Remise en question des programmes contre l’intimidation

4 février 2016 02:02 Mis à jour: 4 février 2016 02:04

Depuis l’âge de sept ans, Michaël était souvent une cible d’intimidation. Une intimidation qui frappait davantage par les insultes que par les coups, mais dont la pensée le terrifiait chaque matin en se rendant à l’école.

Le plus difficile était de ne pas savoir comment il se ferait humilier durant la journée ; il devait toujours être sur ses gardes.

Après avoir tenté pendant des années de mettre fin à l’intimidation, la mère de Michaël, Stéphanie [les deux noms ont été changés pour protéger leurs identités], a commencé à se poser des questions : Pourquoi est-il victime d’intimidation ? Est-ce qu’il fait quelque chose pour s’attirer la foudre des autres ? Pourquoi la situation est-elle la même dans toutes les écoles fréquentées ?

« C’est impossible qu’il y ait toujours quelqu’un de méchant partout où tu vas », a-t-elle dit à Michaël un jour. « Nous devons te donner des moyens pour que tu puisses interagir avec les gens, avec les autres enfants. »

Peu après, Stéphanie a eu la chance d’assister à une conférence donnée par le psychologue et spécialiste du problème de l’intimidation Israel Kalman. Elle a retenu ses services sur-le-champ.

La stratégie de M. Kalman pour lutter contre l’intimidation va essentiellement à l’encontre de plusieurs programmes populaires qui ont été implantés dans les écoles ces dernières années.

Presque tous les programmes contre l’intimidation implantés dans les écoles publiques utilisent une version du Programme de prévention de l’intimidation d’Olweus. Développé par un pionnier du domaine, le chercheur norvégien Dan Olweus, le programme focalise sur des règles contre l’intimidation en milieu scolaire, la supervision accrue, l’intervention des professeurs et la communication constante de messages contre l’intimidation.

Le problème est que, malgré un certain succès dans les pays scandinaves, le programme est essentiellement un échec en Amérique du Nord. Les taux de succès sont au mieux de 12 % dans la diminution du nombre d’étudiants qui disent être victimes d’intimidation deux fois ou plus par mois, selon l’étude la plus approfondie à ce jour sur la méthode Olweus, réalisée par la Highmark Foundation. Dans certains cas, des écoles ont même constaté une augmentation de l’intimidation après avoir adopté le programme.

La règle d’or

Israel Kalman adopte une autre approche qui élimine en grande partie le rôle des écoles et des parents. Selon lui, le taux de succès serait d’environ 90 %. Il enseigne aux victimes d’intimidation comment se donner les moyens de gérer la situation en suivant la règle d’or : aime ton prochain comme tu t’aimes ; fais aux autres ce que tu voudrais qu’on te fasse (même si les autres ne sont pas très gentils).

Le message de M. Kalman se résume à ceci : sois gentil envers la personne qui t’intimide et traite-la comme un ami, essaie de ne pas réagir avec colère et œuvre à désamorcer le conflit. En utilisant les jeux de rôle, M. Kalman enseigne aux enfants comment demeurer calmes quand ils sont victimes d’intimidation et quoi dire pour apaiser la situation. L’idée est d’arrêter de nourrir la pulsion de dominer et de « gagner » de la personne qui intimide.

Le psychologue Israel Kalman et un des élèves de l’école de karaté Best Canada Karate School de Victoria, C.B, interagissent lors d’un jeu de rôle mettant en scène un scénario d’intimidation. (John Tran/Mark Media)
Le psychologue Israel Kalman et un des élèves de l’école de karaté Best Canada Karate School de Victoria, C.B, interagissent lors d’un jeu de rôle mettant en scène un scénario d’intimidation. (John Tran/Mark Media)

Voici un échange typique qu’il pourrait avoir avec un client :

Scénario 1 – La victime se fâche et se défend

Tyran : Hé gros tas, comment es-tu devenu si gros ? Manges-tu de la crème glacée pour le petit-déjeuner ?

