Une éclipse solaire totale, un astrophysicien, un village et beaucoup d’émotion

Par Nathalie Dieul
9 avril 2024 08:05 Mis à jour: 10 avril 2024 04:39

Après avoir vécu l’éclipse solaire totale du 8 avril 2024 en Estrie dans le sud du Québec, je comprends maintenant pourquoi le phénomène est si différent d’une éclipse partielle. J’ai eu la chance de vivre ce moment merveilleux au milieu de 330 personnes dans le village de Saint-Camille, avec les commentaires en direct d’un astrophysicien passionné et généreux. Il y a eu des cris, des pleurs et toutes sortes d’émotions. Voici ce que nous avons vécu tous ensemble sous une météo parfaite.

Saint-Camille est une petite municipalité de 570 habitants située à 35 km au nord-est de la ville de Sherbrooke. Parmi ses habitants se trouve Martin Aubé, un astrophysicien qui a choisi de faire une sorte de sacrifice pour sa communauté alors qu’il s’agissait de sa première éclipse solaire totale.

Cela faisait sept ans qu’il se préparait à vivre son rêve. Il a décidé d’organiser un événement pour partager ce moment et ses connaissances avec tout le village. Certains de ses collègues ont plutôt choisi d’aller vivre l’éclipse à Compton, à 45 minutes de là, où les précieux instants d’éclipse totale allaient durer 30 secondes de plus qu’à Saint-Camille, « ce qui est quand même beaucoup sur trois minutes », reconnaît le scientifique.

L’astrophysicien Martin Aubé. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Malgré un certain déchirement, le choix de Martin Aubé a été vite fait : « L’esprit de communauté est très important à St-Camille. Je ne pouvais pas envisager de partir. Il fallait que je fasse quelque chose ici ». Il a tout de suite commandé un lot de lunettes sans consulter qui que ce soit. Par la suite, la municipalité a décidé de l’accompagner dans l’aventure et de s’occuper de toute la logistique. Au total, environ 330 personnes se sont réunies sur le terrain de baseball du village pour l’occasion.

Pendant la première heure et demie, nous avons attendu le fameux moment de la totalité en regardant la progression de l’éclipse, la lune « croquant » le soleil petit à petit. Avec beaucoup de générosité, l’astrophysicien nous a expliqué tous les phénomènes que nous risquions de voir en cette magnifique journée au ciel bleu sans l’ombre d’un seul nuage.

(Nathalie Dieul/Epoch Times)

« Dans trois minutes, la lune va commencer à se placer devant le soleil »

14h15 – « Dans trois minutes, la lune va commencer à se placer devant le soleil », prévient Martin Aubé, nous expliquant avec passion tout ce qui risquait d’arriver pendant cette éclipse.

14h21 – Un tout petit coin du soleil est caché par la lune en bas à droite.

Le tout début de l’éclipse. (Carlito photo)
Deux dames observent le début de l’éclipse avec leurs lunettes de protection. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

14h47 – Environ 3/4 du soleil est caché mais si on ne le regarde pas avec les lunettes de protection, on ne peut pas savoir qu’il y a une éclipse. Le soleil est simplement un peu moins chaud.

En attendant l’éclipse totale, on discute et on regarde l’avancement de l’éclipse de temps en temps. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

15h10 – « On sent un petit changement dans la lumière, une énergie qui se dégage », remarque mon voisin, Robert Baribeau. La température a commencé à baisser et il y a un peu plus de vent.

15h13 – Plus que 15 minutes avant la totalité. À la suggestion de Martin Aubé, nous faisons des expériences avec l’ombre de nos doigts : à la verticale, ils paraissent beaucoup plus étroits qu’à l’horizontale.

Juste avant l’éclipse totale, l’ombre de mon index est très différente si je la place à l’horizontale ou à la verticale : mon doigt paraît plus ou moins large. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

15h19 – Il y a peut-être 80% de soleil en moins mais on peut encore voir très bien. On a l’impression qu’il y a seulement 50% de luminosité en moins. « Notre œil a une capacité d’adaptation énorme », précise le professeur de physique au Cégep de Sherbrooke, expliquant à une jeune femme que son téléphone n’a pas la même capacité d’adaptation, raison pour laquelle l’appareil ne voit pas la même chose qu’elle. En effet, notre pupille peut s’agrandir, ce qui fait que notre œil a une « gamme de luminosité incroyable ».

15h20 – La température a encore chuté de quelques degrés et il faut se couvrir. La couleur du ciel a aussi changé.

