ANALYSE : La faillite d’Evergrande liée à la purge de rivaux politiques par Xi

Selon des experts, une purge des rivaux politiques semble être à l'origine de l'effondrement du géant de l'immobilier Evergrande.

Par Grace Hsing & Lynn Xu
19 septembre 2023 09:01 Mis à jour: 19 septembre 2023 09:01

Alors que le groupe Evergrande, en faillite, se débat dans un abîme de responsabilités colossales, les médias chinois et les plateformes en ligne ont été inondés de rumeurs au sujet du fondateur du conglomérat immobilier, Xu Jiayin (également connu sous le nom de Hui Ka Yan).

Dans ce tourbillon d’histoires, une chose est sûre : comme tout en Chine, la fortune de M. Xu et de son entreprise est étroitement liée à celle du Parti communiste chinois (PCC).

L’effondrement d’Evergrande montre, selon certains observateurs politiques, que le PCC est en proie à de violentes guerres intestines.

M. Xu pourrait avoir été pris en tenaille entre le chef du PCC, Xi Jinping, et l’ancien vice-président Zeng Qinghong, avec lequel M. