Au cours du XXe siècle, la Suède est devenue un symbole mondial d’harmonie socio-économique et de stabilité politique. Largement perçue comme une fusion réussie du capitalisme et de l’égalité, s’attirant les louanges de la communauté internationale pour son État-providence étendu et son humanitarisme diplomatique, la Suède était considérée par les Suédois comme une « superpuissance morale ».
Aujourd’hui, cette image s’effrite sous le poids de titres sinistres des journaux.
Le taux de chômage avoisine les 9 % – l’un des taux les plus élevés de l’Union européenne – tandis que le taux de chômage parmi les jeunes avoisine les 25 %. Malgré un haut taux moyen d’imposition sur le revenu (supérieur à 40 %), des charges sociales et une taxe nationale sur les ventes de 25 %, les services publics sont défaillants : les patients du système de santé publique attendent souvent des mois pour recevoir des traitements de base, les routes sont en mauvais état et les écoles font face à un nombre de personnes éduquées en chute libre. En 2022, 800.000 des 10 millions d’habitants de la Suède étaient considérés comme analphabètes, soit le chiffre le plus élevé depuis la fin du XIXe siècle.
La montée en flèche des crimes violents est encore plus alarmante.
Autrefois parmi les pays les plus sûrs du monde, la Suède affiche aujourd’hui l’un des taux d’homicides par arme à feu les plus élevés d’Europe. En 2022, les autorités ont enregistré 391 fusillades, qui ont fait 62 morts. La violence s’est également propagée des grandes aux petites villes. Récemment, un triple meurtre dans un salon de coiffure du centre d’Uppsala – longtemps considéré comme l’une des communautés les plus sûres de Suède – a choqué le pays.
Par ailleurs, les attentats à la bombe, auparavant inconcevables dans la société suédoise, sont devenus courants. En 2023, la police a signalé 149 attaques à l’explosif, contre une poignée il y a dix ans. Cette situation a incité les autorités à désigner plus de 60 quartiers comme « zones interdites », et le gouvernement a émis l’idée de déployer l’armée pour aider à rétablir l’ordre.
Les analystes estiment que l’immigration est à l’origine de ce bouleversement. Depuis les années 1990, la Suède a en effet accueilli plus de deux millions de migrants, principalement originaires de pays déchirés par la guerre comme la Syrie, la Somalie et l’Afghanistan. L’immigration est donc devenue la question politique la plus brûlante du pays et, lors des élections de 2022, le parti populiste des Démocrates de Suède est devenu le deuxième parti le plus important. Pourtant, malgré sa politique d’immigration dure, le programme de ce parti reflète principalement les idéaux de l’État-providence traditionnel de la Suède plutôt que du conservatisme.
Pour comprendre ce paradoxe, il faut se pencher sur l’identité historique de la Suède.
L’image que les Suédois ont d’eux-mêmes remonte au XVIe siècle, lorsque la Suède s’est séparée de l’Union de Kalmar, dominée par les Danois, s’est transformée en un État militaire autocratique et luthérien et, au XVIIe siècle, a acquis une grande puissance grâce à ses exploits lors de la guerre de Trente Ans. Cette ascension incroyable – d’un pays pauvre et peu peuplé à un empire régional – a été réalisée grâce à l’ingéniosité militaire, à l’efficacité bureaucratique et aux lourds sacrifices imposés au peuple par le biais d’impôts élevés, du travail forcé et de la conscription de masse.
Cette combinaison de succès et de souffrances énormes a contribué à forger l’unité nationale. Même après la perte de leur empire balte en 1718 et la cession de la Finlande à la Russie en 1809, les Suédois ont continué à se considérer comme un peuple investi d’une mission divine : montrer au monde comment un État bien ordonné doit fonctionner.
Au milieu du XIXe siècle, ce sentiment d’exception a trouvé un nouveau débouché dans le capitalisme. Après des siècles de privations, l’éthique protestante du travail et l’ingéniosité des ingénieurs suédois ont commencé à s’épanouir. Au début du XXe siècle, le pays était devenu l’une des nations les plus industrialisées du monde sous l’impulsion de personnalités telles que l’inventeur et entrepreneur Alfred Nobel.
Puis est venue l’ère des sociaux-démocrates. De 1932 à 1976, les sociaux-démocrates ont exercé un pouvoir ininterrompu, construisant un État-providence solide. Leur gouvernement a d’abord favorisé une croissance continue grâce à une fiscalité modérée et s’est attaché à résoudre des problèmes pratiques plutôt qu’à mettre en avant des programmes idéologiques. En 1970, la Suède est ainsi brièvement devenue la troisième nation la plus riche du monde.
Cependant, un tournant s’est opéré vers 1970, lorsque ce parti s’est brusquement orienté vers la gauche. Les impôts ont augmenté, le système de santé a été socialisé et des politiques expérimentales – telles que les « fonds collectifs des salariés » – destinées à transférer partiellement la propriété des entreprises aux travailleurs, ont été introduites. En conséquence, le secteur privé a commencé à flancher et le PIB par habitant de la Suède a commencé à glisser vers le 13e rang mondial qu’il occupe aujourd’hui.
Ce déclin a été difficile à accepter pour un pays dont l’image de soi est liée à l’idée de supériorité nationale. Pourtant, au lieu de repenser leur système, les politiciens suédois, toutes tendances confondues, se sont accrochés au modèle social suédois avec une ferveur religieuse. Un exemple concret : les Démocrates de Suède font aujourd’hui davantage écho aux idéaux des dirigeants sociaux-démocrates du début du XXe siècle comme Per Albin Hansson, « le père de l’État-providence suédois », qu’aux populistes d’aujourd’hui tels que Donald Trump.
La crise actuelle de la Suède n’est donc pas seulement économique, mais aussi existentielle. Une nation qui se voyait autrefois comme un modèle pour le monde entier peine à réconcilier ses mythes historiques avec la réalité.
Pour surmonter cette crise d’identité, la Suède sera contrainte de ne pas se contenter d’appliquer des lois plus strictes en matière d’immigration, d’introduire une réforme économique et d’améliorer le système du maintien de l’ordre. Elle sera contrainte de faire le point sur sa situation nationale : confronter les erreurs du passé et se débarrasser des perceptions obsolètes d’elle-même.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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