En Turquie, l’humanité écrasée

Par Aurelien Girard
12 février 2023 18:13 Mis à jour: 12 février 2023 18:13

Aux grandes catastrophes les grandes photographies : il y eut, pendant la guerre du Vietnam, celle d’une enfant nue et brûlée par le napalm. Il y eut, au début de la vague des migrants fuyant la guerre en Syrie, l’image du corps d’un enfant de 3 ans, renvoyé par la mer sur une plage en Turquie. Dans les années 1980, il y avait aussi eu celle d’une enfant de 13 ans embourbée jusqu’aux épaules suite à un glissement de terrain, que les caméras de télévision n’avaient pu que regarder s’enfoncer doucement et mourir. Et tant d’autres.

À chacune de ses images, des millions d’yeux captent la douleur d’un autre soi-même de la famille humaine – souvent un enfant, donc un avenir. Ces chocs visuels, reçus dans l’environnement de confort de ceux qui n’ont pas encore eu à subir de grande catastrophe, provoquent une tristesse et un désarroi amplifiés par l’incapacité à trouver le sens de ces événements.

Voici donc, cette fois, l’image d’un homme à Kahramanmaras. Il est silencieux, les yeux dans le vide, « fort comme un turc » pourrait-on dire tant ses traits sont robustes et son attitude digne. Au moment de la rencontre, il se tenait immobile sous la pluie, explique le photographe, alors que la foule des sauveteurs s’agitait autour de lui. Sur la photo, une petite main dépasse d’un amas de ruines, elle est enveloppée par celle de son père. Au travers d’une fente entre deux blocs de béton, on voit le visage de l’enfant, les yeux fermés et le visage déjà gris, qui disparait dans l’ombre.

Un chiffre comme « plus de vingt mille morts » lors du récent séisme en Turquie, qu’est-ce que ça peut bien faire ? Que ce soit cela ou deux cent mille, personne n’y comprend rien, cela veut juste dire « beaucoup », comme les centaines de milliers jeunes gens qui ont perdu la vie ces douze derniers mois aux frontières de l’Europe. Les chiffres ennuient comme des cours de mathématiques et, s’ils ne sont pas utiles, sont vite oubliés.

Une image, par contre… C’est le drame humain instantanément appréhendé. Dans l’image de Kahramanmaras, on voit l’impuissance d’un père malgré sa force, sa douleur contenue, la brutalité d’un monde qui, catastrophe après catastrophe, écrase ses enfants. Et on voit aussi la dignité et la force. C’est sans doute la raison pour laquelle, la semaine dernière, l’image a tant circulé. Certes, si on veut prendre l’angle de l’amertume, c’était un de ces crochets à émotions qui, avec la chaîne des « clics », entraînent des revenus d’audience.

Pourtant le drame humain qu’elle décrit est aussi un appel sur lequel il faut insister, bien qu’il n’y ait pas de meilleure façon pour perdre ses lecteurs. Tous, nous aimerions l’oublier vite. Nos esprits appellent un fait divers, une star, une polémique, des résultats sportifs, n’importe quoi pour distraire notre cerveau et l’emmener d’ailleurs. C’est peut-être le rôle fondamental des « reels » enchaînant des vidéos courtes de cascades, de célébrités, de chats. Tiktok, Instagram et Youtube offrent la part d’oubli, l’opium nécessaire pour ne pas affronter la réalité de ce monde que la technologie a donné l’illusion de contrôler, pour supporter de ne pas comprendre le sens de ces drames qui frappent des symboles de l’innocence.

Dans un texte récemment publié, « Pourquoi l’humanité existe-t-elle ? », le fondateur du Falun Dafa M. Li Hongzhi – plusieurs fois nominé au Prix Nobel de la Paix – offre une perspective spirituelle à ces événements. Cette photo d’un père et de sa fille décédée devrait, elle, donner l’occasion de chercher une nouvelle fois à « comprendre »,  à avoir le courage de tenter de se « souvenir. » Car d’autres images complètent le tableau du monde, par exemple celle d’une mère et de ses deux filles extraites des décombres à Hatay ; vivantes, leurs mains sont jointes en signe de reconnaissance et leurs yeux tournés vers le ciel.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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