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Le nouveau visa K de la Chine : porte ouverte pour les talents tech mondiaux — ou instrument de soft power ?

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Près de 11.000 diplômés, dont plus de 2000 étudiants qui n’avaient pas pu assister à la cérémonie l’année précédente en raison du Covid-19, participent à une remise de diplômes à l’Université normale de Chine centrale, à Wuhan, dans la province du Hubei (centre de la Chine), le 13 juin 2021.

Photo: STR/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 13 Min.

Alors que Washington durcit les règles d’immigration pour les travailleurs et étudiants étrangers, Pékin lance une invitation inattendue.
Annoncé discrètement en août et prévu pour un lancement le 1er octobre, le nouveau « visa K » de la Chine promet aux « jeunes talents des sciences et technologies » des entrées flexibles, des séjours prolongés et des formalités simplifiées — même si de nombreuses précisions restent à publier.
Il autorise aussi des échanges éducatifs, culturels et scientifiques, ainsi que des activités entrepreneuriales ou commerciales connexes — des conditions inhabituellement libérales pour un pays connu pour ses contrôles stricts en matière de travail et de résidence.
Le calendrier et la générosité du programme ont suscité colère à l’intérieur et spéculations à l’extérieur, sur fond de chômage record des jeunes et d’un marché de l’emploi déjà saturé.
Des titres présentent le visa comme la tentative de la Chine d’attirer les « meilleurs et les plus brillants » du monde pour contrer le populaire H-1B américain, mais des analystes ont déclaré à Epoch Times que Pékin courtiserait plutôt le « Sud global » — Afrique, Amérique latine et Inde — en ciblant des professionnels en début de carrière susceptibles, un jour, d’influencer l’opinion dans leur pays.
« Soyons honnêtes. Quels diplômés étrangers voudraient réellement travailler en Chine ? Certainement pas ceux des États-Unis, du Japon, de l’Australie ou de la Corée du Sud », affirme Frank Tian Xie, professeur de commerce à l’Université de South Carolina Aiken.
Du point de vue du dirigeant chinois Xi Jinping, selon M. Xie, la démarche est géopolitique — une « diplomatie du gros chèque » qui use d’un traitement privilégié pour cultiver la bienveillance et l’influence.
Une fois en Chine, ajoute M. Xie, ces recrues pourraient être traitées en VIP, renforçant les liens avec leurs gouvernements d’origine et permettant à Pékin de projeter une image d’ouverture au moment où Washington resserre sa propre politique de visas.

Ce que dit (déjà) la politique

Dans les jours entourant la mise en œuvre du 1er octobre, le visa K a déclenché un tollé en ligne dans le pays, en raison de son faible seuil d’accès et de ses conditions exceptionnellement généreuses.
Contrairement au visa de travail standard (Z) et au visa pour hauts talents (R) de la Chine, il ne semblerait exiger qu’un diplôme de licence dans une discipline STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) — et, point notable, n’exigerait ni offre d’emploi ni invitation.
Des responsables ont également indiqué qu’il permettra davantage d’entrées, une durée de validité plus longue et des séjours prolongés par rapport aux autres visas. Toutefois, ils n’en ont pas publié les détails ni clarifié si le visa confère effectivement un droit au travail.
Deux semaines après la date de lancement supposée, Epoch Times ne parvenait toujours pas à identifier de portail ou de parcours de candidature sur des sites officiels.
Sur les réseaux sociaux et forums chinois, des commentateurs et universitaires ont accusé le régime d’inviter des étrangers à « voler des emplois » alors que les jeunes Chinois peinent à en trouver, dénonçant un nouvel épisode de « culte aveugle des étrangers », une vieille plaie en Chine.
Tout en tentant d’apaiser l’opinion, les médias d’État ont présenté le visa K comme un canal « d’échanges » plutôt que d’immigration, sans davantage de précisions.
Le Global Times, média d’État, a affirmé que le visa n’est « pas un simple permis de travail », mais un outil pour promouvoir les échanges entre la jeunesse chinoise et étrangère. L’organe officiel du PCC, le Quotidien du peuple, a indiqué qu’il « facilitera le travail et la vie en Chine des jeunes talents étrangers des sciences et technologies », tout en précisant qu’« il ne faut pas l’assimiler à l’immigration ». Science and Technology Daily, média d’État, le décrit comme un moyen d’alléger l’entrée et de favoriser la « coopération et les échanges internationaux ».
À mesure que la contestation montait, le Quotidien du peuple a publié un éditorial qualifiant les critiques d’« extravagantes » et accusant leurs auteurs d’égarer le public.
Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du Global Times, a défendu la politique sur Weibo : « Le problème n’est pas qu’il y ait trop d’étrangers qui viennent en Chine, c’est plutôt qu’il n’y en a pas assez. »

Un marché du travail sous tension

La controverse intervient dans un contexte morose pour l’emploi des jeunes en Chine.
En août 2025, les données officielles de Pékin situaient le chômage des jeunes à environ 19 %, son plus haut niveau depuis l’adoption, en décembre 2023, d’une méthodologie révisée qui abaisse le taux publié en excluant les étudiants.
À titre de comparaison, le chômage des jeunes dans l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a atteint en moyenne 11,2 % en juillet 2025, contre 10,8 % aux États-Unis et 4,1 % au Japon. Selon le Quotidien du peuple, la Chine forme déjà plus de cinq millions de diplômés STEM par an — un record mondial — et revendique une main-d’œuvre de R&D (Recherche & Développement) de premier plan.
Dès lors, si l’offre intérieure est aussi abondante, pourquoi en importer davantage ?, demandent les sceptiques.
Le sentiment antiforeigners s’est également renforcé ces dernières années, alimenté par les avertissements récurrents du régime communiste à propos de « forces anti-chinoises étrangères » et ses appels à dénoncer les espions présumés.
L’immigration entrante en Chine demeure depuis longtemps négligeable.
Entre 2004 et 2013, le pays a délivré moins de 5000 permis de résidence permanente, rapporte le China Daily, média d’État. Pékin avait proposé en 2020 un assouplissement modeste des règles de résidence permanente, mais a reculé face à la fronde publique.

