Ulrich Pfeil : « L’arrivée au pouvoir de Friedrich Merz va certainement permettre de relancer le couple franco-allemand »

Par Julian Herrero
19 mai 2025 13:22 Mis à jour: 19 mai 2025 14:08

ENTRETIEN – Après avoir remporté les élections fédérales au mois de février, le conservateur Friedrich Merz a été élu chancelier le 6 mai dernier au Bundestag, mais seulement au second tour. Une partie de son propre camp lui reproche d’avoir assoupli les règles inscrites dans la Constitution en termes de déficit public. L’historien allemand et professeur de civilisation allemande à l’université de Lorraine à Metz Ulrich Pfeil revient pour Epoch Times sur cette séquence politique qui a fait couler beaucoup d’encre outre-Rhin. Dans cet entretien, il analyse également les défis qui attendent le nouveau chancelier et la possible interdiction de l’AfD.

L’historien Ulrich Pfeil. (DR)

Epoch Times : Les débuts s’annoncent difficiles pour Friedrich Merz et la coalition avec le SPD ?

Ulrich Pfeil : Nous ne connaîtrons sans doute jamais le nom des 18 parlementaires membres de la coalition CDU-SPD qui n’ont pas voté pour Friedrich Merz au premier tour, mais il est certain que ceux, issus des rangs des conservateurs, qui ne lui ont pas accordé leur voix, étaient déçus comme vous le dites, par ses renoncements sur la question budgétaire.

Je pense que certains sociaux-démocrates ont également montré leur mécontentement à l’égard des leaders de leur parti. Le président du SPD, Lars Klingbeil, a eu une attitude assez autoritaire dans sa manière de mener les discussions autour de la coalition. Il a marginalisé la co-présidente Saskia Esken ainsi que d’autres cadres du parti qui n’ont pas été nommés ministres.

Il y avait donc des déçus au sein de la CDU et du SPD.

C’est un échec pour Friedrich Merz puisque dans l’histoire de la RFA puis de l’Allemagne réunifiée, jamais un candidat n’avait échoué au premier tour au Bundestag.

Cette difficulté électorale vient s’ajouter à de nombreux traumatismes vécus par Merz. Il avait déjà échoué deux fois avant de prendre la tête des conservateurs en 2022. En 2002, il avait même été écarté par sa grande rivale Angela Merkel de la présidence du groupe CDU/CSU au Parlement. Son ego a donc souvent souffert.

Cependant, je pense que les députés qui n’ont pas voté pour lui ont quand même compris que cette stratégie est contre-productive et ne sert que l’AfD. Le parti d’extrême droite d’Alice Weidel a d’ailleurs tiré son épingle du jeu de la séquence au Bundestag.

Comme en France, les élections ne ressemblent en aucun cas à celles du passé. Les partis nationalistes réalisent des scores très élevés. Il faut donc faire preuve de sérieux.

Quels défis attendent le nouveau chancelier sur les questions économiques, sociales et environnementales ? On sait qu’il a abandonné sa promesse de relancer le nucléaire allemand.

Friedrich Merz a été contraint d’abandonner cette promesse puisque ni l’industrie, ni une majorité d’Allemands ne soutiennent la relance du nucléaire.

Certains peuvent le regretter, mais il n’y a aucune chance que dans un futur proche, l’énergie atomique fasse son grand retour en Allemagne. Nous en payons le prix à cause d’Angela Merkel. Mais maintenant, il faut miser sur autre chose, notamment le renouvelable.

Et la priorité pour le nouveau chancelier doit être de relancer l’économie allemande. La croissance est en berne à cause des prix de l’énergie. De nombreuses entreprises ont quitté l’Allemagne à cause de la flambée des prix de l’énergie et les citoyens sont aussi fortement impactés.

Des solutions doivent être urgemment proposées pour régler ce problème.

Friedrich Merz s’est récemment rendu dans la capitale ukrainienne avec le président français, le Premier ministre britannique et le Premier ministre polonais afin de rencontrer Volodymyr Zelensky. Faut-il s’attendre à une politique plus favorable à l’Ukraine que celle menée par son prédécesseur ?

Les premiers pas de Friedrich Merz sur la scène internationale sont encourageants. Ses déplacements à Paris et à Varsovie montrent chez lui une volonté d’entretenir de bons rapports avec les deux partenaires privilégiés de l’Allemagne. Il y a du côté de la France des attentes. Olaf Scholz et Emmanuel Macron n’avaient pas de bonnes relations. Le président français attendait le départ du social-démocrate pour relancer le dialogue avec Berlin.

Pour ma part, je crois que le nouveau chancelier va être dans la continuité d’Helmut Kohl pour ce qui est des relations franco-allemandes et germano-polonaises. C’est un élève de la politique de son lointain prédécesseur en la matière.

Il va devoir également rattraper les ratages d’Olaf Scholz en termes de politique étrangère et plus particulièrement avec Varsovie. Il y a quelques mois, le social-démocrate avait invité à Berlin Emmanuel Macron et Keir Starmer pour échanger sur le conflit russo-ukrainien et pas Donald Tusk, alors que la Pologne partage une frontière avec l’Ukraine.

Avec Friedrich Merz, Berlin va revenir à une politique étrangère plus réaliste et plus efficace que son prédécesseur. C’est une bonne nouvelle pour l’Allemagne et ses voisins. Je pense d’ailleurs que le président Zelensky pourra désormais davantage compter sur le soutien de l’Allemagne qu’avant.

Son arrivée aux affaires est donc une bonne nouvelle pour la relance du couple franco-allemand ?

Je ne suis pas un partisan de Friedrich Merz, mais son arrivée permettra certainement de relancer le couple franco-allemand. Nous pouvons nous attendre à plus de coopération et de projets entre les deux pays en termes de sécurité et d’armement. Des projets auxquels Olaf Scholz était réticent.

Un autre sujet concernant l’Allemagne a récemment fait parler de lui et a même fait réagir l’administration américaine : le classement par le renseignement intérieur allemand de l’AfD comme un mouvement « extrémiste de droite avéré ». Ce classement pourrait conduire à l’interdiction du mouvement dirigé par Alice Weidel. Comment voyez-vous la situation ?

L’AfD a lancé un recours en justice. Ce classement a été suspendu dans l’attente de la décision du tribunal.

L’enjeu est majeur. On parle d’une formation politique qui réalise des scores très importants en ex-RDA. Il y a un risque, avec cette séquence politico-judiciaire, de servir la propagande de l’AfD et de provoquer encore plus de réactions, notamment à l’Est du pays.

Si le tribunal estime qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour classer l’AfD en tant que « mouvement extrémiste de droite avéré » ce sera une grande victoire pour le parti nationaliste. Et si ce classement venait à être confirmé, il y a peu de chances qu’il conduise à l’interdiction du parti. Dans tous les cas, le parti nationaliste risque de sortir vainqueur de cette histoire.

Concernant la réaction de l’administration américaine, je la trouve ridicule et totalement déplacée. Un État étranger n’a pas à s’immiscer dans les affaires intérieures de l’Allemagne ou d’un autre pays.

L’AfD doit être combattue avec des moyens démocratiques. C’est à la CDU et aux autres partis de gouvernement de proposer des politiques qui puissent ramener les électeurs dans leur giron.

À mon sens, une grande politique européenne doit être mise en œuvre, axée sur davantage de coopération avec Paris, Varsovie, Vienne, etc. sur les questions migratoires, mais pas seulement. À l’heure où Vladimir Poutine nous menace et où l’Amérique de Donald Trump nous tourne le dos, nos dirigeants doivent comprendre que la solution, c’est l’Europe.

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