Pourquoi le procès de Bankman-Fried pour fraude à FTX ne va pas dans son sens

Par Kevin Stocklin
1 novembre 2023 12:02 Mis à jour: 1 novembre 2023 12:02

Des allégations extraordinaires de corruption sont formulées dans le cadre du procès FTX, mais l’affaire passe sous silence les dons politiques effectués par Samuel Bankman-Fried.

Selon les analystes, le procès de Sam Bankman-Fried a jusqu’à présent fortement étayé les accusations de fraude en matière de valeurs mobilières ; mais contre toute attente, les questions qui auraient pu porter sur ses dons en faveur d’hommes et de femmes politiques ont été reportées à un autre jour.

Depuis son ouverture le 3 octobre, le procès a donné lieu aux témoignages convaincants de ses anciens collègues – Gary Wang, cofondateur de FTX, et Caroline Ellison, PDG d’Alameda – qui ont tous deux pointé du doigt M. Bankman-Fried – également connu sous ses initiales, SBF – comme le maître de cérémonie de l’une des plus grandes fraudes financières de l’histoire des États-Unis. La défense a eu du mal à faire valoir ses arguments, bien que les avocats de M. Bankman-Fried pourraient encore avoir des cartes à jouer.

« Pour l’instant, les choses ne vont pas bien pour la défense », a déclaré Braden Perry, un ancien avocat fédéral chargé de l’application de la loi qui est actuellement associé au cabinet Kennyhertz Perry, à Epoch Times. « Ellison et Wang ont tous deux déclaré que SBF leur avait ordonné de commettre ces crimes. »

L’accusation a construit méthodiquement son dossier, a déclaré M. Perry. Les procureurs adjoints Nicolas Roos et Danielle Sassoon ont présenté des témoignages cohérents selon lesquels M. Bankman-Fried a sciemment et intentionnellement escroqué les investisseurs, et ils se sont également efforcés d’humaniser les pertes subies par les clients de FTX.

« Les preuves qui ont été apportées au cours des deux premières semaines du procès montrent toutes que SBF était impliqué, directement ou indirectement, dans une conspiration avec des personnes qui ont elles-mêmes plaidé coupables de fraude », a déclaré Daniel Silva, un ancien procureur fédéral qui est actuellement actionnaire du cabinet d’avocats Buchalter, à Epoch Times.

Jusqu’à présent, le dossier de l’accusation « est très solide », a-t-il ajouté.

Et malgré le fait que les crypto-monnaies sont des outils financiers obscurs, l’affaire est claire.

Le fondateur de FTX, Sam Bankman-Fried, quitte le tribunal fédéral de New York le 30 mars 2023. (Ed Jones/AFP via Getty Images)

Une simple histoire de vol et de tromperie

« Il s’agit d’un cas typique de fraude d’entreprise », a déclaré M. Silva. « Le produit est peut-être complexe, mais la fraude elle-même n’est pas unique. Fondamentalement, les allégations sont que [les accusés] ont pris l’argent des clients et des investisseurs de manière inappropriée et trompeuse pour l’usage personnel des propriétaires de FTX ».
L’accusation a largement évité de se plonger dans les subtilités des crypto-monnaies, se concentrant plutôt sur le récit plus simple du vol et de la tromperie.

« Ce procès se résume à l’utilisation par FTX et Alameda des fonds des clients », a déclaré M. Perry. « L’accusation devra prouver que SBF a utilisé ces fonds en toute connaissance de cause et de manière frauduleuse. »

Selon les allégations, « SBF était la tête de proue de toute l’entreprise, y compris Alameda », a-t-il déclaré. « En outre, SBF a utilisé une énorme [ligne de crédit] qui n’a pas été divulguée aux clients ou aux investisseurs d’Alameda.

Dans l’effondrement de la bourse de crypto-monnaies FTX et de son fonds spéculatif affilié, Alameda Research, en 2022, environ 9 milliards de dollars de clients et d’investisseurs ont disparu.

Le procès du 4 octobre 2023 a été marqué par le témoignage d’un investisseur individuel qui avait perdu 100.000 dollars sur la bourse de crypto-monnaies FTX, afin de montrer aux jurés comment les investisseurs de détail ont été personnellement lésés.

