Quentin Hoster : « La puissance russe, en miroir de nos propres faiblesses, a toujours séduit une partie de la droite française »

Par Julian Herrero
22 mars 2024 09:50 Mis à jour: 22 mars 2024 09:52

ENTRETIEN – Quentin Hoster a publié plusieurs papiers sur la droite française et sur ses différentes tendances politiques. Selon lui, le conflit russo-ukrainien a mis en évidence des clivages existant déjà dans cette partie de l’échiquier politique, même au sein de LR. Pour le rédacteur en chef de Valeurs Actuelles Régions, il y a une distinction à faire entre les libéraux-conservateurs favorables à l’Ukraine et de l’autre, les souverainistes plutôt russophiles.

Epoch Times – Vous avez accompagné il y a quelques semaines en Ukraine, le président de l’AMF, David Lisnard à l’occasion des deux ans de l’invasion russe. Ce n’était pas la première fois que le maire LR de Cannes se rendait en Ukraine. Des déplacements qui mettent en évidence des divergences qu’il peut y avoir à droite au sujet du conflit russo-ukrainien. On a le sentiment que David Lisnard se démarque même au sein de son propre parti par un soutien plus appuyé à Kyiv. Que pense-t-il de l’envoi de troupes ?

Quentin Hoster – À ma demande, j’ai accompagné David Lisnard à Lviv, une ville de 700.000 habitants située non loin de la frontière polonaise, où les soldats viennent du front pour se ressourcer et se soigner. Avec le directeur de l’hôpital de Cannes, également présent, nous avons visité l’hôpital de Lviv, qui soigne 60.000 amputés par an grâce à un atelier de fabrique de prothèses novateur. Grâce à leur gestion décentralisée, les Ukrainiens ont réussi en deux ans à transformer un vieil établissement soviétique en un hôpital à la pointe de la médecine et de la technologie moderne, visité par des médecins du monde entier.

Il s’agissait donc d’un échange de bons procédés entre les hôpitaux de Cannes et de Lviv, dont les communes sont jumelées depuis 2022. Nous avons aussi assisté à une cérémonie d’hommage aux morts de Lviv dans un silence que j’ai trouvé très digne, à l’image de la culture slave et chrétienne, que l’on ne se prive pas de vanter côté Russe.

David Lisnard s’est ensuite rendu dans le Donbass avec un fixeur, près de la ligne de front. Il a des attaches particulières avec l’Ukraine et avec la Russie, où il se rendait régulièrement lorsqu’il était président du Palais des festivals de Cannes, pour nouer des partenariats commerciaux. En affichant son soutien à l’Ukraine, il fait valoir un principe politique et militaire, peu défendu à droite, selon lequel la démonstration de sa faiblesse ne fait qu’attiser la force et l’appétit de l’adversaire. Si on veut la paix, il faut préparer la guerre, justement pour ne pas avoir à la mener.

Hélas, beaucoup de gens, à droite comme à gauche, pensent que s’armer, c’est alimenter l’escalade, alors qu’il s’agit de renforcer notre capacité de dissuasion vis-à-vis des puissances impérialistes comme la Russie. Quant à l’envoi de troupes, David Lisnard n’y est pas favorable car il considère que cela ferait de nous des co-belligérants. Plutôt que de nous impliquer directement, il appelle plutôt à augmenter les capacités défensives des Ukrainiens en leur fournissant l’armement qui leur fait défaut aujourd’hui.

Comment qualifieriez-vous les différentes tendances actuelles à droite de l’échiquier politique, mais également au sein de LR quand il s’agit de l’Ukraine ?

J’ai écrit un article il y a quelques semaines sur le fameux « esprit munichois ». Je ne voudrais pas qualifier de munichois tous ceux qui sont sceptiques sur la position à adopter entre l’Ukraine et la Russie, mais il est sûr que certains se comportent en idiots utiles du Kremlin. J’ai, par exemple, entendu Nicolas Dupont-Aignan qualifier Poutine de « de Gaulle russe ».

Quand on se dit souverainiste et que l’on souhaite s’inscrire dans les pas du Général de Gaulle, on doit se rappeler que le premier président de la Ve République était un défenseur de l’autodétermination des peuples et de la souveraineté nationale. Donc sa comparaison est indécente.

Cette droite-là paraît peut-être majoritaire sur les réseaux sociaux, mais elle est à mon avis minoritaire dans la vie réelle. Si une majorité de Français, désormais, se désintéressent de cette guerre, c’est parce qu’ils sont lassés et n’en saisissent pas vraiment les enjeux. Mais peu de gens sont vraiment complaisants à l’égard de la Russie, dont on réalise bien le caractère belliqueux et dictatorial.

