Philippe Murer : « Emmanuel Macron ne cherche pas une solution durable pour nos agriculteurs »

Par Etienne Fauchaire
27 janvier 2024 18:33 Mis à jour: 15 avril 2024 12:53

Accumulation des normes européennes, interdictions de produits phytopharmaceutiques imposées par le « Green Deal » de l’UE, hausse du prix du diesel agricole à la suite d’une détaxe à visée écologique… Pour les agriculteurs, la coupe est pleine. Et leur colère gronde, se faisant entendre depuis huit jours par la multiplication d’actions de blocage partout en France. Comment la paysannerie a-t-elle plongé dans une crise qui pourrait bien conduire à la disparition de cette profession, jadis pilier de notre société ? Une voie de sortie est-elle possible ? Pour en parler, Philippe Murer, économiste.

Epoch Times : En France, un agriculteur sur quatre vit sous le seuil de pauvreté et plus d’un agriculteur se suicide tous les deux jours. Selon vous, quels sont les facteurs à l’origine d’un tel désespoir de la profession ? 

Philippe Murer : Le revenu des agriculteurs est très faible, qui plus est avec un travail énorme. La situation est cependant très hétérogène. Un petit nombre s’en sort bien : les gros céréaliers, beaucoup de viticulteurs… Il reste que le revenu médian est de l’ordre de 1.035 euros par mois, avec 70 heures de travail par semaine soit 5 euros de l’heure !

Ce faible revenu est le résultat de la pression concurrentielle énorme par les importations, importations permises par les traités de libre-échange signés à Bruxelles, importations accélérées avec l’élargissement aux pays de l’Est aux salaires faibles (bientôt l’Ukraine et la Moldavie). Des produits achetés à bas coût par les intermédiaires envahissent les étals français. Dès lors, les paysans français n’ont qu’à s’aligner en vendant à des prix très bas entraînant des revenus très bas, parfois en dessous du seuil de pauvreté. La moitié des fermes ont été liquidées en 20 ans parce qu’avec des prix aussi bas, les revenus devenaient même négatifs.

Au prétexte de la transition écologique, le « pacte vert » noie les agriculteurs dans une marée de normes et de règlements, toujours plus nombreux et contraignants. C’est pourquoi la FNSEA, premier syndicat agricole français, et les Jeunes Agriculteurs appellent à un « chantier de réduction » des normes. La France doit-elle choisir entre la voie de l’écologie restrictive au nom de la lutte contre le changement climatique ou bien une voie plus libérale par le biais d’un dégrossissement de la place de la bureaucratie dans la vie économique de ce secteur ? 

La France ne peut rien choisir toute seule : les directives européennes, qui décrivent ces normes bureaucratiques et écologiques, sont transcrites mécaniquement dans le droit français et le traité de Lisbonne signé en 2008 contre l’avis des Français impose que le droit européen prime sur le droit français, s’applique quelles que soient la volonté et les mesures prises par le gouvernement français. Nous ne sommes pas maîtres chez nous et c’est tout le drame. Qui plus est la politique agricole, c’est une politique agricole commune de l’Union européenne, la PAC. Les leviers d’action du gouvernement sont donc très faibles.

Le pacte vert qui noie des agriculteurs exsangues économiquement sous une marée de normes et de règlements s’appliquera quelle que soit la position française, à moins que la France s’en délivre en sortant de l’Union Européenne. Les histoires de surtransposition ne sont pas le sujet, cela reste un détail dans un océan de normes, détail utilisé comme dérivatif pour ceux qui préfèrent attaquer leur pays plutôt que le véritable responsable : Bruxelles. Je comprends les paysans qui dénoncent cette injustice supplémentaire, je ne comprends pas les politiciens qui cachent la vérité avec cette attitude anti France et pro UE, le véritable monstre qui abat les agriculteurs.