Selon M. Perry, il s’agissait d’un « début intéressant ».

« Il montre comment un investisseur typique a été dupé par la ‘sécurité’ de FTX », a-t-il déclaré.

L’accusation a ensuite posé les bases de sa plaidoirie avec le témoignage de M. Wang, l’ancien directeur technique de FTX, qui a déclaré avoir codé les comptes d’Alameda Research pour lui permettre d’avoir des soldes négatifs sur la bourse FTX.

Alameda avait ainsi la possibilité d’emprunter de l’argent à la bourse et, en fin de compte, de s’approprier les fonds des clients – à leur insu et sans leur consentement – pour rembourser des milliards de dollars de prêts et de pertes de négociation, et pour prêter de l’argent aux dirigeants de FTX pour leur usage personnel.

M. Wang a déclaré que les comptes d’Alameda avaient été configurés de cette manière sur les instructions de M. Bankman-Fried, mais que cet arrangement spécial entre les deux sociétés avait été gardé secret pour les clients de FTX. M. Wang a plaidé coupable aux accusations de fraude en matière de valeurs mobilières et a accepté un accord avec les procureurs pour témoigner contre M. Bankman-Fried.

Gary Wang, cofondateur de FTX.
Gary Wang, cofondateur de FTX. (Michael M. Santiago/Getty Images)

L’accusation s’est ensuite concentrée sur la manière dont l’argent des clients a été détourné par Alameda Research.

Mme Ellison s’est ensuite présentée à la barre et a accusé M. Bankman-Fried de lui avoir ordonné d’utiliser la ligne de crédit d’Alameda auprès de FTX pour rembourser environ 10 milliards de dollars de prêts, ce qu’elle ne pouvait faire qu’en prélevant de l’argent auprès des clients de FTX. Elle a déclaré qu’il lui avait également demandé de tromper les créanciers d’Alameda sur l’ampleur de son endettement.

Son témoignage est devenu émouvant lorsque, au cours du contre-interrogatoire, elle a fondu en larmes et a déclaré qu’elle vivait dans la « hantise » que ses actions visant à tromper les investisseurs soient révélées au grand jour et que, lorsque Alameda et FTX se sont finalement effondrées, cela lui a procuré un « sentiment de soulagement immense ».

La défense mène un combat difficile

En résumé, ces preuves ont mis la défense dans une position particulièrement difficile, selon les analystes.

« Vous pouvez attaquer les témoignages et les témoins, leur crédibilité et leurs souvenirs. C’est ce qu’ils semblent essayer de faire », a déclaré M. Silva. « Mais en fin de compte, lorsque plusieurs personnes disent la même chose, à savoir que SBF a commis une fraude et leur a ordonné de le faire, il est très difficile d’affaiblir ces témoins ou l’impact de ces déclarations.

Caroline Ellison, PDG de Alameda Research. (Michael M. Santiago/Getty Images)
Caroline Ellison, PDG de Alameda Research. (Michael M. Santiago/Getty Images)

« Stratégiquement, il y a des limites à ce que l’on peut faire.

« Même si vous êtes le meilleur [avocat] du monde, vous ne pouvez pas faire disparaître les preuves.

La défense, en effet, semble vaciller.

L’avocat principal de la défense, Mark Cohen, avait soutenu dans son exposé introductif que les associés de M. Bankman-Fried étaient les véritables auteurs des faits, et que son client n’était pas au courant de leurs crimes ou n’y était pas directement impliqué. M. Bankman-Fried a quitté son poste de PDG d’Alameda Research en octobre 2021, laissant les rênes à Mme Ellison.

M. Cohen a réussi à faire admettre à Mme Ellison des cas où M. Bankman-Fried n’était pas directement impliqué dans le fonctionnement d’Alameda, mais il a largement échoué à discréditer son témoignage général selon lequel M. Bankman-Fried était le décideur ultime, selon les analystes juridiques.

L’interrogatoire de M. Cohen a semblé divaguer par moments, changeant à plusieurs reprises de sujets et de dates et, à un moment donné, se référant à un mauvais document. Une autre fois, il s’est interrompu pour dire qu’il ne savait plus où il en était.

