Y a-t-il un problème dans les relations entre la Russie et la Chine?

Par Shawn Lin et Angela Bright
15 septembre 2023 18:59 Mis à jour: 15 septembre 2023 18:59

Le président russe Vladimir Poutine pourrait se rendre en Chine malgré le fait que Pékin a attribué à la Chine des territoires contestés dans sa nouvelle carte, jetant ainsi un doute sur les relations sino-russes apparemment bien solides.

Selon l’agence de presse d’État russe Tass, Iouri Ouchakov, conseiller en politique étrangère de Poutine, a déclaré le 25 juillet que le président russe a été invité et devrait se rendre en Chine en octobre, lorsque le l’État-parti chinois accueillera le Forum de son Initiative Ceinture et Route (Belt and Road Initiative – BRI), souvent qualifiée de « nouvelle route de la soie ». Ce titanesque programme vise à renforcer l’influence géopolitique de Pékin dans le monde entier en se reliant aux marchés d’Asie, d’Afrique, d’Europe, d’Océanie et d’Amérique latine par le biais d’investissements dans diverses importantes infrastructures de transports, d’énergie et de télécommunications.

Le 1er septembre, Poutine a également confirmé qu’il comptait rencontrer prochainement le dirigeant chinois Xi Jinping, selon l’agence de presse russe Interfax.

« Il [Xi Jinping] m’a appelé ami, et je suis heureux de l’appeler ami, car c’est une personne qui a beaucoup contribué au développement des relations entre la Russie et la Chine », a souligné Poutine.

Cependant, le 28 août, avant la confirmation de Poutine, le ministère chinois des Ressources naturelles a dévoilé la version 2023 de sa « carte standard ». Cette carte revendique comme territoire chinois plusieurs zones contestées, notamment Taïwan, les îles de la mer de Chine méridionale, deux zones entre la Chine et l’Inde, ainsi que l’île de Heixiazi, située entre les frontières russe et chinoise.

Les pays concernés ont immédiatement protesté après la publication de la carte. Moscou, en revanche, n’a pas réagi. Après trois jours de silence, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a démenti le 31 août que Pékin était impliqué dans l’annexion de territoires russes.

La nouvelle carte chinoise, publiée le 28 août 2023, revendique la totalité de l’île de Heixiazi (Bolchoï Ussuriysky en russe) qui, selon un accord antérieur, a été partagée entre la Russie et la Chine. (Wikimedia Commons)

« La Chine et la Russie maintiennent la même position, à savoir que la question des frontières entre les deux pays est résolue depuis longtemps », a-t-elle martelé.

Mme Zakharova a insisté sur le fait qu’il n’était pas question de revendications territoriales communes entre la Russie et la Chine, qui ont signé un traité en 2005 pour délimiter la souveraineté sur l’île de Heixiazi et ont tracé une frontière de 4300 kilomètres en 2008.

« La résolution de la question de la ligne frontalière entre la Russie et la Chine est le résultat de nombreuses années d’efforts de la part des deux parties », a-t-elle indiqué, la qualifiant « d’exemple réussi de résolution de conflits frontaliers pour tous les pays du monde ».

Un éditorial paru le 31 août dans le Washington Examiner a souligné que Moscou, qui s’indigne habituellement au sujet de cas semblables des différends territoriaux, a adopté cette fois une approche très différente, et que cette capitulation publique devant Pékin est un signe de faiblesse.

« Poutine présente ses relations avec Xi Jinping comme un ‘partenariat sans limites’ entre égaux qui ont des intérêts partagés et font face à des menaces communes. Mais la réalité, comme nous le soulignons ici, est que la Chine considère la Russie comme son adjoint, un partenaire subordonné qui peut en fait être acheté pour soutenir la stratégie internationale de Pékin », peut-on lire dans l’éditorial.

« Cela ne plaira peut-être pas à Poutine. Mais, comme on voit dans la réponse de Zakharova, Poutine considère Xi comme un partenaire d’une importance primordiale. Il a besoin de Xi. Il est donc prêt à s’incliner devant lui. »

L’implication de Jiang Zemin

L’île Heixiazi, également connue sous le nom d’île Bolchoï Ussuriysky, située dans la partie la plus orientale de la Chine, est le premier endroit en Chine où l’on voit le soleil. L’île est baignée par les cours des fleuves Heilongjiang (Amour) et Oussouri. « Heixiazi » signifie « ours » en chinois du Nord-Est. On dit qu’il y a des ours dans les environs de l’île, d’où son nom.

L’île de Heixiazi a été sous juridiction chinoise depuis la dynastie Tang (618-907 apr. J.-C.). Cependant, à la fin de la dynastie Qing, alors que la puissance de la Chine s’affaiblissait, les Russes se sont emparés du nord-est de la Chine. L’immense territoire de l’Extrême-Orient russe (incluant le port stratégique de Vladivostok) et de l’angle sud-est de la Sibérie a été annexé par l’empire russe tsariste en 1858-1860 à la suite des « traités inégaux » russo-chinois (traités d’Aigun et de Pékin) imposés à l’empire de Chine après sa défaite dans la seconde guerre de l’opium. Le confluent des fleuves Heilongjiang et Oussouri est alors devenu la frontière entre les deux pays.

En 1929, les troupes soviétiques ont occupé l’île de Heixiazi, bien qu’elle ne soit pas couverte par le traité frontalier. Par la suite, l’île a été occupée par l’Union soviétique et est devenue une affaire en suspens dans les relations sino-soviétiques.

