Pendant des décennies, les États-Unis ont parié que le commerce et la technologie permettraient d’intégrer la Chine dans un ordre mondial plus ouvert et fondé sur des règles. Or, au lieu de cela, les deux plus grandes puissances mondiales s’affrontent désormais dans presque tous les domaines : puces électroniques et intelligence artificielle, chaînes d’approvisionnement et normes techniques, cyberespace et espace extra-atmosphérique, idéologie et influence — remodelant, au passage, les alliances et l’économie mondiale.
Les analystes parlent d’une « confrontation semblable à la guerre froide », avec une différence majeure : les deux rivaux demeurent interdépendants sur les plans commercial et financier. Plutôt que de rompre ces liens, chaque camp s’efforce de les reconfigurer.
Washington parle de « réduction des risques » (« de-risking ») et de « découplage ciblé », tandis que Pékin déploie ses propres moyens d’influence aux niveaux juridique, réglementaire et commercial, souvent en marge des normes mondiales. Ce combat, selon les experts, devrait définir la relation sino-américaine bien au-delà de 2027.
Comment en est-on arrivé là ?
La visite du président Richard Nixon à Pékin, en 1972, a mis fin à des décennies d’hostilité et ouvert la voie à la reconnaissance diplomatique officielle de la République populaire de Chine (RPC) par les États-Unis en 1979.
Avant cela, l’Amérique reconnaissait le gouvernement de Taïwan — la République de Chine (RdC) — comme l’unique gouvernement légitime de la Chine.
Ce basculement diplomatique s’est produit alors que les relations entre Pékin et Moscou se dégradaient visiblement. Les États-Unis et leurs alliés y ont vu une occasion de détacher la Chine de l’Union soviétique et de son camp socialiste. Dans le même temps, ils espéraient que, grâce au développement de l’économie de marché, la Chine adopterait progressivement l’esprit d’entreprise et les valeurs universelles, qu’elle transformerait son système totalitaire et deviendrait un pays libre et démocratique.
Cela n’a pas été le cas. Au lieu de montrer des signes de démocratisation, la Chine a maintenu son régime autoritaire, qui est devenu, avec le temps, de plus en plus dictatorial. Parallèlement, le rapprochement avec l’Amérique et ses alliés a permis à Pékin de résoudre ses problèmes économiques grâce à des investissements massifs venus d’Occident, d’accéder à la technologie moderne, et de se transformer en superpuissance industrielle et militaire.
De plus, le renforcement de la Chine s’est accompagné d’un rapprochement progressif avec la Russie — héritière de l’Union soviétique —, qui a finalement conduit au « partenariat sans limites » proclamé en 2022.
L’adhésion, en 2001, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), où la Chine conserve encore aujourd’hui le statut et les privilèges de « pays en développement », a permis à l’État-parti chinois de tirer parti de la liberté et de la tolérance des démocraties pour s’y infiltrer et envahir leurs marchés. Cette adhésion ne l’a pas empêché de recourir massivement à des pratiques faussant la concurrence, telles que les subventions d’État, le vol de propriété intellectuelle, la manipulation monétaire, la compression des salaires, l’exploitation du travail forcé, etc. — des pratiques qui ont conduit à la fermeture de nombreuses entreprises et à la perte de millions d’emplois aux États-Unis et ailleurs.
La stratégie de Pékin a porté ses fruits en termes de puissance : le PIB chinois est passé d’environ 1 300 milliards de dollars en 2001 à quelque 19 200 milliards en 2025, soit une multiplication par 14.
Avec cette croissance sont apparues des pratiques plus musclées.
Le président américain Richard Nixon (2e à dr.), son épouse Patricia Nixon (à dr.) et le secrétaire d’État William Rogers (4e à dr.) visitent la Grande Muraille de Chine, le 24 février 1972. Cette visite a contribué à mettre fin à des décennies d’hostilité et a ouvert la voie à la reconnaissance diplomatique de la République populaire de Chine en 1979. (Xinhua/AFP via Getty Images)
Des groupes de hackers chinois soutenus par l’État ont piraté des agences gouvernementales, des entreprises et des infrastructures critiques américaines. Leurs opérations d’influence ont ciblé les universités, les groupes de réflexion et les médias, afin d’orienter les politiques et l’opinion publique en faveur de Pékin.
À cela s’ajoute un flot de précurseurs de fentanyl en provenance de Chine, qui alimente la crise des opioïdes aux États-Unis — ce que certains responsables américains qualifient de forme de « guerre sans restriction ».
Un tournant stratégique à Washington
Un changement d’approche s’est opéré en 2017, lorsque la stratégie de sécurité nationale de l’administration Trump a désigné la Chine comme un concurrent majeur et un adversaire stratégique. Cette position a été maintenue par l’administration Biden, puis par la nouvelle administration Trump.
Le comportement de la Chine après son adhésion à l’OMC a poussé les États-Unis vers un nationalisme technologique et un protectionnisme commercial plus affirmés, explique Peter Chow, professeur d’économie au City College de New York.