Victime : (se fâche et se met sur la défensive) Non, je ne suis pas gros ! Ne me dis pas ça !

Tyran : Pourquoi tu n’arrêtes pas de manger ?

Victime : Je ne mange même pas tant que ça ! Vaut mieux que tu arrêtes de m’insulter sinon je vais le dire au professeur !

Tyran : Ah oui ? C’est ce qu’on va voir. Tu lui dis et je vais te casser les dents (il menace de frapper la victime et le conflit s’intensifie).

Scénario 2 – La victime demeure calme et tente de désamorcer la situation (la technique de M. Kalman)

Tyran : Hé gros tas, comment es-tu devenu si gros ? Manges-tu de la crème glacée pour le petit-déjeuner ?

Victime : (Demeurant calme) Je ne sais pas, c’est vraiment difficile pour moi. Je ne sais pas ce que je fais de mal.

Tyran : Pourquoi tu n’arrêtes pas de manger ?

Victime : J’essaie de surveiller mon alimentation, mais rien ne semble fonctionner. Je ne sais pas pourquoi je continue à prendre du poids. Comment fais-tu pour être si mince ?

Tyran : Marmonne une insulte et s’en va.

Lorsque M. Kalman a commencé à travailler avec Michaël, reconstituant les scénarios typiques auxquels il faisait face, Michaël était sceptique au départ, mais assez désespéré pour tenter quoi que ce soit. Un jour, le même jeune lui a servi les mêmes vieilles insultes, il a rassemblé son courage… et n’a pas réagi.

« [Le tyran] m’insultait […] alors j’ai juste dit : “Ça m’est égal” », raconte Michaël.

Le tyran a renchéri, tout comme M. Kalman avait averti Michaël, pour voir s’il était en mesure de le déstabiliser. Michaël a toutefois refusé de se fâcher et s’est plutôt mis d’accord avec le tyran ou est simplement demeuré silencieux. Peu après, embêté et frustré que Michaël n’embarque pas dans son jeu, il a cessé ses insultes et est parti.

« Je me suis senti bien. J’étais content », commente Michaël. « Ça m’a donné un sentiment de bien-être de ne pas l’avoir laissé me déranger. »

Technique controversée

Bien que Michaël soit l’un des nombreux clients de M. Kalman à témoigner de l’efficacité du programme, certains considèrent que cette technique est très controversée. Il a été accusé de mettre les enfants directement en danger.

« Certaines des choses les plus horribles écrites sur internet sont à mon sujet. Je suis l’expert en intimidation qui subit le plus d’intimidation dans le monde », affirme-t-il, soulignant que les « militants contre l’intimidation » sont parmi ses critiques les plus acerbes.

« Ils m’insultent, ils écrivent des choses terribles à mon égard et ils n’ont pas la moindre idée qu’ils ont exactement le même comportement qu’ils déplorent. »

Le Dr Israel (Izzy) Kalman (Gracieuseté de Israel Kalman)
Le Dr Israel (Izzy) Kalman (Gracieuseté de Israel Kalman)

La section des critiques du livre de M. Kalman, Bullies2Buddies, sur Amazon est un champ de bataille, où les critiques à cinq étoiles de parents et d’enseignants côtoient celles à une étoile qui accusent Kalman d’être un amateur qui blâme les victimes.

Un détracteur de Kalman, Ben Leichtling, psychothérapeute et auteur de plusieurs livres sur comment mettre fin à l’intimidation, affirme que la technique peut peut-être fonctionner avec les moqueries bon enfant, mais pas avec l’intimidation continuelle.

« Le Dr Kalman ne travaille pas avec les victimes de véritables tyrans en milieu scolaire. Ses conseils fonctionnent bien pour les victimes d’enfants bien élevés qui ont recours à l’intimidation parce qu’ils ont une mauvaise journée », écrit-il sur son site web BulliesBeGone.com.

