Transformation spirituelle dans le poème médiéval « Yvain »

Ce poème narratif raconte l'histoire d'un chevalier qui perd tout mais trouve la vertu

Par Walker Larson
21 avril 2024 17:46 Mis à jour: 21 avril 2024 22:03

Un moment donné, Yvain a tout : un royaume, une belle épouse, la richesse, la puissance physique – et même une source d’eau magique. L’instant d’après, il perd tout, y compris la raison, et il court nu dans la forêt, inconscient de tout sauf de son chagrin. Comment ce chevalier de la cour du roi Arthur a-t-il pu faire une chute aussi désastreuse ?

Un chevalier égocentrique

« Le chevalier et la dame », milieu du 15e siècle, par le Maître ES. Gravure. The Metropolitan Museum of Art, New York City. (Domaine public)

Yvain est le héros du poème narratif du 12e siècle du poète français Chrétien de Troyes, « Yvain, le chevalier au Lion » , qui se déroule dans l’univers de la légende arthurienne. Chrétien De Troyes a en effet contribué à développer le genre de la romance arthurienne, qui s’est perpétué jusqu’à nos jours. Il a fourni, ou du moins popularisé, plusieurs éléments distinctifs des légendes arthuriennes qui sont devenus canoniques, solidement ancrés dans la grande structure de ces histoires, comme les pierres angulaires d’un mur de château. Ces éléments comprennent l’apparition du Saint Graal, le nom de « Camelot » (le château de la reine Guenièvre et du roi Arthur), et la liaison entre Guenièvre et Lancelot, qui pourrait être la liaison illicite la plus célèbre de toute la littérature.

Comme l’histoire de Lancelot et Guenièvre, le récit d’Yvain aborde les questions de loyauté et d’infidélité, bien qu’Yvain ne soit pas infidèle à sa femme, Laudine, de la manière habituelle. C’est plutôt le défaut fatal d’Yvain, sa témérité et son égocentrisme, qui l’amène à rompre la promesse qu’il avait faite à sa femme, la blessant profondément. La promesse était simple : revenir à la maison après un an d’aventures. Mais Yvain est pris dans ses expéditions de chevalier errant et le temps lui échappe.

Avant son départ, Laudine lui avait remis un anneau magique avec ces mots : « Mets maintenant à ton doigt cet anneau que je te prête. Et je te dirai tout sur la pierre : aucun amant véritable et loyal ne peut être emprisonné ou perdre son sang, et aucun mal ne peut lui arriver, à condition qu’il le porte et le garde précieusement, et qu’il garde sa bien-aimée à l’esprit. » L’anneau symbolise la fidélité qu’un homme doit avoir envers sa femme, en actes et en pensées, et la façon dont cet amour et cette fidélité le protégeront en cas de danger. Si Yvain avait toujours pensé à sa femme et à son amour, il n’aurait jamais manqué la date limite de son retour. Mais il a laissé d’autres soucis, d’autres occupations et d’autres désirs effacer l’attention qu’il portait à son mariage.

Portrait d’une femme tenant un anneau d’or, vers 1490-1500, par Lorenzo di Credi. Huile sur bois. The Metropolitan Museum of Art, New York City. (Domaine public)

Yvain est ramené à la réalité lorsqu’une des servantes de sa femme vient à la cour pour lui annoncer qu’il n’a pas respecté son délai et le réprimander pour sa négligence. Elle lui annonce également qu’Yvain a perdu à jamais les faveurs de sa dame et qu’elle ne l’acceptera plus. Le choc de cette prise de conscience, de la réalité de son erreur colossale et de son échec cuisant, est si dévastateur pour Yvain qu’il en perd la tête, littéralement. L’idée qu’il se faisait du héros confiant et maître de lui, qui n’échoue jamais, est anéantie.

Yvain court nu dans la nature, l’abandon de ses vêtements symbolisant le dépouillement de son ancienne identité ainsi que son état de folie, d’irrationalité et d’animalité, provoqué par le chagrin et l’humiliation. Ce moment marque une transition importante dans le poème.

Le début du récit

Les chevaliers du roi Arthur, réunis à la Table ronde pour célébrer la Pentecôte, ont une vision du Saint Graal. Cette scène est représentée dans un manuscrit du XVe siècle de « Lancelot et le Saint Graal ». (Wikimedia Commons)

Pendant toute la première moitié du poème, Yvain agit de manière impulsive, sans réflexion ni considération, sans penser aux autres. Cette témérité le conduit à rechercher une source magique par simple curiosité et par désir de montrer ses prouesses de chevalier. Il terrasse le chevalier qui garde la source, puis tombe impétueusement amoureux de la veuve du défunt, Laudine. Grâce à une cour étrange et inattendue, il gagne l’affection de cette dame et l’épouse, héritant ainsi de ses terres et de son amour.