La FNSEA dont le patron Arnaud Rousseau, diplômé de l’European Business School, produit sur 7 km2 de terres, est le président du Conseil d’Administration du groupe multinational Avril au chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros. C’est un homme d’affaire déguisé en paysan qui ne défend aucunement l’agriculteur français moyen.  Il a commencé sa carrière sur les marchés financiers dans le courtage et le négoce de matières premières agricoles, c’est tout dire. Quant aux Jeunes Agriculteurs, leur ancien président Jérémy Decerle a démissionné de son poste de président pour devenir député européen Renaissance : le groupe Renaissance vote tous les traités de libre-échange et autres Pacte Vert qui détruisent les agriculteurs.

Ces gens-là ne défendent pas les agriculteurs : ils cherchent juste à déminer la crise puisqu’apparemment, ils vivent bien dans la crise du monde agricole. Il y a quelque chose de pourri au royaume de France.

En mai 2020, la Commission a présenté sa stratégie « De la ferme à la fourchette », l’une des initiatives clés du pacte vert, qui assume un objectif de décroissance de l’agriculture européenne. On peut donc dire que la crise que nous traversons était prévisible, même attendue. Comment expliquer un tel cynisme de nos institutions ? Pensez-vous le gouvernement d’Emmanuel Macron sincère dans sa volonté de remédier à la crise ou bien vous attendez-vous à une répression du mouvement des agriculteurs sur le modèle des Gilets jaunes ? 

Le pacte vert et la stratégie « De la ferme à la fourchette » sont des paquets législatifs voulant imposer une agriculture verte en Europe : baisse de 50% des pesticides utilisés en Europe d’ici 2030, faire grimper la part du bio en Europe de 9 à 25% en 2030… Tout cela en mettant sous une pression énorme les agriculteurs européens via les importations et une hausse des prix de l’énergie. L’Union européenne écartèle donc les agriculteurs entre la pression économique et la pression écologique. C’est une stratégie complètement irréaliste qui ne peut qu’aboutir à un désastre.

Qui plus est, la part du bio recule en France et en Europe depuis deux ans car le pouvoir d’achat des Européens diminue à cause de la politique économique de l’Union européenne : là aussi, les salaires ne progressent pas sous la pression des importations des pays à bas salaires et avec la hausse des prix de l’énergie voulue par l’Union européenne (se passer d’un tiers des approvisionnements énergétiques, ceux venant de Russie, un marché européen de l’électricité qui a fait doubler les prix de l’électricité, taxe carbone…). L’Union européenne veut donc faire passer l’agriculture au bio et au durable tout en faisant reculer les achats en bio !

Le résultat risque d’être dramatique : recul de la production agricole en Europe et envolée des importations avec des produits étrangers conçus avec des normes écologiques beaucoup plus basses, destruction de l’agriculture en Europe et recul du bio. Nous allons délocaliser la production et la pollution et détruire le niveau de vie en Europe. Ce n’est pas qu’une question de cynisme, c’est évidemment aussi une question de bêtise, l’idéologie « Le commerce mondial, c’est la paix et la prospérité » aveuglant tous ceux qui veulent des postes à Bruxelles.

Emmanuel Macron, fervent soutien de cette idéologie, cherchera à faire rentrer chez eux les paysans en colère, il ne cherche pas une solution durable pour nos agriculteurs qui nécessiterait de sortir de l’Union européenne, donc de la tenaille traités de libre-échange et normes asphyxiantes.

En quoi un Frexit pourrait-il, selon vous, permettre de résoudre la crise dans ce secteur ? Un résultat favorable du camp patriote aux élections européennes pourrait-il constituer une étape intermédiaire vers une résolution de la situation ? 

Avec un Frexit sec ou un référendum sur l’Union européenne qui aboutirait à un Frexit tant les dégâts causés à la France par l’Union européenne sont nombreux, graves et manifestes, la France se donnerait les moyens de résoudre nombre de crises dont la crise agricole. Elle pourrait protéger notre agriculture grâce à un protectionnisme technique (les normes) et/ou un protectionnisme tarifaire (droits de douane). L’argent de la France, au lieu d’être versée à Bruxelles, serait utilisé pour construire une politique agricole française en faveur de nos agriculteurs. Les normes seraient édictées plus près du terrain, non par des bureaucrates hors contrôle et irresponsables siégeant dans les Institutions bruxelloises.

