Le cheval de Troie des États généraux de l’information: une labellisation de l’information et des médias

Les implications des États généraux de l’information (Partie 2)

Par Ludovic Genin
27 février 2024 05:22 Mis à jour: 25 avril 2024 16:19

Dans la première partie, nous avions tiré le fil des États généraux de l’information (EGI) pour y trouver un millefeuille tentaculaire de contributions. Sous couvert d’une vaste consultation citoyenne apparaît une volonté générale de contrôler l’information, dans un contexte où son président, Christophe Deloire, également directeur général de Reporters sans frontières (RSF) est l’auteur d’un recours auprès du Conseil d’État contre Cnews.

Outre les questions légitimes sur l’impartialité des EGI, le récent intérêt de RSF pour la labellisation de l’information pose question, un étiquetage qui, à l’image de son pendant américain NewsGuard, pourrait désavantager les médias conservateurs et les médias indépendants.

Vers un modèle de labellisation des médias
Parmi les contributions collectées par les EGI, la première déposée par RSF concerne l’instauration d’une « obligation d’amplification algorithmique des médias certifiés en vertu de la norme de la Journalism Trust Initiative ». Depuis 2018, RSF imagine un système de labellisation des médias au travers de la Journalism Trust Initiative (JTI), un outil de certification répondant à « 130 indicateurs de fiabilité et récompensant le respect des normes professionnelles et de l’éthique journalistique. »

Selon RSF, le label serait accordé aux médias sur la base d’une « autoévaluation », suivie d’un audit facultatif. L’ambition, d’après Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général de RSF, c’est avant tout « de montrer patte blanche aux annonceurs qui craignent d’être associés à de la désinformation, mais aussi de parvenir à faire de ce label un facteur d’indexation algorithmique pour les grandes plateformes » peut-on lire sur La Croix.

Cette note donnée par la JTI conditionnerait la visibilité d’un média vis-à-vis des citoyens, dans les moteurs de recherche et sur les médias sociaux , auprès des annonceurs mais aussi conditionnera son éligibilité à recevoir des subventions ou des dons, peut-on lire sur le site. En d’autres termes, la JTI pourrait sonner le glas des médias indépendants et handicaperait les grands médias qui ne se plieraient pas à la doxa dominante.

La JTI dans les traces de sa grande soeur ‘NewsGuard’

L’idée de labellisation de l’information et des médias n’est pas neuve. Fondée en 2018, l’entreprise américaine NewsGuard prétend évaluer les contenus en ligne selon leur fiabilité, insistant sur le fait que la start-up est objective et non partisane.

NewsGuard charge ses « analystes » d’écrire des évaluations concernant l’ensemble des créateurs de contenu en ligne et de décerner des notes « pour aider les lecteurs à avoir davantage de contexte pour les nouvelles qu’ils lisent en ligne ». Les notes s’affichent sous forme de petits badges avec des scores et des couleurs à côté des résultats de recherche.

Toutefois, une enquête menée par Epoch Times en août a montré que la mesure de fiabilité affichée par NewsGuard dépendait de la conformité du contenu des médias avec les opinions propres à l’organisation. Selon l’enquête, à plusieurs reprises, des éditeurs ont subi des pressions de NewsGuard pour avoir publié des articles sur des sujets tels que les vaccins Covid-19, les restrictions en cas de pandémie, le changement climatique ou le Forum économique mondial, qui étaient contraires aux opinions d’un milieu politico-médiatique de gauche, la plupart des sites mal notés par NewsGuard ayant tendance à pencher à droite.

Toutefois, cela ne représente qu’une petite partie du tableau. Une vue d’ensemble montre que la fonction la plus puissante de NewsGuard vient de ses relations avec les agences de publicité, incitant leurs clients à supprimer les budgets publicitaires des créateurs de contenu dépréciés par les évaluations de l’entreprise américaine. Dans les faits, on observe que les médias institutionnels et favorables à l’establishment politico-médiatique ont tendance à recevoir des scores élevés, tandis que les médias indépendants ou sceptiques à l’égard de cet establishment ont tendance à recevoir des scores faibles, même s’ils adhèrent à des normes journalistiques élevées.

