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Polynésie française : le paradis perdu des sans-abri dont le nombre a explosé

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La cérémonie d'arrivée de la pirogue Hklea de la Polynesian Voyaging Society, marquant son 50e anniversaire à Papeete, sur l'île de Tahiti en Polynésie française, le 28 juin 2025.

Photo: SULIANE FAVENNEC/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 4 Min.

Le contraste est saisissant. Derrière l’image de carte postale de la Polynésie française se cache une réalité sociale alarmante. En vingt ans, le nombre de sans-abri a été multiplié par quatorze, passant d’une cinquantaine au début des années 2000 à près de 700 en 2024, selon un rapport accablant de la Chambre territoriale des comptes (CTC).
Autour de la cathédrale de Papeete, une vingtaine de personnes dorment à même le sol. Teahurai Yee-on, trentenaire vivant dans la rue depuis sept ans, résume son désespoir : « J’aimerais travailler, mais mon avenir, il est sale, il est volé ». Non loin, Stan Mama, 27 ans, a volontairement quitté la promiscuité familiale pour la rue. « Dans les quartiers, c’est pire que dans la rue : eux, personne ne les aide », confie-t-elle.
Rapporté à une population de 280.000 habitants, dont les deux tiers vivent sur l’île de Tahiti, cette explosion de la pauvreté révèle une précarité structurelle profonde.
Des dizaines de milliers de logements indignes
Les chiffres sont éloquents : plus d’un quart des Polynésiens vit sous le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 385 euros par mois. Une misère d’autant plus cruelle que le coût de la vie y est 31% plus élevé qu’en France métropolitaine, et jusqu’à 80% supérieur pour l’alimentation.
« L’indicateur le plus parlant, c’est l’indice de Gini : 0,3 en France et 0,4 en Polynésie », explique Florent Venayre, professeur d’économie à l’Université de la Polynésie française. « Cette différence n’a l’air de rien, mais elle est énorme : la Polynésie est au niveau des États-Unis en matière d’inégalité. »
Dans les quartiers insalubres du nord de Tahiti, 50.000 personnes vivent dans des « logements indignes » – soit 18% de la population, contre 2% en métropole. Beaucoup d’habitations, construites avec des matériaux de récupération, n’ont ni eau potable, ni électricité, ni toilettes.
Un marché du travail en souffrance
Le taux d’emploi plafonne à 58%, et même parmi les travailleurs, beaucoup perçoivent des revenus très faibles. Le manque de travail à Tahiti constitue la première cause de cette pauvreté, conjugué à un niveau d’éducation préoccupant : seuls 16,4% de la population sont diplômés du supérieur, contre 43,1% en France.
La précarité frappe aussi des publics invisibles : quelque 20.000 personnes handicapées vivent dans des conditions très difficiles. La pandémie de Covid-19 a encore « fortement détérioré les conditions de vie des ménages les plus vulnérables », aggravant une situation déjà critique.
Des moyens importants mais mal coordonnés
En 2023, la Polynésie française a pourtant consacré 470 millions d’euros à la lutte contre la pauvreté. Des moyens conséquents mais « souffrant d’un manque de coordination et d’évaluation » qui « nuit à leur efficacité », déplore la Chambre des comptes, qui regrette l’absence d’objectifs chiffrés.
Parmi ses huit recommandations, l’institution propose la création d’un observatoire permanent de la pauvreté et le financement de 800 logements sociaux neufs par an. Actuellement, le parc locatif social ne représente que 3,3% du parc de résidences principales, un taux dérisoire.
La fin du modèle traditionnel
Longtemps soutenue par le Centre d’expérimentation du Pacifique pour les essais nucléaires (1963-1998), l’économie polynésienne s’est profondément transformée. Elle est passée d’un modèle de subsistance à une économie « tertiarisée », dépendante des transferts publics et du tourisme.
Cette mutation a ébranlé les solidarités traditionnelles. « La montée de l’individualisme et l’urbanisation ont affaibli les mécanismes familiaux de protection contre la précarité », constate la CTC. Le paradis polynésien cache désormais une fracture sociale béante, que les autorités peinent à résorber malgré des budgets importants.
Avec Afp