Est-ce que les élections européennes de 2014 et de 2019 ont amélioré les choses ? Non. Ce sera pareil en 2024. Les Français avaient placé en 2014 et 2019 le RN en tête et envoyé un grand nombre de députés RN au Parlement européen. Rien n’a été amélioré, au contraire. Le RN et Reconquête voulant rester dans l’Union européenne, leur projet est de changer l’Union européenne de l’intérieur, ce que personne n’a jamais réussi (le RN non plus d’ailleurs). Et pour cause : changer les traités européens axés sur le libre-échange signifie le vote de l’unanimité des pays, ce qui est quasiment impossible. Avoir la majorité au Parlement européen est irréaliste sachant que leurs groupes, hétérogènes sur le libre-échange, ont moins de 20% des sièges. Le Parlement européen n’a pas de pouvoir de proposer des lois, il ne peut que dire oui ou non aux lois écrites par la Commission européenne. Enfin, il ne s’agit pas de bloquer le Parlement européen mais de faire marche arrière sur le libre-échange, les normes, l’immigration…

Tout cela n’a aucun sens, mais amène à ses partis des postes de députés et d’assistants parlementaires bien payés et de la visibilité médiatique… Le cynisme est aujourd’hui partout dans le monde politique.

Quelles seraient les solutions qui pourraient, selon vous, apaiser la colère de nos agriculteurs ? 

Les agriculteurs sont aujourd’hui détruits par six phénomènes différents. Les traités de libre-échange, la concurrence interne à l’UE avec l’élargissement aux pays de l’Est, la concurrence déloyale avec 25% des produits importés qui ne respectent pas les normes européennes, l’énergie chère, les normes bureaucratiques et écologiques, la pression exercée sur les prix d’achat des produits agricoles français par la grande distribution et l’agro-alimentaire en s’appuyant sur la possibilité d’importer moins cher et une situation d’oligopole.

Macron ne peut pas faire grand-chose puisque les principaux leviers sont à Bruxelles tant que la France reste dans l’Union européenne. Il peut proposer quelques mesures cosmétiques comme des reports de charges pour les agriculteurs, la non augmentation des taxes sur le diesel agricole et quelques promesses sur les normes et un peu d’argent. Il s’appuiera sur les syndicats FNSEA et Jeunes Agriculteurs qui ne défendent pas la masse des agriculteurs. Tout cela apaisera une petite partie des agriculteurs. Laisser pourrir la situation sera une autre corde à son arc politicien. Avec le pourrissement, la colère et le désespoir amèneront certains à commettre des actes qualifiés comme violents, que le parti médiatique utilisera comme d’habitude pour déconsidérer le mouvement. Le temps passant, les agriculteurs épuisés auront envie de rentrer dans leurs fermes. La politique politicienne et le mensonge n’amènent qu’à des stratégies de manipulation de la population. Ces politiciens veulent continuer à obtenir argent et renommée bien qu’ils détruisent le pays : ils espèrent donc que ces gens meurent en silence.

Comment les agriculteurs pourraient-ils réussir à se faire entendre et obtenir gain de cause dans cette révolte parfois qualifiée de « révolte de la dernière chance » ?

Pour se faire entendre, les agriculteurs doivent bloquer la capitale, le périphérique et Rungis pour bloquer le pays. Faire peur puis abandonner rapidement Paris en expliquant que Macron ne propose rien et ne peut rien contre les causes de la destruction de l’agriculture française. Partir alors pour bloquer Bruxelles en expliquant que la nuisance vient de l’Union européenne, de ses traités de libre-échange, de ses normes, de sa tolérance envers la concurrence déloyale et de tous ceux qui soutiennent cette institution supranationale en France. Cela démasquerait les véritables fautifs et provoquerait un tremblement de terre politique. J’espère qu’ils le feront mais je pense que ce genre d’action construite politiquement est incompatible avec l’action forcément désorganisée d’un soulèvement populaire et de syndicats « représentatifs » pourris qui sont leurs représentants.

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