Ultraviolence: les raisons de la colère

Par Ludovic Genin
9 avril 2024 18:44 Mis à jour: 25 avril 2024 16:19

Après une succession d’actes de violence dans les quartiers sensibles, l’ultraviolence touche désormais les plus jeunes à l’école. Derrière cette ultraviolence, l’abandon d’un modèle de civilisation au profit d’une société multiconflictuelle.

Réagissant au lynchage de Samara, 13 ans, devant son collège à Montpellier, et à la mort de Shamseddine, 15 ans, devant le collège de Viry-Chatillon, Emmanuel Macron a appelé, à nouveau, à ce que l’école reste « un sanctuaire » face à « une forme de violence désinhibée chez nos adolescents ».

Le point commun entre ces agressions: une extrême violence nourrie par la colère et la haine de l’autre. Si les parents et les proches ont leur rôle à jouer, une réponse plus forte doit venir du représentant de l’autorité en France – l’État. Bien sûr, si les causes sont multifactorielles, les réponses, elles, doivent être ciblées.

Une violence hors de contrôle

Quand la violence devient systémique et systématique, c’est que nous sortons de la civilisation pour entrer dans la barbarie. Selon l’étude « Sécurité et société » menée en 2021 par l’INSEE, la délinquance juvénile se transforme par l’intensité de sa violence, sa récurrence et l’âge des agresseurs – de plus en plus jeunes.

Après les lynchages d’adolescents près de leurs établissements scolaires à Viry-Chatillon, Montpellier et Tours (5 jeunes filles âgées de 11 à 15 ans ont « passé à tabac » une adolescente de 14 ans en filmant l’agression), le Premier ministre Gabriel Attal a reconnu le 7 avril que la délinquance se manifestait de plus en plus tôt au collège: « Se traduisent à l’école des maux que l’on retrouve dans le reste de la société: perte de civisme et conflictualisation des rapports entre les individus.» a-t-il déclaré.

Cette épidémie d’hyperviolence se propage dans les collèges et lycées en touchant majoritairement des jeunes adolescents de 13 à 18 ans. Si les garçons demeurent les principaux concernés, les filles suivent le mouvement, avec toujours le même modèle d’agression, une expédition punitive à plusieurs contre une seule personne, souvent filmée et postée sur les réseaux sociaux. Selon un rapport de l’Éducation nationale, près d’un adolescent sur deux se dit victime de violences répétées au cours de l’année scolaire, quand un sur cinq dit subir régulièrement un cyberharcèlement.

«Ce qui existait auparavant, dans la rue entre certains jeunes, existe maintenant dans les classes en élémentaire, voire même en maternelle, où il y a parfois des simulacres d’agression» déplorait Jean-Marie Vilain, le maire de Viry-Châtillon. Les professeurs se retrouvent face à de très jeunes hommes et femmes, désinhibés par Internet et les réseaux sociaux, sans aucune conscience morale ni limite éthique, qui manifestent une colère se transformant en haine, haine de l’autorité, haine du pays et haine de l’autre.

Mais Internet et les réseaux sociaux ne sont pas les seuls responsables de cette hausse de la violence, dans sa fréquence et sa nature ; ils n’en sont qu’une partie émergée qu’on ne peut séparer de causes plus profondes.

Un choc de civilisation entre deux sociétés que tout oppose

Emmanuel Macron alertait en mai 2023 du phénomène de « décivilisation » face à la recrudescence des violences. « Il faut être intraitable sur le fond. Aucune violence n’est légitime, qu’elle soit verbale ou contre les personnes. Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation », avait déclaré le chef de l’État devant ses ministres. Si les mots sont justes, un an après la situation n’a pas changé, pire elle touche des couches de populations de plus en plus jeunes avec des agressions de plus en plus violentes.