Peut-on parler de clivage entre les pros et anti-américains au sein de la droite française ?

La puissance culturelle, spirituelle et politique Russe, en miroir de nos propres faiblesses sur ces plans, a toujours séduit une partie de la droite française, qu’une défiance également ancienne envers les États-Unis contribue à jeter dans les bras de son adversaire. Cette droite a tendance à balayer les États-Unis sur la base d’échecs avérés ou fantasmés, qui ne me semblent pas justifier un abandon de notre tropisme atlantiste historique.

Il parait déplacé de renvoyer dos-à-dos la Russie et les États-Unis, qui nous ont sauvé par deux fois lors des guerres mondiales et avec qui nous partageons les valeurs démocratiques, de liberté et d’universalisme. Même si elles sont abîmées par le wokisme et que la démocratie américaine, qui vacille, n’est plus un exemple à suivre. La Russie, qui est historiquement dominée par des régimes autoritaires, se décomplexe et se durcit considérablement avec cette guerre. Sur le plan stratégique, les Européens ont tout intérêt à s’émanciper sans se couper des Américains, si leur désengagement déjà entamé venait à se confirmer avec l’élection prochaine de Donald Trump. Car face à nous, se réveillent des puissances qui nous ont désigné comme leur adversaire : la Russie, l’Iran, la Chine ou la Turquie.

Autre sujet, vous avez récemment déclaré chez nos confrères de Tocsin média que dans l’état actuel des choses, la France « n’aurait jamais dû candidater à l’organisation des JO 2024 ». Pourquoi ?

L’État français est en faillite sur le plan financier et organisationnel, donc sur le plan régalien. Cela semble à l’évidence déraisonnable d’organiser un événement d’une telle ampleur sans avoir auparavant redressé la barre. Ce n’est pas parce que l’organisation de la Coupe du monde de rugby ou la venue du Roi Charles III (par ailleurs décalée en raison du climat social) ont été un succès, que l’on doit aborder ces JO avec candeur.

Lorsque Paris avait présenté sa candidature au Comité international olympique, nous avions en face de nous Los Angeles, qui avait eu la sagesse de se désister, estimant qu’elle ne serait pas prête. Mais Tony Estanguet et Anne Hidalgo, avec leurs ambitions jugées maximalistes et déraisonnables par les professionnels de sécurité notamment, prétendaient que nous le serions. Résultat, on se rend compte que les budgets ont été largement sous-évalués et que l’État, donc le contribuable, devra mettre la main à la poche. La promesse des Jeux autofinancés n’a pas fait long feu.

On réalise que les infrastructures promises sont loin d’être toutes réalisées, alors même que celles existantes ne parviennent pas à absorber les flux actuels. Ces Jeux vont être un enfer sur le plan logistique et sécuritaire, comme nous l’avons montré dans une enquête publiée avec Édouard Roux dans Valeurs actuelles. Le budget dévolu à la sécurité est de 320 millions d’euros, quand il était de 1,1 milliard aux JO de Londres en 2012. On nous avait également promis des « Jeux pour tous ». Mais la cérémonie d’ouverture, qui devait être accessible au plus grand nombre, ne le sera qu’à des invités triés par l’État et les collectivités. L’accès à des secteurs entiers de la capitale sera conditionné à la présentation d’un QR code. Pour sécuriser imparfaitement la cérémonie d’ouverture, qu’Alain Bauer avait qualifié de « folie criminelle », les domiciles qui donnent sur la Seine seront contrôlés et leurs occupants devront déclarer les amis qui viennent les voir.

Qu’est-ce que vous redoutez le plus ? Des infrastructures inadaptées pour les sportifs ? Des problèmes liés à l’insécurité similaires aux violences qui avaient éclaté au stade de France au printemps 2022 ou aux émeutes de l’an dernier ?

Un peu tout cela à la fois. La sécurité de tous les jours n’est même pas assurée dans notre pays, puisqu’on manque d’effectifs et que les effectifs eux-mêmes manquent de moyens. Pour les Jeux olympiques, on va mobiliser les forces de sécurité intérieure de tout le pays pour la capitale et pour les villes qui accueilleront des épreuves. Ce qui signifie que l’on va déshabiller la province au profit de Paris. Cela va mécaniquement augmenter l’insécurité dans le reste du pays sur cette période.

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