Rachida Dati favorable à la certification de l’information, nouveau nom du ministère de la Vérité

Par Ludovic Genin
25 mars 2024 13:32 Mis à jour: 25 avril 2024 16:19

Lors des questions au gouvernement le 20 mars, la ministre de la Culture Rachida Dati s’est dite favorable à la certification de l’information : « Sur la fiabilité de l’information, la piste sur laquelle je travaille est la certification de l’information. » La ministre fait référence à la Journalism Trust Initiative (JTI), une certification proposée par Reporters sans frontières qui devrait conclure les États généraux de l’information, cet été.

L’encadrement de l’information est un projet de longue date depuis la commission Bronner en 2021 et d’une plateforme gouvernementale en 2020 pour relayer les médias jugés «sûrs et vérifiés». Nouvelle déclinaison du ministère de l’Information abandonné en 1974, décrit alors comme « ministère de la Vérité » ou encore « ministère de la Censure », la certification de l’information risque de reposer cette fois dans les mains de certificateurs extérieurs, adossés à la puissance algorithmique des GAFAM — avec la bénédiction du gouvernement.

La certification JTI de Reporters sans frontières, nouveau nom du ministère de l’Information
La certification de l’information fait partie des propositions retenues par les États généraux de l’information (EGI), proposée par Reporters sans frontières, dont le secrétaire général Christophe Deloire en est également président. Récemment, l’impartialité du porteur de cette certification était remise en question après sa saisine du Conseil d’État contre CNews et son parti pris avec le fameux « Là où Bolloré passe, le journalisme trépasse », lancé sur France Inter en juillet 2023.

Depuis 2018, RSF imagine un système de labellisation des médias au travers de la Journalism Trust Initiative (JTI), un outil de certification de l’information suivant 130 critères vérifiés par des « certificateurs » de RSF. L’ambition, d’après Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général de RSF, c’est avant tout « de montrer patte blanche aux annonceurs qui craignent d’être associés à de la désinformation, mais aussi de parvenir à faire de ce label un facteur d’indexation algorithmique pour les grandes plateformes », déclarait-il à La Croix.

Cette note donnée par la JTI conditionnerait la visibilité d’un média vis-à-vis des citoyens, dans les moteurs de recherche et sur les médias sociaux, auprès des annonceurs mais aussi son éligibilité à recevoir des subventions ou des dons, peut-on lire en noir et blanc sur le site de RSF. En d’autres termes, la JTI va installer une classification des médias — entre les bons et les mauvais,  sonner le glas des médias indépendants et risque d’handicaper les grands médias qui ne se plieraient pas à la doxa portée par les certificateurs.

Une enquête publiée par Epoch Times expliquait que l’application à grande échelle d’une labellisation des médias, comme celle de l’entreprise américaine Newsguard, avait abouti à un maillage idéologique et biaisé des médias. L’enquête a révélé que la start-up américaine donne des bonnes notes – c’est-à-dire de la visibilité sur les médias sociaux et les moteurs de recherche, l’accès aux annonceurs, etc. – aux médias qui suivent une doxa politico-médiatique de gauche ou progressiste, alors que des mauvaises notes sont données à des médias conservateurs et indépendants, même s’ils adhèrent à des normes journalistiques élevées.

À LIRE: Le cheval de Troie des États généraux de l’information : une labellisation de l’information et des médias

Le cahier des charges de la JTI de RSF est très proche du celui de NewsGuard, RSF collaborant par ailleurs avec NewsGuard depuis le mois de mai 2023 pour labelliser les médias d’information en Ukraine. La future législation européenne, l’European Media Freedom Act, consacre aussi l’utilisation la Journalism Trust Initiative (JTI), comme référence pour identifier les médias fiables – ouvrant la porte à un étiquetage généralisé de la presse au niveau européen en s’appuyant sur la puissance algorithmique des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Quelque chose que l’on pourrait voir arriver assez tôt en France si la loi relative à la liberté de communication de 1986 était finalement modifiée par le gouvernement, au terme des EGI.

Une volonté du gouvernement Macron à encadrer l’information
Le gouvernement n’en est pas à son premier coup essai. En 2020, une plateforme « Désinfox Coronavirus » avait été créée sur le site du gouvernement pour recenser les articles de journaux jugés «sûrs et vérifiés». En réponse, une trentaine de sociétés de rédacteurs avaient cosigné une tribune dans laquelle elles rappelaient que « l’État n’est pas l’arbitre de l’information ».