« Les vraies brutes sont des éternels prédateurs qui recherchent des proies fragiles et isolées. Il est impossible de stopper ces brutes en étant gentil, compréhensif, aimable et rationnel. […] Les vraies brutes n’ont pas l’empathie d’arrêter de vous abuser parce que vos sentiments sont blessés ou parce que vous êtes une bonne personne. »

Israel Kalman affirme que son approche ne vise pas à régler les cas d’abus grave ou d’agression physique, ce qu’il qualifie de « crime » qui ne devrait pas être inclus dans la catégorie toujours grandissante de l’intimidation. Selon lui, la vaste majorité des actes d’intimidation tombe dans la catégorie moins sévère et la vraie raison pour laquelle sa méthode est souvent critiquée tire du fait qu’elle va à l’encontre de cette idée répandue que si quelqu’un vous traite mal, ce n’est jamais de votre faute.

« Les gens adorent le mouvement contre l’intimidation. Ils adorent ce qu’il enseigne. Vous savez comment c’est réconfortant de vous faire dire que vous n’êtes pas du tout responsable de vos problèmes. Personne ne veut abandonner cette philosophie », estime M. Kalman, qui sera dans le documentaire sur l’intimidation à sortir prochainement Do You Think I’m a Joke ?

Attiser le feu de l’intimidation ?

Une recherche publiée par l’American Psychological Association démontre que les enfants qui sont les plus susceptibles d’être victimes d’intimidation sont ceux qui manquent d’habiletés sociales pour résoudre des problèmes. En d’autres mots, ils pourraient attiser le feu de l’intimidation.

« Une victime typique aura tendance à être agressive, à manquer d’habiletés sociales, à développer des pensées négatives, à avoir de la difficulté à résoudre des problèmes de nature sociale, à venir d’un environnement familial, scolaire et communautaire négatif et à être visiblement rejetée et isolée par ses pairs », affirme Clayton Cook, auteur de la recherche Predictors of Bullying and Victimization in Childhood and Adolescence : A Meta-analytic Investigation (indices d’intimidation et de victimisation à l’enfance et à l’adolescence : une recherche méta-analytique).

C’est donc dire que lorsque les programmes populaires contre l’intimidation indiquent aux enfants de toujours chercher à l’extérieur pour des solutions, comme rapporter l’intimidation aux parents et aux enseignants ou demander à un adulte d’intervenir, cela les force à dépendre des autres pour résoudre leurs problèmes, ce qui ne règle pas la question fondamentale, selon M. Kalman.

L’élargissement de la définition de l’intimidation – comprenant tout, des moqueries au meurtre – représente peut-être une partie du problème, selon Sue Eva Porter, auteur de Bully Nation : Why America’s Approach to Childhood Aggression is Bad for Everyone (pays de brutes : pourquoi l’approche des États-Unis sur l’agression pendant l’enfance est mauvaise pour tous).

Avec notre désir de protéger les enfants contre la douleur émotive, nous avons élargi la définition pour inclure presque tout comportement qui pourrait faire se sentir mal un enfant, affirme Mme Porter. Avec cette définition élargie, nous nous attendons à ce que les enfants se comportent et qu’ils apprennent de leurs comportements, d’une manière qui est souvent au-delà de leurs capacités de développement.

« J’en suis venue à croire que beaucoup de nos réponses à l’actuelle “épidémie” d’intimidation sont profondément imparfaites, peu importe nos bonnes intentions », écrit-elle. « Avec notre désir d’aider les enfants à se sentir en sécurité et nos peurs au sujet des statistiques frappantes sur l’intimidation, nous avons développé des méthodes pour répondre à l’agression envers les enfants qui font souvent plus de mal que de bien. »

Version originale : Anti-Bullying Programs Failing Kids, Says Expert With bullying remaining rampant, is a new approach needed?

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