Les raisons de cette ultraviolence sont multifactorielles explique au JDD une avocate spécialisée dans le droit de l’enfance: « Réseaux sociaux, absence d’autorité parentale, misère sociale, c’est un cocktail à plusieurs ingrédients ». D’autres spécialistes en psychologie de l’enfance parlent d’une disparition de la figure paternelle, des conséquences de la crise sanitaire, d’un individualisme de plus en plus exacerbé par Internet et d’une perte de l’empathie. « Les réseaux sociaux accélèrent les règlements de compte, les risques de propager des fake news et des accusations mais ils ne sont pas la cause de cette ultraviolence et de l’ensauvagement de la société » commente le directeur de la rédaction de L’Incorrect, Arthur de Watrigant.

D’autres raisons sont évoquées, notamment un rapport différent à la violence dans certaines franges de la population issues de l’immigration. Selon le sociologue Olivier Galland, dans La Dépêche, « il y a aujourd’hui des territoires – souvent ce qu’on appelle les quartiers prioritaires de la ville – des zones dans lesquelles s’est développée chez une partie des jeunes une sorte de culture déviante » a-t-il déclaré, suite à la mort de Thomas à Crépol en novembre 2023.

Selon le docteur Maurice Berger, ancien chef du service de psychiatrie du CHU de Saint-Etienne, spécialisé dans la violence chez les adolescents, le fonctionnement clanique de certaines familles, et l’autorité parallèle qu’il constitue, serait une des prédispositions à l’ultraviolence: « On retrouve ce système de clan dans certaines familles du voyage, du Maghreb, du Kosovo ou de Serbie », ajoutant que « leur code de l’honneur prime sur les lois de la République. C’est la raison pour laquelle l’homme clanique n’est pas compatible avec l’homme démocratique. »

Le tableau se précise même s’il est encore difficile à voir entièrement. Un clivage se serait creusé entre la société de ces quartiers sensibles et la société moderne progressiste, inclusive et mondialisée, source de colère et dont la manifestation récente est cette ultraviolence. Les valeurs de la République de 2024 ne sont plus respectées, voire elles sont haïes par ces jeunes.

En cause enfin, le sempiternel laxisme de l’État en matière d’autorité, notamment dans la réponse pénale à l’encontre de la délinquance juvénile. Un laxisme judiciaire qui a fait monter en pression la violence ces dernières dizaines d’années, avec des délinquants peu sanctionnés, qui aujourd’hui sont des parents qui transmettent à leurs enfants cette même culture de la violence et ce refus de l’autorité.

Pas de solutions simplistes à une violence multifactorielle 

Il faut « trouver des solutions » pour « apprendre aux enfants qu’il y a le bien et le mal » déclarait au bord des larmes le maire de Viry-Châtillon, Jean-Marie Vilain, après avoir appris le 5 avril le décès de Shemseddine, tabassé à mort près de son établissement scolaire. « J’attends de la justice une réponse exemplaire, il faut être ferme avec les criminels » a-t-il ajouté.

Après cette série de lynchages, le gouvernement déclare vouloir « agir dès les premiers signes » de violence chez les jeunes en évoquant « la mise en place de conseils disciplinaires » à l’école primaire pour responsabiliser tous les adultes autour de l’enfant. On parvient difficilement à voir l’efficacité d’une telle mesure, alors que les causes de l’ultraviolence sont ciblées à des franges de la population ne respectant déjà plus les lois de la République.

Il faut faire attention, selon la psychologue clinicienne et psychothérapeute Marie-Estelle Dupont, que la réponse apportée n’aggrave pas encore la situation : « Comme toujours, les honnêtes gens, terrorisés par cette violence que le pouvoir a laissé se banaliser, finissent par réclamer une société de contrôle total. Mais dans les faits, les hyperviolents s’en émanciperont toujours, et tous les citoyens respectueux des règles en pâtiront. »