Ouverture ou effet d’optique ?

Pékin présente le visa K comme la preuve d’une nouvelle « ouverture globale et intégrale », selon M. Xie, alors même que les capitaux étrangers repartent, sur fond de tensions sino-américaines et de ralentissement économique.
Ces dernières années, le régime a réduit la paperasserie des visas pour les investisseurs, touristes et étudiants, et, en juillet 2025, avait conclu des accords d’exemption de visa unilatéraux ou réciproques avec 75 pays.
« Alors que de nombreux pays resserrent l’immigration, le PCC voit un moment stratégique pour paraître ouvert et accueillant », observe l’analyste taïwanais des affaires politiques et trans-détroit Lai Rongwei.
« C’est un nouveau front de la compétition de grandes puissances », ajoute-t-il dans des propos à Epoch Times.
Le ciblage de jeunes candidats en début de carrière interroge toutefois certains experts.
« À moins que ce ne soit simplement une mise en scène face aux États-Unis, la mesure a peu d’utilité », estime M. Xie. « On dirait que Pékin lance : ‘Nous prendrons ceux que l’Amérique ne veut pas, juste pour paraître ouverts’. »

Un instrument de soft power

Alors que les relations sino-américaines se tendent, Xi a doublé la mise sur les échanges entre sociétés civiles, déclarant en 2023 que l’avenir des relations sino-américaines « dépend de la jeunesse » et promettant d’accueillir 50.000 étudiants américains sur cinq ans.
Mais les États-Unis ne sont pas la cible principale, affirme l’économiste basé aux États-Unis Davy J. Wong. Pékin chercherait à bâtir une « classe-pont » de jeunes élites venues d’Afrique, d’Inde et d’Amérique latine, qui rentreront chez elles avec une sympathie pour le modèle de modernisation défendu par le PCC.
« Le visa K n’est pas une politique d’immigration », dit-il. « C’est de l’influence civilisationnelle. »
Des gouvernements locaux pourraient y adjoindre des incitations — subventions à l’entrepreneuriat, aides au logement, accès à des parcs technologiques — pour attirer ces recrues, ajoute M. Wong.
Bien que les détails restent flous, M. Xie s’attend à ce que les titulaires du visa K bénéficient d’avantages dont les citoyens chinois ne jouissent jamais, des soins de santé subventionnés à certaines formes de traitement VIP, car le programme vise à impressionner.

Le discours et la réalité

Face au H-1B américain, désormais assorti d’une redevance de 100.000 dollars, Pékin vante le visa K comme moins contraignant et sans besoin de sponsor.
M. Xie doute toutefois qu’il séduise beaucoup de candidats.
« Pour les diplômés ambitieux du monde entier, le visa K n’est même pas sur le radar. S’ils manquent les États-Unis, ils choisiront encore l’Europe ou l’Australie avant la Chine », dit-il.
Il avertit que la censure, les restrictions de déplacement, les contrôles des capitaux et un internet fermé entravent la liberté de recherche — et que même les étrangers de très haut niveau qui viendraient se heurteraient à une offre excédentaire de diplômés chinois.
M. Wong abonde. Le visa K pourrait attirer des professionnels de « deuxième ou troisième rang » d’Asie du Sud-Est ou d’Europe de l’Est, estime-t-il, « mais les États-Unis et leurs alliés dominent toujours la course aux talents de premier plan. »

Freins et risques

Un gros salaire ou des incitations ne suffiront pas forcément à compenser les obstacles chinois, selon M. Wong.
La fameuse cadence « 996 » — 9 h à 21 h, six jours sur sept — choquera la plupart des recrutés occidentaux, et la barrière de la langue ajoute une couche de friction, dit-il.
Les risques politiques et personnels demeurent toutefois les plus dissuasifs, selon M. Lai.
« Les gens mettent en balance famille, carrière et sécurité », dit-il. « Dans un État dirigé par le Parti, la loi est appliquée par des membres du Parti — peut-elle vraiment protéger les étrangers ? »
Il voit dans les diplômés taïwanais des cibles privilégiées : pas de barrière linguistique et des salaires comparables chez eux rendent l’offre de Pékin tentante.
Une fois en Chine, explique M. Lai, ils pourraient recevoir des avantages VIP — « une forme douce de clientélisme » — tout en étant préparés à des rôles d’influence, voire de renseignement.
Les incitations matérielles, l’amitié, le nationalisme, voire la séduction amoureuse font partie de la panoplie du PCC, ajoute-t-il, précisant que les contrats peuvent s’avérer fragiles. « Pékin a l’habitude de brandir des avantages, puis de se rétracter. Les risques politiques et personnels sont tout simplement trop élevés », dit-il.
À mesure que la rivalité sino-américaine s’intensifie, la séparation s’étend désormais à la technologie, à l’économie et même aux échanges universitaires.
« L’ère du grand écart est révolue », affirme M. Lai. « Même dans la tech, il faut désormais choisir un camp — par exemple, pour qui développez-vous l’IA ? »
Dans ce contexte, le visa K ressemble moins à un moyen d’importer de la main-d’œuvre qu’à une tentative d’importer un pouvoir discursif, conclut-il.
Gu Xiaohua, Song Tang et Yi Ru ont contribué à la rédaction de cet article.