« Le juge s’est montré très sceptique à l’égard des contre-interrogatoires [de la défense] et a retenu de nombreuses objections », a déclaré M. Perry.

À plusieurs reprises, le juge a interrompu la procédure pour demander à M. Cohen où il voulait en venir avec ses questions ou de quoi il parlait, déclarant finalement après une heure de contre-interrogatoire que « c’est peut-être le bon moment pour faire une pause ».

M. Bankman-Fried s’est également attiré les foudres du juge fédéral de district Lewis Kaplan en tentant de communiquer avec des témoins via l’application Signal avant le procès. En février, le juge a ordonné à M. Bankman-Fried de s’abstenir de communiquer avec d’anciens employés.

En août, M. Bankman-Fried aurait partagé des écrits personnels de Mme Ellison avec un journaliste, ce que le juge Kaplan a considéré comme une subornation de témoin. Cela a conduit le juge à révoquer sa caution, après quoi M. Bankman-Fried a été transféré de la maison de ses parents en Californie, où il était assigné à résidence, à une cellule de prison.

Un élément qui pourrait jouer en faveur de la défense est le fait que M. Wang et Mme Ellison ont tous deux admis que, pour l’essentiel, ce sont eux qui ont agi – en codant des comptes, en transférant de l’argent de FTX ou en manipulant des documents financiers. Bien qu’ils aient tous deux déclaré avoir agi sous la direction de M. Bankman-Fried, il n’y a eu jusqu’à présent que peu de preuves matérielles appuyant cette affirmation, ce qui oblige les jurés à s’en remettre à la parole des personnes qui témoignent pour obtenir une peine plus légère.

Il existe peu de traces des conversations entre les parties dans cette affaire, car les dirigeants de FTX et d’Alameda communiquaient entre eux par l’intermédiaire de Signal, une application de messagerie utilisant le cryptage pour sécuriser les communications, et qui était configurée pour effacer automatiquement les messages. En revanche, les jurés peuvent s’interroger sur les motivations de M. Bankman-Fried à éviter de laisser une trace écrite de la correspondance de l’entreprise. Le fait que le groupe de discussion utilisé par les cadres dans cette application se serait appelé « Wirefraud » ne facilite pas non plus la tâche de la défense. M. Bankman-Fried a nié qu’un groupe de discussion ait existé sous ce nom ou qu’il en ait fait partie si cela a été le cas.

Des passants devant une enseigne bitcoin à Istanbul le 19 octobre 2021. (Chris McGrath/Getty Images)

« Une décision clé de la défense sera l’utilisation de l’argument fondé sur la consultation de l’avis d’un avocat par SBF », a déclaré M. Perry, en faisant référence aux décisions du juge Kaplan concernant les preuves qu’il autorisera dans ce sens.

« L’accusation devra prouver que SBF a utilisé ces fonds en toute connaissance de cause et de manière frauduleuse. La défense a demandé au juge de permettre à SBF de faire valoir que ses actes ont été examinés et approuvés par les avocats de FTX et qu’il pensait que ses actes étaient conformes à la loi sur la base de ces conseils.

« Cela atténuerait l’élément de préméditation de ses crimes ».

Dans une lettre adressée au juge Kaplan en août 2022, M. Cohen a écrit que l’avocat de FTX, Fenwick & West LLP (Fenwick), a fourni des conseils juridiques à M. Bankman-Fried concernant l’utilisation d’applications de suppression automatique, les relations bancaires entre Alameda et FTX, les prêts accordés aux dirigeants de FTX, les accords avec les clients de FTX et les « accords interentreprises entre FTX et Alameda, y compris l’accord de l’agent de paiement ». Les procureurs se sont opposés à la demande de M. Cohen de citer ces documents à comparaître, et le juge Kaplan semble s’être rangé à l’avis des procureurs en rejetant la demande de M. Cohen.