Il ne reste qu’un petit croissant de soleil. (Carlito photo)

15h23 – Plus que trois minutes avant la totalité. Nos ombres sont très nettes et il y a un effet très spécial, difficile à décrire, dans la luminosité.

Juste avant la totalité de l’éclipse. (Carlito photo)

15h28 – Cris, applaudissements : c’est la totalité. L’émotion est palpable. On retire les lunettes et la magnifique couronne solaire apparaît. On voit Vénus un peu en dessous de la couronne, Jupiter au-dessus.

Il y a tellement de choses à voir en même temps que ces trois minutes passent à une vitesse folle : ombres volantes sur le sol, juste avant et juste après la noirceur, grains de Baily (des petits points lumineux tout autour de la couronne solaire qui sont en fait la lumière du soleil passant entre les cratères de la lune), un coucher/lever de soleil à 360 degrés à l’horizon, etc. Il ne fait pas totalement nuit, c’est plutôt comme un crépuscule bien sombre et on distingue clairement les personnes autour de nous.

La couronne solaire peut (et doit) être observée sans lunettes de protection une fois que le soleil est complétement caché par la lune. (Carlito photo)

15h30 – L’horizon devient plus brillant, puis un magnifique phénomène se produit : celui de la bague de diamant (un point très brillant qui a l’air d’un diamant étincelant apparaît d’un côté de la couronne).

La bague de diamant a apparu juste avant la fin de la totalité de l’éclipse. (Carlito photo)

15h31 – Un petit coin de soleil réapparaît par le bas. Avant de remettre nos lunettes de protection, les ombres volantes dansent sur le sable. Puis le processus inverse débute, le soleil revenant aussi progressivement qu’il a été caché, jusqu’à 16h45.

Une reconnexion avec le divin

« Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau, à part la naissance de ma fille », s’émerveille Patricia Boucher, me confiant qu’elle en a pleuré tellement elle a trouvé le spectacle magnifique. Cette éclipse l’a reconnectée à la nature.

Son conjoint, Dominique Chamberland, parle quant à lui plutôt d’une reconnexion avec le divin. Il a trouvé incroyable le fait de « voir la lumière divine directement comme ça ».

« En union avec la lune, ce sont les deux forces les plus magnifiques de notre monde. C’est l’alignement le plus important de notre univers. C’est merveilleux », ajoute-t-il. Ce résident de Saint-Camille a vécu des émotions très particulières, un « mélange parfait d’excitation et de calme ensemble. Je pense que ça s’appelle l’extase ».

« Une expérience transcendante »

Pauline Blais habite la ville de Québec, où l’éclipse n’était pas totale. Elle a donc choisi de venir voir l’événement astronomique du siècle de la région près de sa maison de campagne, située dans les environs de Saint-Camille. « Je trouve que c’est une très grande expérience, une expérience de vie », explique-t-elle. « C’était merveilleux. »

Pour Mme Blais, il s’agit d’une « expérience transcendante » que de voir apparaître tout d’un coup cette lumière autour de cette lune qui est devant le soleil. Elle repart avec « le sentiment d’être bien petite sur Terre devant ce phénomène ».

Avec sa famille, elle a particulièrement apprécié le fait de vivre ce moment magnifique entourée de tout ce monde et accompagnée des « commentaires extraordinaires de l’astrophysicien ».

« C’est mon beau cadeau du ciel »

À presque 80 ans, Muriel Wagner ne pouvait pas être plus comblée. Elle a eu l’heureuse surprise de pouvoir être entourée de son fils et de sa petite fille, celle-ci étant venue spécialement de Montréal pour vivre ce moment magique avec elle. « On se sentait proches, proches, proches », remarque-t-elle.

Muriel Wagner. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

« C’est mon beau cadeau du ciel que je sois encore vivante pour voir ça. Avec ma petite-fille, j’ai décidé que je vivrais longtemps pour qu’on vive des belles affaires ensemble comme celle-là ».

Mme Wagner a été tout autant touchée de vivre l’éclipse entourée de sa famille qu’entourée de la communauté de son village. « C’était la même intensité. On aurait dit qu’on était tous sur la même longueur d’ondes », un peu comme si nous étions tous dans un même avion. « La preuve : quand c’est arrivé, on applaudissait comme si on avait atterri quelque part », s’exclame la presque octogénaire.

« Ça ne va pas bien dans le monde, alors de lever notre tête, puis de regarder au ciel, il me semble que ça fait du bien à l’âme ou au cœur », précise celle qui a senti une douceur dans son cœur, connectée à celle de la couronne solaire.

