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Accouchement à domicile en Espagne : mythes, réalités et une tendance en pleine croissance

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Photo: Shutterstock

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Durée de lecture: 8 Min.

Mettre un enfant au monde permet à une femme de se connecter pleinement à sa féminité. Elle redécouvre les limites de son corps, renforce son caractère, ainsi que sa conviction en l’amour, le don de soi et le sacrifice nécessaires au soin d’un nouveau-né. Dans certains pays, accoucher à domicile est une option reconnue et encadrée. En Espagne, cette pratique reste encore mal définie et peu accessible.

Du domicile à l’hôpital : l’évolution du paradigme

Jusqu’aux années 1960, il était courant en Espagne d’accoucher à la maison, sous la supervision des sages-femmes. Mais ce modèle a évolué avec la montée en puissance de la médicalisation de la santé.

Selon Aida Mañez, présidente de l’association El Parto es Nuestro, « l’accompagnement de la naissance a changé au fil du temps. Le développement des ressources techniques a favorisé les interventions, transformant le processus en un acte très médicalisé. Mais l’efficacité de cette approche reste discutée ».

La médicalisation consiste à considérer certains aspects de la vie comme des problèmes médicaux devant recevoir un traitement. Dans le cas de l’accouchement, elle a conduit à la normalisation d’interventions parfois inutiles.

« Par exemple, pour les accouchements en siège, on opte presque systématiquement pour une césarienne. Il reste très peu de professionnels formés à l’accouchement vaginal de siège, et ceux qui existent partent à la retraite », explique Aida Mañez.

Pour l’heure, aucun groupe de contrôle ne permet d’évaluer clairement les risques liés aux accouchements avec ou sans interventions médicales. En revanche, les données internationales montrent que si la mortalité maternelle et néonatale est similaire à domicile et à l’hôpital, la morbidité (c’est-à-dire les complications de santé) est plus élevée en milieu hospitalier.

À l’hôpital, le protocole impose des délais, des horaires, et un certain nombre d’interventions. À domicile, l’accouchement peut durer plus longtemps, sans précipitation.

« Accoucher à domicile devrait être un choix »

Pour Aida Mañez, accoucher chez soi doit être un choix réfléchi : « C’est un environnement qui permet à la femme d’être plus tranquille, dans de meilleures conditions pour laisser son corps travailler naturellement ».

Elle souligne qu’un profil de femmes choisit aussi cette voie pour fuir la violence obstétricale, la rigidité des protocoles, ou encore une médicalisation excessive qui empiète sur leur autonomie et leur intimité.

« Si la surveillance montre que tout se déroule bien, il n’y a pas de problème. Mais à l’hôpital, on occupe un lit, une chambre », ajoute-t-elle.

Depuis 2007, le débat sur la liberté de choix des femmes en matière de naissance s’est ouvert en Espagne. Pourtant, le système de santé public (SNS) n’offre toujours pas l’option d’accoucher à domicile. Les familles qui le souhaitent doivent recourir à des sages-femmes privées et en assumer elles-mêmes le coût – entre 1500 et 3000 euros selon la région et les services nécessaires.

Cette absence de prise en charge crée une déconnexion entre le système public et les sages-femmes du privé. Certaines alertent : en cas d’urgence nécessitant un transfert à l’hôpital, il n’existe pas toujours de protocoles clairs pour gérer la continuité des soins.

Anjana García, heureuse d’avoir pris la décision de mettre son bébé au monde à la maison. (Crédit photo Anjana García)

Des projets pour accompagner autrement la naissance

Cristina Camarero Piriz, sage-femme madrilène installée en Asturies, a exercé auprès de femmes autochtones au Guatemala avant de se spécialiser en Espagne. En 2012, elle fonde le projet Alumbre Parteras, avec l’objectif de proposer un accompagnement physiologique de la naissance et de valoriser la capacité naturelle du corps féminin à mettre au monde.

« L’idée était de redonner une dimension humaine à la maternité, en aidant les femmes à mieux connaître leur corps et à accueillir leur bébé dans l’intimité de leur foyer », explique-t-elle.

Mais l’offre reste limitée : en Espagne, seules quelques sages-femmes indépendantes pratiquent les accouchements à domicile. Le SNS ne les finance pas, ce qui contraint la profession à se développer uniquement dans le secteur privé.

Cristina souligne aussi que nombre de soignants en Espagne n’ont jamais assisté à un accouchement naturel sans intervention, ce qui entretient les préjugés.

Selon l’Institut national de la statistique (INE), seuls 0,3 à 0,5 % des accouchements se font aujourd’hui à domicile.

Mythes, réalités et peurs

Pour Cristina et sa collègue Marina Martínez Márquez, également sage-femme en Asturies, les craintes entourant l’accouchement à domicile sont largement liées à des mythes et à un manque d’information.

« On a fait du fait d’accoucher un événement dangereux. Pourtant, c’est un processus physiologique, comme la respiration ou la digestion », explique Cristina.

Marina, qui a aussi travaillé au Royaume-Uni, estime que la médicalisation a imposé l’idée que l’accouchement hospitalier est la seule option sûre. Mais elle dénonce certaines dérives : infantilisation des femmes, interventions sans explication, violences verbales ou protocoles contraignants.

Les chiffres confirment ces dérives : dans certains hôpitaux espagnols, le taux de césariennes atteint 40 %. En 2023, près de 80 000 césariennes ont été pratiquées, dont une large majorité dans le public. Par ailleurs, 80 % des femmes en Asturies demandent une péridurale.

« Beaucoup de femmes ont peur de la douleur », souligne Marina. Pourtant, cette douleur, selon Cristina, « n’est pas un signal d’alerte, mais une information que le corps envoie pour guider le travail de l’accouchement ».

Dans plusieurs pays européens (France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, Scandinavie), l’accouchement à domicile bénéficie d’un encadrement légal et d’une prise en charge partielle ou totale.

Une expérience qui change une vie

Anjana García, 41 ans, a choisi d’accoucher chez elle après avoir longuement étudié les risques et bénéfices. Accompagnée de son mari et de deux sages-femmes, elle décrit une expérience « magique et sauvage », qui lui a permis de mieux se connaître comme femme et comme mère.

« J’ai apprécié la liberté de me déplacer, d’adopter les positions qui me convenaient, et surtout d’avoir mon mari à mes côtés du début à la fin », raconte-t-elle.

Après avoir accouché une première fois à l’hôpital, elle mesure la différence : « Les hôpitaux sauvent des vies, personne ne peut le nier. Mais avoir la possibilité d’accoucher chez soi, entourée de sages-femmes, change tout. C’est une expérience unique que je recommande à toutes celles qui le peuvent ».