Le procureur du district sud de New York annonce l'inculpation de Sam Bankman-Fried, à New York, le 13 décembre 2022. (Stephanie Keith/Getty Images)
Le procureur du district sud de New York annonce l’inculpation de Sam Bankman-Fried, à New York, le 13 décembre 2022. (Stephanie Keith/Getty Images)

M. Cohen a soutenu que les services juridiques donnés à M. Bankman-Fried par Fenwick, ainsi que par les avocats internes de FTX, « lui ont donné l’assurance qu’il suivait une démarche de bonne foi » et que « le fait que le gouvernement demande maintenant à la Cour d’exclure les preuves sur le recours au conseil juridique est encore une autre tentative du gouvernement (…) de priver la défense d’une défense ».

Fenwick a nié avoir donné à M. Bankman-Fried l’assurance que les actions frauduleuses présumées étaient légales ou qu’il était au courant qu’il s’engageait dans des activités susceptibles d’enfreindre la loi.

Les accusations relatives au financement de la campagne sont écartées

Le dernier joker de ce procès est le montant de plus de 100 millions de dollars de FTX que M. Bankman-Fried a donné à des personnalités politiques avant l’effondrement de FTX. Il a été le deuxième plus grand donateur de la campagne électorale du président Joe Biden en 2020, avec plus de 5 millions de dollars, et le deuxième plus grand donateur des hommes et femmes politiques démocrates et des comités d’action politique (PAC) lors des élections de mi-mandat en 2022.

Parmi les plus grands bénéficiaires des dons de FTX, on trouve les sénateurs Debbie Stabenow (Part Démocrate-Michigan.) et John Boozman (Parti républicain-Arkansas), qui dirigent la commission sénatoriale de l’agriculture, laquelle supervise la Commodity Futures Trading Commission, l’une des agences de régulation des crypto-monnaies. Parmi les autres personnes concernées figurent les sénateurs Kirsten Gillibrand (Parti démocrate – New York), John Boozman et Maggie Hassan (Parti démocrate – New Hampshire), Cory Booker (Parti démocrate – New Jersey), Lisa Murkowski (Parti républicain-Alaska) et Susan Collins (Parti républicain-Maine).

Un certain nombre de PAC, principalement ceux affiliés au parti démocrate, ont également reçu des dons importants de M. Bankman-Fried.

Le 16 octobre, Nishad Singh, l’ancien directeur de l’ingénierie de FTX, a déclaré que les dons politiques faits par les cadres supérieurs étaient financés par les fonds des clients. M. Singh, qui a également plaidé coupable de fraude en matière de valeurs mobilières et accepté un accord pour témoigner en faveur de l’accusation, a déclaré qu’il avait cosigné les ordres bancaires pour effectuer les paiements à la demande de l’ancien cadre de FTX, Ryan Salame, qui a plaidé coupable d’infractions en matière de financement de campagnes électorales.

Joe Biden, alors candidat démocrate à l’élection présidentielle, arrive à un meeting de campagne à St. Louis le 7 mars 2020. (Dilip Vishwanat/Getty Images)

M. Bankman-Fried aurait également tenu une réunion privée avec le président de la Securities and Exchange Commission (SEC), Gary Gensler, en mars 2022.

La SEC a jusqu’à présent refusé de divulguer les documents relatifs à l’approbation de cette réunion par son comité d’éthique interne, bien qu’un porte-parole de la SEC ait confirmé que la réunion avait bien été approuvée.

Outre les sept chefs d’accusation de fraude en matière de valeurs mobilières, de fraude électronique et de blanchiment d’argent retenus contre M. Bankman-Fried, il y avait initialement un huitième chef d’accusation de violation des règles de financement des campagnes électorales.

Cependant, les procureurs ont abandonné ces charges en juillet, apparemment à la demande d’autorités aux Bahamas, au motif que les infractions liées au financement des campagnes électorales n’étaient pas incluses dans l’accord d’extradition.
Les procureurs pourraient porter ces accusations à une date ultérieure, qui pourrait se situer en 2024, selon les analystes juridiques.

L’arrestation de M. Bankman-Fried est intervenue un jour seulement avant la date à laquelle il devait témoigner devant le Congrès, ce qui a conduit un certain nombre de législateurs à protester contre le fait qu’il était réduit au silence.

Entre le moment de son arrestation et l’annulation des charges liées au financement de la campagne, les procureurs ont pour le moment effectivement abandonné la question des dons politiques de M. Bankman-Fried dans cette affaire.

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