« Une belle énergie »

À côté de moi, Gisèle Prudhomme et Robert Baribeau ont fait une demi-heure de route pour participer à l’événement de saint-Camille depuis le village de Tingwick. Cette dame a déjà eu la chance de vivre une éclipse solaire totale lorsqu’elle avait 8 ou 9 ans, en 1963. C’était pendant ses vacances au Lac-Saint-Pierre près de Trois-Rivières et elle en avait été émerveillée. « J’ai bien hâte. Je suis tellement excitée, j’ai oublié mon chapeau, j’ai oublié mes lunettes de soleil », s’est-elle exclamé dès son arrivée.

Robert Baribeau et Gisèle Prudhomme. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

Les attentes de Mme Prudhomme n’ont pas été déçues. « C’est impressionnant. Ça m’a beaucoup émue. » Son conjoint, lui, a beaucoup apprécié son expérience près de sa « belle Gisèle » mais aussi à mes côtés. Il a été habité d’ « une belle énergie » dans son cœur, dans son ventre. Il a ressenti qu’il s’agissait d’une traversée, « comme pour une naissance ».

« On a eu la totale, vraiment »

Il fallait vraiment que je demande à notre astrophysicien passionné comment il a vécu ce moment qu’il attendait depuis sept ans, ce que j’ai fait juste après la phase de totalité. Il m’a confié avoir été « dans un état un peu second » lors de cette première expérience d’éclipse solaire totale. Il connaissait par cœur tous les phénomènes qui allaient ou risquaient de se passer, mais l’émerveillement a pris le dessus sur le côté scientifique pendant ces quelques trois minutes où le soleil a été caché par la lune.

Ce qui a le plus surpris Martin Aubé, ce sont tous ces phénomènes qu’on ne voit pas à chaque éclipse solaire totale. « Je me disais, avec un peu de chance, on va voir les grains de Baily ou les ombres volantes, mais on a vu tout ça. On a eu la totale, vraiment. »

Le scientifique explique ce coup de chance par le fait que « le ciel était d’une qualité exceptionnelle » et que « toutes les conditions étaient là » pour une expérience fabuleuse. Il a décidé de ne pas rater la prochaine éclipse solaire totale qui aura lieu en Espagne le 12 août 2026.

L’expert en étude de la pollution lumineuse a également été surpris du fait que pendant la phase de totalité, on voyait quand même assez clairement autour de nous. « Je m’attendais à plus sombre que ça », reconnaît-il.

Le phénomène des ombres volantes

Le phénomène des ombres volantes, qui a duré au moins une minute selon l’astrophysicien, l’a intrigué par sa durée. « Ce n’était pas juste à la fin de l’éclipse. Ça a duré jusqu’au petit croissant », a-t-il remarqué. « C’était assez difficile à voir, mais elles étaient là. »

Les ombres volantes n’ont pas été observées par toutes les personnes présentes. Tommy (prénom d’emprunt), un garçon d’une douzaine d’années, les a vues sur le sable du terrain où nous nous trouvions et les décrit : « Je trouvais ça cool, les ombres sur le terrain de baseball. Surtout à la fin de l’éclipse, on voyait comme des petites vagues. C’était étrange, c’était insolite. »

Pour sa mère, le moment de l’éclipse totale a été tout simplement incroyable, en particulier « la petite bague, le diamant qui scintillait en bas de la couronne ».

La mère de famille a apprécié d’être aussi bien entourée de ses enfants et de son conjoint, mais aussi de toutes ces personnes. « C’était vraiment sympathique d’être autant de monde réuni, du village et puis des alentours, puisqu’on a pu vivre ça tous ensemble. On avait notre physicien maison qui a pu nous expliquer des choses au départ qu’on a pu voir par la suite, ce qui fait que la compréhension est plus grande. »

« Comme dans un rêve »

L’autre fils de cette habitante de Saint-Camille a été « vraiment ému » de voir la couronne du soleil. Son frère a remarqué que la lumière était bizarre. « D’habitude, quand c’est le soir, comme un peu en ce moment, la lumière baisse, mais le soleil est à l’horizon », remarque Tommy. « Mais là, c’était bizarre parce que le soleil était vraiment dans le ciel, et puis la lumière baissait. »

« J’avais l’impression que j’étais comme dans un rêve, parce que c’était irréel », continue le garçon.

Comme dans un rêve… En effet, c’est un peu cela que votre journaliste a vécu cet après-midi du 8 avril à Saint-Camille, une sensation difficile à décrire avec ces ombres très inhabituelles juste avant et après la totalité et tous ces phénomènes qui se sont succédé. C’est Tommy qui a finalement trouvé la bonne expression pour la décrire.

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