Cette nouvelle posture donne lieu à une série continue de mesures.
Le 20 août, Microsoft a restreint l’accès de la Chine à son système d’alerte sur les failles de cybersécurité, invoquant des préoccupations de sécurité nationale. Une semaine plus tard, le département du Commerce a annoncé la fermeture d’une faille permettant à certains fabricants étrangers de puces d’expédier du matériel américain en Chine sans licence.
À partir du 1er octobre, une formation obligatoire sur la sécurité de la recherche sera imposée aux scientifiques financés par la National Science Foundation et le département de l’Agriculture.
Le 12 septembre, le département du Commerce a publié une nouvelle liste de contrôle des exportations, incluant 23 sociétés chinoises soutenant les programmes militaires russes ou chinois.
Parallèlement, deux intermédiaires chinois ont été sanctionnés pour avoir acheté des équipements américains de fabrication de puces au nom de SMIC, le principal fabricant chinois — un signal fort envoyé aux intermédiaires, désormais aussi visés que les utilisateurs finaux.
Bill Gates, cofondateur de Microsoft, rencontre le Premier ministre chinois Li Keqiang dans le complexe gouvernemental de Zhongnanhai à Pékin, le 3 novembre 2017. Le 20 août, invoquant la sécurité nationale, Microsoft a limité l’accès de la Chine à son système d’alerte sur les failles de cybersécurité. (Thomas Peter – Pool/Getty Images)
La réponse de Pékin
La Chine a répondu coup pour coup.
Le 22 août, les régulateurs du régime ont renforcé leur supervision de l’extraction et du traitement des terres rares — un niveau de contrôle qui inquiète fortement les fabricants étrangers.
Moins de deux semaines plus tard, Pékin a annoncé l’ouverture d’une enquête pour contournement des règles commerciales sur les importations américaines de fibres optiques, puis a lancé deux enquêtes distinctes pour dumping et discrimination présumée.
Le 15 septembre, les régulateurs chinois ont intensifié l’examen antitrust de l’acquisition de Mellanox Technologies par Nvidia, accentuant la pression sur le géant technologique américain.
Presque chaque semaine, l’un des deux camps resserre ses contrôles à l’exportation, ses examens de sécurité ou ses barrières juridiques — et l’autre réplique avec ses propres mesures.
Un clivage idéologique
« Au fond, on ne peut pas concilier un régime autoritaire centralisé avec une gouvernance démocratique moderne », explique l’économiste Davy Wong. « Ces deux systèmes de valeurs sont incompatibles, donc un affrontement de pouvoir est inévitable. »
La démocratie valorise la transparence et l’innovation ascendante, précise-t-il, tandis que l’État à parti unique chinois privilégie la rapidité et la cohésion autour de lui-même.
Cette cohésion sert un objectif unique, indique Shen Rongqin, professeur de commerce international à l’Université York (Canada) :
« Pour le Parti communiste chinois, la survie du régime prime absolument — même au détriment de l’économie ou du bien-être de la population. »
Ces priorités ne pourraient être plus éloignées, selon Henry Li, économiste et analyste de la Chine.
« L’essentiel pour Washington, c’est la prospérité nationale. Pour Pékin, c’est le pouvoir », a-t-il souligné à Epoch Times.
Le moindre signe de faiblesse, affirme-t-il, est perçu par le Parti communiste chinois comme une menace existentielle, ce qui le pousse à affronter l’Amérique – la première puissance occidentale – et à étendre son influence.
« Si ce pouvoir est remis en question, le Parti n’hésitera pas à recourir à des mesures d’anéantissement, même autodestructrices. »
M. Li constate en Chine un état d’esprit similaire à celui de 1989, lorsque des dizaines de milliers de soldats et des centaines de véhicules blindés avaient écrasé les manifestants pro-démocratie pacifiques sur la place Tiananmen.
Les dirigeants américains, à l’inverse, sont soumis à une contrainte très différente, observe Peter Chow.
« Si l’économie flanche, les électeurs américains peuvent sanctionner les responsables politiques dans les urnes », dit-il, ce qui limite jusqu’où Washington peut aller avant que les pertes d’emplois ou l’inflation ne deviennent des risques politiques.
Lors d’une veillée aux chandelles à Victoria Park, à Hong Kong, le 4 juin 2020, un homme tient une affiche montrant le célèbre “Homme au char” face aux blindés de l’armée chinoise. En 1989, des dizaines de milliers de soldats et des centaines de véhicules blindés avaient écrasé les manifestants pro-démocratie sur cette place. (Anthony/AFP via Getty Images)
Les tactiques de Pékin : promettre, retarder, renégocier
Malgré le fossé idéologique, la Chine reste dépendante de la demande américaine pour ses exportations, ce qui donne à l’Amérique un moyen de pression. Mais Pékin a appris à émousser cet avantage.
Les tactiques de Pékin, selon M. Wong, peuvent se résumer ainsi : « promettre, retarder, renégocier » — autrement dit, offrir des concessions tactiques, retarder leur mise en œuvre, puis revenir à la table avec de nouvelles exigences.
