Mayotte: « L’absence de forces de sécurité cohérentes forcera la population à se défendre par elle-même » analyse Jean-Pierre Colombies

Par Julian Herrero
14 février 2024 12:44 Mis à jour: 14 février 2024 12:44

ENTRETIEN – La situation à Mayotte est critique. La population locale, exaspérée par « l’insécurité et l’immigration clandestine » manifeste depuis plus d’un mois dans toute l’île et réclame des réponses fortes de la part du gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et la ministre déléguée chargée des Outre-mer étaient en déplacement à Mayotte le 11 février. Le locataire de Beauvau en a profité pour annoncer la suppression du droit du sol dans le département. L’ancien commandant de police, Jean-Pierre Colombies voit en cette décision un « dévoiement de la parole politique qui se contente de créer une polémique afin d’éviter de prendre des décisions fortes et surtout concrètes ». Il craint aussi que la population mahoraise en vienne à se défendre elle-même en cas d’absence de « forces de sécurité cohérentes ».

Epoch Times – Depuis le 22 janvier, la colère gronde à Mayotte. Un vaste mouvement social s’est construit et proteste contre « l’insécurité et l’immigration massive ». Un collectif, les Forces vives de Mayotte, a mis en place des barrages routiers en signe de protestation. Y a-t-il un risque d’embrasement et que la population locale fasse justice elle-même ?

Jean-Pierre Colombies – La situation sur l’île de Mayotte est le symbole paroxystique du renoncement à l’exercice de l’autorité régalienne d’un État de droit normalement organisé. Délaissée et sous-équipée, l’île présente toutes les caractéristiques d’une situation cataclysmique, au niveau social, immigrationniste et par conséquent sécuritaire.

Dans un contexte d’envahissement extérieur incontrôlé des Comores vers l’île, la population insulaire risque de ne pas avoir d’autres choix que de s’organiser indépendamment des autorités métropolitaines dont la réponse est plus que décalée. La nature ayant horreur du vide, l’absence de forces de sécurité cohérentes et en rapport avec le niveau du risque encourue forcera la population autochtone à se défendre par elle-même.

Alors que nous avons un président qui se gargarise de sa propre parole et qui montre une appétence particulière pour les formules militaires, « nous sommes en guerre contre un virus (sic…) » « il faut réarmer économiquement la France » (re sic…) il se trouve incapable de mettre en place un dispositif de protection de la population locale face à des agressions criminelles. Celle-ci se trouve aujourd’hui dans une situation de mise en danger des personnes et de ce fait en nécessité de légitime défense.

On ne répond pas à une agression extérieure de ce niveau avec des forces de sécurité inadaptées comme le GIGN, même si leur réception sur le tarmac de l’aéroport local donne lieu à une séance de mains serrées qui nous ramène à un protocole digne de la IVeme république.

En conséquence, dans un tel contexte de chaos prévisible, car identifié depuis des années, le risque d’embrasement est non seulement réel mais il paraît également inéluctable. L’incompétence généralisée de notre gouvernement en sera directement responsable.

En déplacement dans le département le 11 février, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a notamment annoncé la mise en place de l’opération Wuambushu 2, la suite de l’opération lancée au printemps dernier visant à lutter contre l’immigration illégale, l’insécurité et les logements insalubres. Pour cet acte II, Gérald Darmanin entend fournir « plus de moyens aux forces de l’ordre ou de justice ». En quoi consiste concrètement cette opération ? Peut-elle réussir à endiguer la criminalité et l’immigration illégale ?

Il semble que le gouvernement – Gérald Darmanin n’étant que le porte-voix répétitif du leader national – se contente une fois de plus de formules rhétoriques vides de sens et surtout à portées limitées.

La situation sur place nécessite de passer du bricolage à portée médiatique, à un déploiement militaire à hauteur du défi lancé par les Comores. Cela doit passer par un contrôle sérieux et dissuasif de l’espace maritime, rapatriement forcé des ressortissants comoriens illégaux sur le territoire Mahorais, installation de forces de police pérennes et non plus de forces de projections temporaires qui n’ont d’autres intérêt que de produire des images télévisuelles fortes. En d’autres termes, du courage et des moyens adaptés.

Gérald Darmanin a également annoncé dans une vidéo postée sur le réseau social X « qu’à la demande du président de la République, avec le ministre des Armées » un rideau de fer maritime sera bientôt mis en place pour empêcher l’arrivée d’immigrés clandestins. Qu’en pensez-vous ?

Si la situation n’était pas aussi explosive on pourrait comparer ce type d’annonces à la chanson de Dalida « Paroles, paroles ». Comme dans bien d’autres domaines, il faut passer des discours aux actes.

Rideau de fer ? Certes, mais il convient d’être plus précis. Quel type de navires et surtout quelles règles d’engagement ? Si un navire de clandestins force le barrage, que fait-on ? On tire ? Là encore, il faudra autre chose que des coups de menton pour éviter que la responsabilité pénale des forces engagées soit clairement définie.

Ne pas faire comme en métropole au moment des mouvements sociaux, au cours desquels on a volontairement lâché la bride aux forces de sécurité, pour ensuite déplorer les écarts de comportements.

Le ministre de l’Intérieur a pris une décision qui a beaucoup fait réagir la classe politique : la fin du droit du sol à Mayotte. Quel regard portez-vous sur cette annonce ?

C’est un sujet trop complexe pour être évoqué ou même mis en place dans un délai normal alors qu’il y a urgence à agir sur le terrain. Là encore on assiste à un dévoiement de la parole politique qui se contente de créer une polémique afin d’éviter de prendre des décisions fortes et surtout concrètes.

Pendant que les uns et les autres se succéderont sur tous les plateaux télé pour s’écorcher autour des principes fondamentaux de la république, la population Mahoraise subira la dictature des circonstances, les troubles d’une guerre civile en gestation.

De leur côté, LR et le RN réclament l’extension de la fin du droit du sol au reste du territoire national…

C’est un débat qui serait un bon sujet de référendum, mais qui nécessiterait de ne pas être associé à la situation actuelle de Mayotte. Même mis à l’ordre du jour parlementaire il faudrait des mois pour venir à bout de ce dilemme. En attendant, il y a un feu social et sécuritaire qui doit être réglé sur l’île. Le temps des débats stériles attendra son heure.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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