Philippe Fabry : « Donald Trump change progressivement son opinion sur le leader russe »

Par Julian Herrero
4 juin 2025 14:16 Mis à jour: 13 juin 2025 18:57

ENTRETIEN – « Quelque chose lui est arrivé. Il est devenu complètement fou ! », écrivait le 25 mai Donald Trump sur Truth Social à propos de Vladimir Poutine. Une déclaration qui intervenait dans un contexte de bombardements russes massifs sur des villes ukrainiennes. Certains experts et commentateurs y ont vu un changement de ton de la part du président américain.

Philippe Fabry est historien, géopolitologue et auteur de divers ouvrages, notamment Les impérialistes revanchards : Poutine, Hitler, Bonaparte et les autres (Scripta Manent, 2023). Il analyse les propos du président américain comme une prise de conscience de ce qu’est réellement Vladimir Poutine.

Epoch Times : Donald Trump n’est-il pas devenu plus virulent à l’égard du maître du Kremlin ?

Philippe Fabry : Il faut comprendre que cela se fait de manière progressive. Donald Trump souffle depuis quelque temps le chaud et le froid avec Vladimir Poutine. Il essaye de voir si la situation peut avancer et si ce n’est pas le cas, il hausse le ton.

Depuis sa réélection, et même avant, il y a beaucoup de paranoïa en Europe sur ce sujet. Beaucoup de commentateurs et d’analystes affirment qu’il est complaisant à l’égard du leader russe et qu’il est prêt à lui céder toute l’Ukraine. J’ai toujours considéré ce narratif comme étant assez éloigné de la réalité. D’ailleurs, jusqu’à présent, il n’a rien lâché.

Néanmoins, la question est de savoir ce que le président américain a réellement en tête.

S’est-il montré trop naïf à l’encontre de son homologue russe et a donc décidé de hausser le ton ? Ou avait-il depuis le départ une stratégie bien rodée visant à bloquer Poutine, mais qu’il n’a pu mettre en place en raison de son électorat isolationniste ?

Au regard de l’évolution de la situation, je pencherais davantage pour la première option.

J’ai le sentiment que Donald Trump s’était convaincu que les responsables de la guerre en Ukraine étaient les Démocrates et l’establishment de manière plus générale et qu’au fond, Poutine était quelqu’un avec qui il est possible de s’entendre et de faire la paix.

Il avait sans doute de bonnes raisons de penser ainsi : lors de son premier mandat, les Démocrates n’ont eu de cesse de l’accuser d’être lié à la Russie, alors que ce n’était pas vrai.

Nous sommes donc aujourd’hui dans une période qui traîne dans laquelle le président américain est en train d’apprendre ce qu’est la réalité de Vladimir Poutine. C’est-à-dire un véritable impérialiste qui ne rêve que de prendre le contrôle de l’Ukraine.

Donald Trump change progressivement son opinion sur le leader russe.

À vous entendre, Donald Trump croyait pouvoir raisonner Vladimir Poutine avec la méthode du « deal »…

Exactement. Quand Donald Trump clamait haut et fort pendant la campagne présidentielle que Poutine n’aurait jamais envahi l’Ukraine s’il avait été à la Maison-Blanche, c’était une manière de dire qu’il était l’homme qui faisait avancer les choses. Or, la situation est plus complexe.

Le mal est beaucoup plus profond du côté du maître du Kremlin. Et en envahissant en février 2022 le territoire ukrainien, Poutine avait déjà fait le choix de privilégier l’impérialisme aux relations commerciales avec les Occidentaux.

Par conséquent, la volonté du président américain de relancer les relations américano-russes et de mettre fin à la guerre en Ukraine par le biais du « deal » ne pouvait fonctionner.

« Ce que Vladimir Poutine ne réalise pas c’est que sans moi, la Russie subirait beaucoup de très mauvaises choses, et je veux dire, très mauvaises », a ajouté Donald Trump deux jours plus tard sur le même réseau social. À quoi fait-il allusion quand il parle de « très mauvaises choses » qui pourraient arriver à Moscou ?

Tout le panel de sanctions supplémentaires que nous pouvons imaginer, mais aussi davantage de livraisons d’armements voire une confrontation militaire directe avec l’OTAN.

Je suis d’ailleurs presque convaincu que Donald Trump est derrière la fuite de deux millions de documents classifiés touchant les installations nucléaires russes.

Aujourd’hui, l’arme la plus puissante des États-Unis, au-delà de la puissance militaire, c’est le renseignement.

Les services de renseignement américains avaient prévu avant tout le monde l’invasion russe de l’Ukraine.

J’ai donc tendance à penser que Donald Trump a voulu lancer un avertissement aux Russes en dévoilant leurs installations nucléaires.

En même temps, le leader russe ne semble pas perturbé par les avertissements du président américain et ne relâche pas la pression militaire.

Poutine sait qu’il a l’avantage conventionnel et que les États-Unis, malgré tout, ne veulent pas la guerre.

Peut-être qu’il ne prend pas également les avertissements de Donald Trump au sérieux. Il interprète certainement la lente prise de conscience du président américain comme une faiblesse.

Pour l’instant, Poutine n’a pas de raisons d’avoir peur du locataire de la Maison-Blanche. Il en a d’autant moins qu’il a déjà fait le choix stratégique d’accepter une confrontation avec l’OTAN, il y a trois ans.

Dans ce bras de fer entre Donald Trump et Vladimir Poutine, les Européens ont-ils un rôle à jouer ou sont-ils devenus inaudibles ? On sait que l’Allemagne va aider l’Ukraine à produire des missiles sans restriction de portée.

Ils ont tout à fait un rôle à jouer. Il s’agit d’ailleurs d’un rôle que leur demande de jouer Donald Trump. Les Américains savent qu’ils ne pourront s’occuper des Chinois et des Russes en même temps. C’est la raison pour laquelle ils exhortent les Européens à contenir Moscou.

Il y a, sous l’impulsion des États-Unis, un retour de l’Europe sur la scène internationale.

Vous dites que Poutine est prêt à se battre contre l’alliance atlantique. N’est-ce pas un pari fou ?

Il ne faut jamais oublier que beaucoup de leaders font leurs calculs, non pas en fonction de la réalité, mais de leurs impressions.

Par ailleurs, les Russes ont possiblement pensé que s’ils ont pu lutter efficacement jusqu’à présent contre le matériel de l’OTAN en Ukraine, ils pourront se battre contre les armées de l’alliance.

La machine de guerre russe est également très développée : la production annuelle d’obus dépasse largement celle de l’OTAN.

Sur le terrain, les troupes du Kremlin ont même repris l’avantage sur les Ukrainiens en matière de drones.

La Russie a désormais l’impression qu’elle a une carte à jouer, mais surtout que son armée est suffisamment puissante pour dissuader les Occidentaux de lancer une guerre contre elle.

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