Jusqu’ici, tout va bien. Mais une approche aussi impétueuse et égocentrique de la vie ne peut pas fonctionner longtemps. Un jour, elle peut apporter la bonne fortune – une femme et des terres – mais le lendemain, elle peut faire disparaître ces trésors, et c’est précisément ce qui arrive à Yvain lorsqu’il quitte sans réfléchir la femme qu’il vient d’épouser et qu’il oublie de revenir la voir.

Dans le dénuement le plus total, ayant perdu tout ce qu’il avait gagné, Yvain doit changer ou périr. Yvain vit pendant un certain temps comme un animal dans la nature, loin de toute civilisation humaine, ce qui constitue une juste punition pour la manière irréfléchie, instinctive et animale dont il a vécu jusqu’à présent. Mais lentement, en partie grâce à la charité et à la bonté d’étrangers qui répondent à ses besoins, Yvain commence à retrouver ses esprits et à réfléchir aux erreurs de sa vie passée.

Les graines de la transformation spirituelle sont semées. En se réveillant face aux conséquences catastrophiques de son égocentrisme et en détruisant son ancienne image de lui-même, Yvain commence à changer.

Le chevalier au lion

Manuscrit enluminé illustrant Yvain sauvant un lion d’un serpent, entre 1380 et 1385. (Domaine public)

Ayant retrouvé ses esprits, Yvain décide de reconquérir sa femme, bien qu’il ne sache guère par où commencer. Dans la seconde moitié du poème, c’est un chevalier très châtié, humble et plus ouvert sur l’extérieur qui part à l’aventure. Il porte en lui l’espoir vacillant qu’en accomplissant de véritables actes de bravoure, en faisant preuve d’une fidélité inébranlable et en menant une vie plus noble, il pourrait devenir digne du pardon de sa femme.

Ce n’est pas un hasard si l’une de ses premières aventures, après sa crise de folie, consiste à sauver un lion d’un serpent. Reconnaissant envers lui pour sa gentillesse, le lion refuse de quitter Yvain et devient son fidèle compagnon et son assistant. Le lion est le symbole de la véritable chevalerie, de l’esprit chevaleresque et de l’honneur, qui reposent sur la volonté d’aider les autres plutôt que de chercher à prouver sa propre grandeur.

À partir de ce jour, Yvain commence à faire montre de ces qualités et le lion devient l’emblème de sa noblesse d’âme. Cette nouvelle série d’aventures est marquée par une différence notable par rapport à la première série : alors qu’avant de perdre sa femme et de devenir fou, il recherchait des aventures par curiosité et pour la gloire, par la suite, il recherche des aventures uniquement pour aider ceux qui sont dans le besoin, y compris un groupe de vierges capturées par deux démons, un seigneur harcelé par un géant cruel, et une ville persécutée par un comte injuste – et tout cela non pas avec une attitude hautaine ou d’autosatisfaction, mais avec une humilité nouvellement trouvée. Lorsqu’une dame, en entendant son nom, « Le chevalier au lion », dit qu’elle n’a jamais entendu parler de lui, il répond modestement : « Madame, vous pouvez en déduire que ma renommée n’est pas très répandue. » Voilà le rôle et l’esprit d’un vrai chevalier.

Malgré son humilité, la réputation d’Yvain commence à se répandre et la rumeur du « chevalier au lion » se répand dans la campagne. Paradoxalement, ce n’est qu’en cessant de les rechercher qu’il acquiert la gloire et l’admiration.

Il reste cependant une dernière épreuve pour Yvain. Après avoir vaincu quelques méchants, le seigneur qu’il a aidé lui offre sa belle fille en mariage. Yvain admet qu’ « elle est si belle et si élégante que l’empereur d’Allemagne aurait de la chance de l’épouser ».

Mais Yvain a retenu sa leçon sur la fidélité. Il est déjà marié et se sait lié à la femme avec laquelle il s’est engagé. Il n’a d’yeux que pour Laudine et résiste au seigneur importun qui tente de forcer Yvain à prendre la main de sa fille. « Je vous la rends », dit Yvain. « Que celui qui en dispose la garde. Elle n’est pas pour moi, et je ne le dis pas pour la dénigrer. Ne m’en veuillez pas si je ne l’accepte pas, car je ne peux ni ne dois le faire. » Yvain prouve enfin son engagement envers son mariage.

Yvain quittant Laudine, 19e siècle, par Edward Burne-Jones. Huile sur toile. (Domaine public)

L’histoire d’Yvain nous rappelle à quoi ressemble la véritable masculinité : il ne s’agit pas d’impertinence, d’audace ou de démonstration égocentrique de pouvoir et d’orgueil, mais d’un esprit de sacrifice qui utilise sa force pour servir ceux qui sont dans le besoin. Le conte nous parle également de la fidélité, de la faiblesse humaine et du fait que l’échec est souvent le début de la sagesse.

La nouvelle sagesse d’Yvain porte-t-elle ses fruits ? Retrouve-t-il sa femme à la fin ? Pour répondre à cette question, cher lecteur, il vous faudra lire le poème.

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