Starlink d’Elon Musk s’affranchit de la bureaucratie et de la corruption en Afrique

Le service Internet par satellite d'Elon Musk, moins cher et plus rapide, gagne en popularité en Afrique, mais des gouvernements s'y opposent encore.

Par Darren Taylor
19 décembre 2023 23:26 Mis à jour: 19 décembre 2023 23:26

JOHANNESBOURG — Starlink, le fournisseur d’accès à Internet par satellite propriété d’Elon Musk, gagne du terrain en Afrique, au grand dam des régimes répressifs et corrompus qui tentent de le bloquer.

Dans certains cas, des entreprises africaines importent et vendent « illégalement » des équipements Starlink qui permettent aux utilisateurs de contourner les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) du continent. Ceux-ci sont coûteux, souvent sous le contrôle des différents gouvernements africains, et offrent moins de connectivité et de rapidité que le système internet de l’homme le plus riche du monde.

De nombreux Africains vivent dans des pays où les autorités n’ont pas encore accordé de licences réglementaires à Starlink, une division de SpaceX, et accèdent à ces services à l’aide d’équipements de renforcement du signal.

Les amplificateurs de signal permettent aux utilisateurs de se connecter à une « station terrestre » de SpaceX au Nigeria – le premier pays africain à avoir accordé, en janvier, une autorisation réglementaire aux services Starlink.

« La révolution technologique se produit à un rythme que la plupart des gouvernements africains ne peuvent tout simplement pas suivre », a déclaré Arthur Goldstuck, fondateur et PDG de World Wide Worx, l’une des principales entreprises technologiques d’Afrique.

« Le génie est sorti de la bouteille. Plus vite ils comprendront qu’ils ne peuvent contrôler l’incontrôlable, mieux ce sera pour eux et pour leur population », soutient-il.

M. Goldstuck a déclaré que l’Afrique est le continent qui connaît la croissance [démographique] la plus rapide au monde, mais c’est aussi le continent plus « demandeur en matière de technologie ».

« Les données sont chères en Afrique, et il est impossible de se développer dans le monde moderne lorsque les données sont chères. La demande de connectivité rapide et bon marché a donc explosé. Musk alimente cette demande », a-t-il déclaré à Epoch Times.

« Certains gouvernements n’aiment pas cela, parce qu’ils veulent tout contrôler, et surtout ils veulent contrôler l’argent et les flux d’information. »

Starlink, qui dépend de SpaceX, le fabricant de fusées et opérateur de satellites propriété d’Elon Musk, dispose d’une constellation de milliers de satellites en orbite basse, fournissant le « système internet à large bande le plus avancé du monde » à 60 pays, selon son site web.

Selon M. Goldstuck, les gouvernements africains « progressistes » encouragent ces initiatives et saluent la capacité de Starlink à contribuer au développement de leur pays, et n’ont « aucun problème » avec le fournisseur d’accès internet dont ils reconnaissent la valeur.

« Cela permet la diffusion en continu à haut débit, les appels vidéo et le télétravail – autant d’éléments qui contribuent grandement à l’efficacité économique », a-t-il déclaré.

Officiellement, Starlink n’est disponible que dans sept des 54 pays d’Afrique, soit le Bénin, le Kenya, le Malawi, le Mozambique, le Nigeria, le Rwanda et la Zambie. Mais des mises en service sont prévues dans 25 autres pays en 2024.

Des jeunes femmes somaliennes dans le camp de réfugiés de Dadaab, dans le nord-est du Kenya, le 16 avril 2018. (Yasuyoshi Chiba/AFP via Getty Images)

« Regardez quels sont les pays où [les] pouvoirs en place tentent d’empêcher Starlink de s’implanter. Ce sont les pays déchirés par la guerre comme le Soudan, la Libye et la Somalie. Ce sont des régimes répressifs comme le Congo et la Guinée équatoriale, qui restreignent l’accès à l’information », relève M. Goldstuck.

« Ce sont les gouvernements qui ont tout intérêt à ce que les données demeurent chères et qui instaurent des règles déraisonnables, conçues pour bénéficier aux élites politiques, comme c’est la cas en Afrique du Sud. »

Certains gouvernements africains imposent de lourdes taxes sur les services et les infrastructures de télécommunications privés.

Depuis des décennies, les données nécessaires pour accéder à l’internet en Afrique sont contrôlées par quelques multinationales des télécommunications mobiles, dont le groupe MTN et Vodacom en Afrique du Sud, et Safaricom au Kenya.

