industries européennes de défense et d’automobile restent à la merci de Pékin, qui impose peu à peu l’idée que le Parti communiste chinois détient la mainmise sur un intrant essentiel de la souveraineté, de la puissance commerciale et industrielle de toute l’Europe.
Les restrictions chinoises ont par exemple provoqué un triplement du prix de certaines terres rares sur les marchés mondiaux et rendu inopérantes les sanctions européennes contre la Chine. Sont visés ici, non seulement le soutien militaire de Pékin à la Russie — dont les frappes débordent déjà d’Ukraine sur la Pologne, l’Estonie ou la Roumanie —, mais aussi les sanctions de Bruxelles contre la dérive totalitaire du régime, ses agressions territoriales, son soutien aux tyrannies et au terrorisme internationaux, et ses violations des droits humains.
Des avions de combat, des systèmes de guidage de missiles et des drones ont tous besoin de terres rares pour fonctionner. L’effet des restrictions chinoises sur certaines chaînes de production européennes reste classé secret défense. Mais en juin, l’
association européenne des équipementiers automobiles (CLEPA) alertait sur les risques pesant sur la filière automobile à cause des contrôles chinois sur les semi-conducteurs.
« Les puces sont essentielles pour l’électronique embarquée et près de 700 autres composants », précisait alors la CLEPA. « Cette pénurie perturbe en continu des systèmes clés comme les radars, qui consomment à eux seuls environ un million de puces par semaine. »
En septembre, la CLEPA rappelait que des usines automobiles européennes avaient connu des arrêts à cause du manque de terres rares. BMW et d’autres géants du secteur ont ainsi vu leurs chaînes d’approvisionnement grippées. Si BMW tente de concevoir des moteurs électriques sans terres rares, cette solution ne s’applique qu’aux gros modèles : pour les petits moteurs, indispensables aux vitres ou aux essuie-glaces, ces métaux restent irremplaçables.
Les sanctions européennes resteront donc vaines tant que Bruxelles ne brisera pas sa dépendance envers les terres rares chinoises — sans parler des autres importations stratégiques. En cela, le PCC a identifié le véritable talon d’Achille de l’Europe. Pékin pourra exiger l’ouverture totale du marché européen et l’accès privilégié aux exportations clefs de l’Europe pour ses propres entreprises.
Pékin lorgne ainsi sur les machines de fabrication de semi-conducteurs produites aux Pays-Bas, qui seront sans doute au cœur des tractations en cours. Les autorités chinoises réclameront à Bruxelles non seulement des puces dernier cri, mais aussi les équipements nécessaires à leur fabrication.
L’UE se trouve donc entravée dans sa riposte à l’agressivité internationale croissante du régime chinois, que ce soit à Taïwan, autour des îles Senkaku japonaises, aux Philippines, ou dans l’Himalaya indien. Ce manque de pouvoir en négociation face à Pékin, imposé par le levier des terres rares, laisse à la Chine le temps de bâtir ses capacités militaires et d’étendre ses alliances diplomatiques en vue d’une éventuelle attaque contre Taïwan. De quoi lui garantir le contrôle des usines taïwanaises de semi-conducteurs stratégiques — les fameuses « fabs » —, renforçant encore l’immunité du PCC face aux sanctions occidentales. Un cap jamais atteint par l’Union soviétique, faisant de la Chine une menace supérieure à celle qu’a pu représenter Moscou.
Dès 2022, l’Union européenne a dévoilé un régime de substitution baptisé
Critical Raw Materials Act, visant à remplacer la majorité des importations de terres rares chinoises par une production domestique d’ici 2030 : satisfaction d’au moins 10 % des besoins d’extraction via le sol européen, 40 % du raffinage et 25 % du recyclage, avec une montée en puissance possible en cas d’urgence. L’UE limiterait la dépendance à tout fournisseur étranger à 65 % de ses besoins — un seuil sans doute encore trop élevé. Une autre initiative, ReSourceEU, sert à diversifier les chaînes d’approvisionnement vers l’Estonie, l’Australie, le Canada et le Kazakhstan.
Ces efforts restent largement insuffisants et trop tardifs dans un contexte où le monde libre n’a plus dix ou quinze ans pour voir l’UE s’extraire de la menace de verrouillage chinoise sur les terres rares. Des mesures beaucoup plus fermes s’imposent. Imposer des droits de douane de 100 % sur les échanges UE-Chine constitue le type de sanction susceptible de contraindre Pékin à lever immédiatement ses barrières à l’exportation sur les terres rares. Cela offrirait à l’Europe le temps de bâtir son autonomie, et d’éviter que sa souveraineté entière ne soit un jour bradée chez un prêteur sur gages à Pékin.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.