La tribune dénonçait l’interventionnisme de l’État : « En distinguant tel ou tel article sur son site, le gouvernement donne l’impression, dans un mélange des genres délétère, de labelliser la production de certains médias. Selon cette même logique, les autres ne seraient pas dignes d’un imprimatur que l’État n’a pourtant aucune légitimité à délivrer dans un pays où la liberté de la presse est une liberté fondamentale. »

Interrogé par Le Figaro, Arnaud Benedetti, professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne, déclarait qu’ « en triant les articles de presse, le gouvernement tente de recréer un ministère de l’Information » en précisant que « lorsque l’État prétend nous dire la vérité, il ne dit que «sa» vérité… ou ses mensonges. » Le Syndicat National des Journalistes avait déposé un recours devant le Conseil d’État pour que le gouvernement supprime la page en question, évoquant une « atteinte grave et manifestement illégale portée aux principes de pluralisme dans l’expression des opinions et de neutralité des autorités publiques ». La page avait été retirée.

En 2021, Emmanuel Macron tentait de nouveau d’encadrer l’information, en demandant la création d’une commission présidée par le sociologue Gérald Bronner, chargée de faire des propositions face à la désinformation en ligne. La composition de cette commission avait rapidement été critiquée notamment avec la présence parmi ses membres d’un médecin qui, « depuis des années et sans vergogne », remettait en question le drame causé par le Mediator.

La commission Bronner, appelée «Les Lumières à l’ère numérique», était missionnée par l’Élysée pour formuler «des propositions concrètes dans les champs de l’éducation, de la régulation, de la lutte contre les diffuseurs de haine et de la désinformation». Certains commentateurs y voyaient de nouveau la «mise en place d’un ministère de la Vérité». L’initiative intervenait dans un contexte post-sanitaire où les informations sur l’origine non-naturelle du Covid, la transmission du virus et les effets secondaires des vaccins posaient des questions de légitimité au gouvernement, après une politique imposée sur le pass sanitaire obligatoire, des confinements successifs et un « quoi-qu’il-en coûte » que les Français n’ont pas fini de payer.

Cette tendance à se méfier des informations publiées par les médias remonte avant la crise sanitaire.

Le ministère de l’Information déjà supprimé, il y a 43 ans
Le premier ministère de l’Information apparaît en 1940 sous le régime de Vichy. Il est la continuité du ministère de la Propagande créé en 1938 sous Léon Blum. Il est gardé en 1942 par le gouvernement d’occupation allemand, qui en a accentué considérablement sa censure. Il a continué à exister après-guerre jusqu’au début de la Ve République, où il sera abandonné.

Dans les années 60, un décret stipulait que le ministère de l’Information était le garant de la liberté de la presse. Son budget était reversé en grande partie aux organes de presse en se plaçant comme le « gestionnaire et distributeur de fonds […] intégralement mis au service de la liberté d’expression ». Nommé « ministère de la Censure » par le grand public, il intervenait directement dans la ligne éditoriale des journaux télévisés. Accusé de « politisation » et de « main-mise du gouvernement sur le journal télévisé », le ministre Alain Peyrefitte, qui en a occupé le poste de 1962 à 1968, répondait au contraire que le but était de valoriser « les images, les faits, l’objectivité et la dépolitisation ».

Un an après mai 68, le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas décidera de le supprimer. Il sera rétabli en 1972 par Pierre Messmer, pour être enterré définitivement par Valéry Giscard d’Estaing en 1974, après de nombreuses accusations de censure et d’ingérence. La loi relative à la liberté de communication de 1986 visera à encadrer les médias audiovisuels en leur garantissant la liberté d’expression et en encadrant le pluralisme des opinions dans les médias.

La démocratie et le pluralisme des opinions en question
Le 12 mars, lors d’une audition au Sénat, la ministre de la Culture Rachida Dati déclarait attendre les conclusions des États généraux de l’information dans l’éventualité d’une révision de la loi de 1986.

La liberté d’expression que nos lois protègent en France risque d’être remise en question par l’introduction de la JTI de RSF. L’ONG, censée défendre la liberté de la presse et le respect des droits de l’homme, pourrait en devenir le premier fossoyeur quand ses certificateurs deviendront les nouveaux commissaires politiques du régime. Le nouveau nom de ce ministère de l’Information serait alors la « certification de l’information ».

Comme à son habitude, le sens des mots est inversé par le gouvernement. Pour défendre la liberté de la presse, on veut en réalité la limiter ; pour garantir le pluralisme des médias, on veut censurer les opinions ; au nom de l’objectivité et de la non-politisation de l’information, on veut donner la certification des médias à des certificateurs extérieurs, tout autant (si ce n’est plus) subjectifs et politisés. Par un tour de passe passe, ce serait la fin définitive de l’indépendance des médias par rapport au pouvoir politique.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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