Leurs forfaits de données sont d’un coût prohibitif.

En juillet 2022, une étude de l’entreprise technologique britannique Cable, publiée dans Mobile Magazine, a montré que six des dix pays où les données sont les plus chères se trouvent en Afrique subsaharienne.

Dans la minuscule kleptocratie de Guinée équatoriale, riche en minerais et située en Afrique centrale, un gigaoctet (Go) coûte près de 50 dollars (46 €), soit le prix le plus élevé au monde. Au Tchad, un gigaoctet coûte 24 dollars (22 €).

Jusqu’à l’arrivée récente de Starlink, le prix d’un gigaoctet était de 26 dollars (24 €) au Malawi.

Selon un rapport publié en août 2022 par le portail de données statistiques mondiales Statista, le coût moyen d’un Go de données mobiles en Afrique subsaharienne s’élève à 4,47 dollars (4,09 €).

Le coût initial d’achat d’équipement et d’installation des kits Starlink, qui incluent une antenne parabolique motorisée, des câbles, un trépied métallique, un adaptateur électrique et un routeur Wi-Fi, est à peu près le même partout, soit de 550 dollars (504 €).

Toutefois, les prix des abonnements mensuels de base à Starlink dans les pays développés diffèrent nettement de ceux en Afrique.

Par exemple, aux États-Unis, les frais de service mensuels de Starlink s’élèvent à 110 dollars (100 €). Dans les pays africains qui disposent officiellement de Starlink, le prix moyen est d’environ 45 dollars (41 €).

Ce forfait de 45 dollars permet aux utilisateurs de télécharger 1000 Go de données, ce qui signifie qu’un Go coûte aux Africains moins de 0,50 dollar, soit neuf fois moins que le prix moyen d’un Go en Afrique subsaharienne.

« C’est une évidence », a déclaré Makinde Adeagbo, né au Nigeria, ingénieur logiciel indépendant qui a travaillé chez Facebook, Microsoft et Pinterest, et qui est actuellement basé dans la Silicon Valley.

« Il n’est pas étonnant que les entreprises africaines imaginent toutes sortes de stratagèmes pour avoir accès à Starlink », a déclaré M. Adeagbo.

« Étant donné le coût de l’équipement, la grande majorité des Africains n’a pas les moyens de s’offrir [Starlink] pour l’instant. Toutefois, les entreprises, les institutions, les écoles, les centres commerciaux ? Ils peuvent certainement se l’offrir. »

Des écoliers de l’école Avrankou-Houeze assistent à un cours à la mairie d’Avrankou, au Bénin, le 18 janvier 2019. (Yanick Folly/AFP via Getty Images)

Percer en Afrique du Sud

L’Afrique du Sud, pays natal d’Elon Musk, est potentiellement le marché des télécommunications le plus lucratif du continent. C’est aussi l’un des pays qui tentent le plus d’entraver la progression de Starlink.

Le Congrès national africain, au pouvoir en Afrique du Sud, a promulgué la loi sur les communications électroniques, qui exige que toutes les entreprises de télécommunications opérant en Afrique du Sud soient détenues à 30% par des « groupes et/ou des individus historiquement désavantagés » par l’apartheid.

En mai, lors d’un festival de la technologie à Johannesbourg, le directeur des ventes de Starlink, Phillip van Essen, a fait preuve de diplomatie lorsqu’on lui a demandé pourquoi Starlink n’était pas officiellement présent dans le pays dont l’économie est la plus avancée du continent sur le plan technologique.

« Nous donnons la priorité aux pays où il nous est facile de faire des affaires, d’ouvrir des bureaux et d’obtenir des autorisations réglementaires », a-t-il déclaré aux journalistes.

« Nous respectons le fait que chaque pays a son propre processus. (…) et nous avons une équipe dédiée [qui étudie] les réglementation des pays du monde entier, y compris celles d’Afrique du Sud. Nous espérons pouvoir résoudre les problèmes et commencer à fournir des services ici bientôt. »

Depuis lors, cependant, le gouvernement sud-africain, par l’intermédiaire de l’autorité indépendante des communications en Afrique du Sud (l’ICASA), a pris des mesures draconiennes à l’encontre des entreprises qui offrent des forfaits Starlink dans le pays.