Lorsque le Parti communiste chinois (PCC) a instauré son règne en Chine en 1949, il a également revendiqué la souveraineté de l’île de Heixiazi. Selon les divisions administratives publiées à l’époque par Pékin, l’île relevait de la juridiction du canton de Fuyuan de la province du Heilongjiang.

Cependant, l’ancien chef du PCC Jiang Zemin a signé l’accord frontalier de 1991 avec l’Union soviétique, suivi par le protocole sur la description narrative des sections orientale et occidentale de la ligne de démarcation sino-russe, avec la Fédération de Russie. Ces documents reconnaissaient les frontières fixées dans les traités inégaux.

En 2001, Jiang Zemin a signé avec Vladimir Poutine le « Traité sino-russe de bon voisinage, d’amitié et de coopération ». Dans ce traité, Jiang a officiellement reconnu que les territoires chinois annexés par la Russie depuis l’époque impériale appartenaient à la Russie, cédant de manière permanente plus de 1,5 million de kilomètres carrés de territoire, y compris Touva (Tangnu Wulianghai), l’ensemble de la rive gauche du fleuve Amour (Mandchourie-Extérieure) allant jusqu’à Vladivostok (Haishenwai) et la frontière coréenne, ainsi que l’île de Sakhaline – l’équivalent de plusieurs dizaines de Taïwan (36.000 km2).

Jiang et Poutine ont aussi décidé de partager l’île de Heixiazi. Depuis lors, Jiang a complètement renoncé à revendiquer la moitié orientale de l’île. Selon l’accord complémentaire sur la section orientale de la frontière sino-russe, signé à Pékin en 2004, environ la moitié de l’île de Heixiazi a été transférée à la partie russe. En 2008, la Chine et la Russie ont officiellement inauguré des bornes frontières sur l’île.

L’ex-chef du PCC Jiang Zemin consulte sa montre lors de la cérémonie marquant le 80e anniversaire de l’Armée populaire de libération chinoise dans le Grand palais du Peuple à Pékin, le 1er août 2007. (Peter Parks/AFP via Getty Images)

En niant l’existence d’un différend territorial, Mme Zakharova a toutefois indiqué que la frontière avait été tracée en 2008, ce qui laisse entendre que la Russie ne reconnaît pas la nouvelle carte du PCC.

La Chine et la Russie se servent l’une de l’autre

Depuis son invasion de l’Ukraine en 2022, la Russie est isolée sur la scène internationale. Cependant, Pékin soutient Moscou, explicitement ou implicitement, dans le cadre de ses jeux géopolitiques visant la domination mondiale.

Du 20 au 22 mars derniers, Xi Jinping a effectué une visite d’État en Russie, au cours de laquelle les deux régimes ont fait une déclaration commune visant à établir un « partenariat stratégique global de coopération pour la nouvelle ère ».

Vladimir Poutine rencontre Xi Jinping au Kremlin, à Moscou, le 21 mars 2023. (Grigory Sysoyev/Sputnik/AFP via Getty Images)

Xi Jinping a besoin d’un tel partenaire pour soutenir son idéologie autoritaire, sinon il deviendra un solitaire. Toutefois, il ne veut pas risquer sa vie pour un tel « ami », a expliqué à Epoch Times Chen Weijian, écrivain et rédacteur en chef du Beijing Spring.

« La raison en est qu’après la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la force de la Russie sera considérablement affaiblie, et elle [la Russie] pourrait même être confrontée à une nouvelle scission [comme l’Union soviétique]. Par conséquent, Xi Jinping ne veut certainement pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Il ne prendra pas position et décidera en fonction de l’évolution de la situation », a précisé M. Chen.

Tout en soutenant la Russie, Pékin pourrait avoir un autre objectif.

En mai, l’État-parti chinois a organisé le « sommet Chine-Asie centrale » dans la ville de Xi’an, auquel les chefs d’État de cinq pays d’Asie centrale étaient invités, mais pas la Russie. Le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan sont tous des États postsoviétiques et membres de la Communauté des États indépendants, qui considèrent toujours la Russie comme leur « grand frère ».

Wang He, un expert sur la Chine, a souligné le fait qu’après l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie a toujours considéré l’Asie centrale comme son arrière-cour.

« Le PCC s’est infiltré en Asie centrale, mais n’a pas encore osé y contester ouvertement l’influence de la Russie car, jusqu’en 2022, la Russie a été très forte dans la région. Cependant, aujourd’hui, la Russie ne peut plus préserver sa sphère d’influence », a-t-il dit à Epoch Times.

Poutine et Xi s’utilisent l’un l’autre

En tenant compte de la politique dominatrice de Pékin, on peut se poser la question si Poutine, bien qu’affaibli et de plus en plus dépendant de Pékin, fait vraiment une confiance aveugle à Xi Jinping.

Le 24 juin, après la tentative de coup d’État du groupe Wagner, Poutine a appelé six chefs d’État – du Belarus, du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan, de la Turquie, du Qatar et de l’Iran – dans les deux jours qui l’ont suivie pour les informer de la situation en Russie. Cependant, aucun contact entre Poutine et Xi n’a été rapporté.

Dans un éditorial publié dans l’édition chinoise d’Epoch Times, le commentateur politique Wang Youqun a suggéré que Poutine ne traitait pas vraiment Xi Jinping comme son « meilleur ami ».

« Les relations de Poutine avec Xi Jinping sont des relations d’utilisation (utiliser l’autre lorsqu’on peut en profiter) », a-t-il écrit. « Xi Jinping a été également assez froid avec Poutine. Face à la crise la plus grave rencontrée par Poutine depuis les 24 ans de son arrivée au pouvoir, Xi Jinping n’a rien dit à ce sujet. »

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