Henry Li observe que ce scénario se répète dans les négociations commerciales actuelles, où les représentants chinois semblent coopératifs tout en offrant peu de mesures concrètes et vérifiables.
Jusqu’à présent, Pékin a promis de réduire certains droits de douane, d’assouplir les restrictions sur les exportations de terres rares, et de mettre en place un « mécanisme de consultation » pour maintenir le dialogue — des mesures qui répondent en réalité à des décisions que l’État-parti lui-même a récemment imposées, sans prévoir de mécanismes d’application à long terme.
Cette tactique rappelle les engagements non tenus de l’accord commercial sino-américain de Phase 1 (2018–2020), lorsque les promesses largement médiatisées de Pékin d’augmenter ses achats de soja américain et d’autres articles n’ont jamais été pleinement concrétisées, rappelle M. Li.
Il estime que la Chine fait traîner les discussions jusqu’aux élections de mi-mandat américaines de 2026, dans l’espoir qu’un changement au Congrès réduise les marges de manœuvre de Donald Trump — tout en injectant massivement des fonds dans ses chaînes d’approvisionnement nationales pour réduire sa dépendance au marché américain.
Cependant, la marge de manœuvre de la Chine se réduit, souligne Peter Chow. L’effondrement du marché immobilier, le chômage massif des jeunes et la faiblesse de la consommation intérieure ont entamé son attractivité auprès des investisseurs étrangers.
Une analyse publiée en juillet 2025 par le Conseil commercial sino-américain a révélé que seulement 48 % des entreprises américaines prévoyaient d’investir en Chine en 2025, contre 80 % l’année précédente.
« Pékin pourrait bien vouloir limiter les dégâts de la guerre commerciale avec les États-Unis, affirme M. Chow, sinon il risque de faire face à des problèmes économiques bien plus graves à l’intérieur du pays. »
Des employés travaillent dans un entrepôt de l’entreprise de livraison Weijiang International, qui gère les colis de Temu — le géant du commerce en ligne fondé en Chine — à Guangzhou, dans la province du Guangdong, le 12 août 2025. (Adek Berry/AFP via Getty Images)
Menace de tarifs douaniers secondaires contre la Chine
Le soutien de Pékin à Moscou constitue un autre point de friction.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la Chine et l’Inde ont contribué à maintenir l’économie russe à flot en augmentant massivement leurs achats de pétrole, alors que de nombreux pays réduisaient ou interrompaient leurs importations.
En 2025, la Chine était devenue le premier acheteur d’énergies fossiles russes, représentant environ 40 % des revenus d’exportation de Moscou — atténuant ainsi largement les effets des sanctions occidentales.
En réponse, le Congrès des États-Unis a accordé à Donald Trump le pouvoir d’imposer des sanctions et des droits de douane aux pays soutenant la Russie.
Le président américain a également demandé aux responsables de l’Union européenne d’appliquer des tarifs douaniers allant jusqu’à 100 % sur les produits chinois et indiens, indiquant que Washington agirait de concert.
Pékin a riposté avec ses propres moyens d’influence. Lors de négociations tendues en mai et juin, il a restreint ses exportations de terres rares — essentielles à la fabrication de missiles, de voitures, de smartphones, etc. — pour forcer des concessions.
« Ce coup d’étranglement a fonctionné, » explique Shen Rongqin. Washington a allégé certains droits de douane et assoupli des restrictions sur les puces électroniques, permettant à Nvidia et AMD de vendre à la Chine des puces IA bridées (H20, MI308), en échange d’un prélèvement de 15 % sur les revenus générés.
Selon M. Shen, cet accord est en réalité favorable aux États-Unis, car il enferme les développeurs chinois dans l’écosystème CUDA (Compute Unified Device Architecture) de Nvidia, ralentissant ainsi le développement de solutions alternatives locales.
Reste à savoir si Pékin respectera cet accord.
Les analystes s’attendent à un regain de tensions si aucun compromis concret n’est trouvé d’ici le 10 novembre, date butoir prolongée des négociations sino-américaines.
« Chaque camp utilise ses avantages comparatifs comme armes, » souligne Shen Rongqin. « Cela devient de plus en plus évident. »
Que des droits de douane secondaires soient imposés ou non, chaque partie mobilise ses leviers d’influence les plus puissants — la technologie pour Washington, les terres rares pour Pékin — dans une escalade qui prend de plus en plus l’allure d’une guerre froide, conclut-il.
Des conteneurs sont empilés dans le port de Los Angeles, à San Pedro (Californie), le 15 avril 2025. La Chine et l’Inde ont contribué à soutenir l’économie russe depuis son invasion de l’Ukraine en 2022. En réponse, le Congrès américain a récemment autorisé Donald Trump à imposer des sanctions et des droits de douane aux pays qui aident la Russie. (Patrick T. Fallon/AFP via Getty Images)
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
Sean Tseng est un écrivain basé à Taïwan. Il se concentre sur l'actualité chinoise