En juin, IT-Lec, une entreprise qui vend un accès à Internet dans la province reculée du Cap Nord, a importé plus de 4000 kits de démarrage Starlink.

« En raison de sa portabilité et de sa facilité d’utilisation, sans parler de son faible coût et de sa vitesse élevée, nous estimins que le kit Starlink est idéal pour nos clients », a déclaré Mauritz Coetzee, directeur général d’IT-Lec, à Epoch Times.

« Ces personnes vivent dans les zones rurales les plus isolées d’Afrique du Sud, et n’ont pas accès à une connexion à large bande parce que les fournisseurs d’accès à Internet conventionnels n’offrent pas ce service là-bas. »

M. Coetzee explique ne pas avoir acheté des milliers de kits Starlink « à l’aveugle ».

« Selon mon conseiller juridique, j’ai tout à fait le droit d’utiliser le service d’itinérance internationale de Starlink », soutient-il.

IT-Lec a pu fournir des services Starlink aux Sud-Africains en achetant un abonnement d’itinérance internationale Starlink au Mozambique voisin, où Starlink est autorisé à opérer, et vend ensuite l’équipement d’installation à ses clients.

Cette image à longue exposition montre une traînée d’un groupe de satellites Starlink fabriqués par SpaceX qui passent au-dessus de l’Uruguay le 6 février 2021. (Mariana Suarez/AFP via Getty Images)

« Mon entreprise ne fournit donc pas de connexion Starlink à ses clients, mais agit en tant que tierce partie par le biais d’un forfait Starlink et en important l’infrastructure nécessaire au nom des clients », explique M. Coetzee.

Le plan fonctionne bien, dit-il. Rapidement, près de 2000 personnes se sont inscrites au programme de IT-Lec, qui ont pu ensuite accéder à Internet via les satellites Starlink.

Pourtant, début décembre, l’équipe juridique de l’ICASA a adressé à IT-Lec une lettre de « cessation et d’abstention », lui ordonnant de cesser d’importer des kits Starlink et de gérer le service pour le compte des clients.

Nous ne sommes pas une grosse entreprise et nous n’avons ni les ressources ni le temps d’engager un procès contre le gouvernement.
— Mauritz Coetzee, directeur général d'IT-Lec

« IT Lec (Pty) Ltd doit, dans les trois jours suivant la réception de cette lettre, cesser et s’abstenir d’acquérir, de distribuer et de faciliter la vente de tout produit Starlink en Afrique du Sud, qui fournira, sous quelque forme que ce soit, un accès par satellite aux services Starlink », peut-on lire dans la lettre.

M. Coetzee a déclaré que son entreprise n’avait « pas d’autre choix » que de se conformer à l’ordonnance.

« Nous ne sommes pas une grosse entreprise et nous n’avons ni les ressources ni le temps d’engager un procès contre le gouvernement », a-t-il déclaré.

Le site web d’IT-Lec indique désormais : « Tous les services Internet par satellite ont été suspendus. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de fournir une date à laquelle les commandes seront à nouveau disponibles. »

Entre-temps, M. Coetzee est déterminé à ne pas abandonner les clients actuels de Starlink.

« Je discute d’un autre plan avec mes avocats. Starlink est autorisé à opérer au Mozambique, qui est juste à côté. IT-Lec ne fournira plus de services (Starlink). Nous ne vendrons plus de services non plus », a-t-il déclaré.

Des journalistes travaillent dans leur bureau à Lagos, le 10 juin 2021. (Pius Utomi Ekpei/AFP via Getty Images)

« Nous allons tout transférer à une société enregistrée au Mozambique, qui fera exactement ce que nous faisions. »

Milly Matlou, porte-parole de l’ICASA, a déclaré à Epoch Times que « quiconque accède aux services Starlink sur le territoire sud-africain désobéit à la loi ».

Si c’est effectivement le cas, M. Goldstuck estime qu’il est « impossible » d’appliquer cette loi.

« Comment les policiers vont-ils s’y prendre? Ils vont faire des descentes dans les maisons à la recherche de tout ce qui peut ressembler à un équipement Starlink? Ils vont traquer les signaux des satellites de l’espace? Ils ont déjà du mal à traquer les criminels… », s’interroge-t-il.

Epoch Times s’est entretenu avec un jeune homme d’affaires de la banlieue de classe moyenne du nord de Johannesburg. Charles, qui n’a donné que son prénom pour protéger son identité, a déclaré qu’il travaillait principalement à domicile et qu’il utilisait des « contacts » pour importer de l’équipement Starlink.