Dans le baromètre « Sécurité des Français » de Fiducial/Odoxa paru le 2 avril 2024, les Français émettent de sérieux doutes sur les capacités du gouvernement à apporter une action efficace à l’insécurité dans le pays. 72 % d’entre eux ne croient pas que l’exécutif puisse assurer leur sécurité face à la délinquance et aux agressions du quotidien. Dans une tribune, publiée par Le Figaro suite à l’agression à Cannes d’Angèle, une femme âgée de 89 ans, David Lisnard parle aussi de décivilisation, mais en allant plus loin en dénonçant la culture de l’excuse et l’inversion victimaire. Le président de l’Association des maires de France préconise la responsabilisation des mineurs et de leurs parents, la fermeté de la réponse pénale et une réduction drastique de l’immigration souvent liée, selon lui, à cette nouvelle catégorie de violences. Une étude « Sécurité et société » de l’INSEE parue en 2019 indiquait que 29% des responsables de vol avec violence étaient de nationalité étrangère, alors qu’ils représentent 7% de la population.

Mais ni l’origine ethnoculturelle des agresseurs ni la désinhibition des jeunes sur Internet ne sont les seules causes de cette ultraviolence. Selon le baromètre Fiducial/Odoxa, les Français réclament une réponse plus musclée de la part de la police et de la gendarmerie. 68 % appellent à « un recours de la force plus large que ce qui est permis  ». Pour Laure-Alice Bouvier, avocate au Barreau de Paris et docteur en droit, la réponse juridique est inadaptée alors qu’une partie de la jeunesse a épousé une culture de la violence: « Le principe selon lequel on ne peut juger les mineurs de 18 ans comme des adultes, l’excuse de minorité, n’est plus en phase avec des jeunes qui ont intériorisé une absence de limites à leurs actes pouvant aller jusqu’à donner la mort pour la moindre raison. Le contexte actuel remet en question les présupposés sur lesquels reposait initialement l’excuse de minorité. »

Une des solutions les plus évidentes est le retour d’une autorité de l’État protégeant ses citoyens par les moyens de la justice. Il est important, pour finir de transpercer cette ultraviolence, de sortir du « deux poids, deux mesures » et de sanctionner beaucoup plus durement les responsables. Cela effrayera les délinquants et remettra de l’ordre et de la confiance dans le pays.

Face à la destruction, reconstruire les repères

« Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit » disait le poète et écrivain Charles Peguy.  Il faut avoir le courage de dire que les promesses du progressisme, d’une société laïcisée et mondialisée, multiculturelle mais sans culture, sans repère et sans identité, mènent finalement à une société multiconflictuelle au bord du chaos civilisationnel, et dont l’un des derniers symptômes est l’ultraviolence.

Mais les causes multifactorielles de cette ultraviolence n’ont pas qu’une origine extérieure, selon le philosophe Jean-Loup Bonnamy, elles sont aussi le symptôme d’un déclin de l’Occident: « L’Occident doit opérer son indispensable redressement intellectuel et moral », insiste-t-il. Selon lui, « nous sommes victimes nous-mêmes d’une décivilisation qui est, à mon avis, le problème principal. Et tout le reste, les problèmes de fondamentalisme islamique, de multiculturalisme, etc. sont à mon sens des maladies opportunistes qui viennent se greffer sur cette maladie endogène principale. » Il faut aussi renouer à l’exigence scolaire et la promotion de l’autorité de l’enseignant. Pour la psychologue Marie-Estelle Dupont, « seules la culture et l’instruction peuvent casser cette spirale de violences, or nous avons imaginé que l’exigence scolaire était discriminante… En cassant l’école publique, nous avons évidemment augmenté le risque de violences dans la société. »

L’ultraviolence ne pourrait être contenue que par une prise de conscience des causes immédiates : la criminalité et la société de clan des quartiers sensibles, la désinhibition sur Internet, la destruction de l’école publique et de l’autorité, etc. et des causes plus profondes: le déclin intellectuel et spirituel de la France, la déconstruction de notre civilisation face à la barbarie. Cette prise de conscience des causes multiples est indispensable pour redonner du sens et de l’empathie à la société, et pour sortir de cette spirale de violence, qui, si elle est arrivée dans l’école de nos enfants, signifie qu’elle est déjà présente dans toute la société.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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