En octobre, Elon Musk le patron de X qualifiait NewsGuard d’ « escroquerie » et a demandé sa « dissolution immédiate » suite à des allégations affirmant que l’entreprise américaine déclassait toutes les informations qui ne s’alignent pas avec ses positions politiques. Elon Musk a également mis en cause l’Union européenne pour sa collaboration présumée avec NewsGuard.

Si l’on revient à la proposition de RSF dans les EGI, le cahier des charges de sa JTI est très proche du celui de NewsGuard, ce qui n’est pas étonnant quand on apprend que RSF collabore avec NewsGuard depuis le mois de mai 2023 pour labelliser les médias d’information en Ukraine.

Une labellisation de l’information généralisée au niveau européen

Le tableau n’a pas fini d’être peint. On peut lire sur le site de RSF que la labellisation de la JTI a été intégrée en 2022 dans le Code de bonnes pratiques sur la désinformation de la Commission européenne. La JTI y est définie comme « référence pour valoriser les sources d’information fiables et lutter contre la désinformation ». Le texte en question est l’un des codes de conduite préconisé par le Digital Services Act (DSA), le nouveau règlement sur les services numériques en Europe en application depuis l’été 2023.

En 2021, la Commission européenne se serait associée à NewsGuard dans la création et l’application du DSA, ce qui a fait l’objet d’une question écrite de Virginie Joron au Parlement européen, le 25 octobre 2023. L’eurodéputée a pointé le manque de transparence de la firme américaine NewsGuard sur son budget de lobbying et les fonds reçus – elle aurait signé un contrat de 1,5 million d’euros avec la Commission, ainsi que l’opacité de la rencontre de NewsGuard avec des membres du cabinet de Thierry Breton en novembre 2021. « Pourquoi la Commission autorise-t-elle des entreprises étrangères dont les déclarations ne sont pas à jour à participer à ses groupes de travail sur l’ingérence étrangère, la désinformation et le DSA, ou encore à recevoir des financements? » a-t-elle questionné.

Un écho entendu du côté du président de la Fondation pour la liberté sur le net, Mike Benz qui a rapporté le 19 octobre que la société américaine NewsGuard collaborait avec la Commission européenne dans sa lutte contre la «désinformation», notamment au sujet de la COVID-19 ou du changement climatique et qu’elle produirait au niveau européen des listes noires de médias et d’acteurs publics.

Le Code de bonnes pratiques sur la désinformation de la Commission européenne et le DSA, prenant comme référence la JTI, ont permis l’élaboration d’une plus vaste législation européenne sur la liberté des médias, l’European Media Freedom Act (EMFA) qui s’apprête à se généraliser dans toute l’Europe. Le texte de l’accord, validé en décembre 2023, devrait être adopté d’ici le mois d’avril 2024, un Comité européen des services de médias devrait voir le jour trois mois plus tard et toutes les autres dispositions les trois mois suivants.

Un « enjeu fondamentalement démocratique »

Cette labellisation de l’information qui ressort de plusieurs contributions des États généraux de l’information est déjà en marche au niveau européen par l’intermédiaire de RSF et de NewsGuard. Il n’est pas difficile d’y faire le parallèle avec le système de crédit social chinois appliqué aux médias : si un média n’a pas un bon score JTI, il ne pourra pas faire de publicités, il ne pourra pas toucher de subventions, il ne sera pas mis en avant dans les moteurs de recherche ni sur les sites de médias sociaux, il ne pourra pas toucher de dons et sa réputation digitale sera ruinée.

Une perspective qui se met en place à bas bruit à l’approche d’une année électorale décisive avec les élections européennes et américaines « au cours de laquelle l’accès à une information fiable revêt un enjeu fondamentalement démocratique » déclarait NewsGuard en décembre – qui ne pensait pas si bien dire.

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