« Je me suis abonné à Starlink en mai, en utilisant une adresse rwandaise. J’ai tout connecté et j’ai obtenu une connexion Internet ultrarapide après avoir activé le service d’itinérance de Starlink. »

« J’ai payé Starlink en francs rwandais. Au Rwanda, le prix mensuel standard de Starlink est d’environ 850 rands (environ 42 euros). Ensuite, il faut ajouter environ 200 rands pour permettre la portabilité. Je paie donc 1050 rands (52 euros) par mois pour une connexion illimitée, la plus rapide d’Afrique du Sud. »

Selon le site web de Starlink, la vitesse de téléchargement pour les utilisateurs est généralement comprise entre 100 et 220 mégabits par seconde.

En Afrique du Sud, la vitesse moyenne de téléchargement offerte par les fournisseurs d’accès Internet traditionnels est actuellement de 15 à 20 mégabits par seconde, déclare M. Goldstuck.

« Charles enfreint la loi et risque d’être arrêté pour violation de la Loi sur les communications électroniques. Cette loi interdit à quiconque en Afrique du Sud d’accéder à des services fournis par une entreprise de télécommunications qui n’est pas titulaire d’une licence en Afrique du Sud », met en garde Milly Matlou, porte-parole de l’ICASA.

Un client attend à un kiosque à côté d’un panneau annonçant des services d’argent mobile, à Nairobi, au Kenya, le 14 septembre 2023. (Simon Maina/AFP via Getty Images)

La Tanzanie et le Rwanda

Le gouvernement tanzanien semble également réfractaire à Starlink. Il insiste pour que la société d’Elon Musk établisse un siège social dans ce pays d’Afrique de l’Est avant de lui accorder une licence d’exploitation.

Cependant, d’autres pays sont « avides » de Starlink, a déclaré M. Adeagbo.

En février, le gouvernement rwandais a déployé les services de Starlink afin de fournir un accès à Internet à haut débit dans les écoles.

« Notre projet pilote couvre 500 écoles et se déroule très bien », a déclaré le ministre de l’Éducation, Gaspard Twagirayezu, à Epoch Times.

« Il y a 6756 écoles au Rwanda et la plupart d’entre elles n’ont pas d’internet. Nous verrons donc comment notre partenariat avec Starlink évoluera. »

« Si quelqu’un peut faire mieux que l’État, et pour moins cher, pourquoi lui barrer la route? Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour faire avancer le Rwanda. »

Si l’Afrique du Sud est « demeure en retrait », d’autres pays n’ont « aucun problème à sauter dans le train de Starlink », relève M. Goldstuck.

Des élèves réfugiés suivent un cours au camp de Kiziba dans l’ouest du Rwanda, le 6 septembre 2016. (Stephanie Aglietti/AFP via Getty Images)

La société nigériane Jumia, qui se définie comme une entreprise technologique panafricaine, est, depuis octobre, la première entreprise du continent à s’associer à Starlink pour offrir cette technologie en Afrique.

Selon les termes de l’accord, Jumia vendra des kits Starlink dans toute l’Afrique, prioritairement dans les pays où la société a des bureaux, notamment en Algérie, au Cameroun, en Égypte, au Ghana et au Kenya.

Dans un communiqué publié le 2 octobre, Hisham El Gabry, directeur commercial du groupe Jumia, soutient que l’accord avec Starlink stimulera la croissance économique.

« Le service Internet à large bande de Starlink peut révolutionner la façon dont les Africains ont accès à Internet, en éliminant les limites imposées par l’infrastructure traditionnelle et en ouvrant la porte à une multitude de possibilités dans les domaines de l’éducation, de l’entrepreneuriat et du divertissement », déclare-t-il.

À l’intention des gouvernements africains qui tirent profit de la faible connectivité et de la piètre infrastructure de télécommunications du continent, les choses sont sur le point d’empirer : Starlink prévoit de lancer un service mondial de téléphonie mobile dès l’année prochaine, offrant les tarifs les plus bas du monde pour les appels internationaux.

« Cela fera sortir encore plus d’argent des caisses de l’État », a déclaré M. Goldstuck. « Des centaines de millions d’Africains ont besoin de communiquer avec leurs proches vivant en Europe, aux États-Unis et partout ailleurs. »

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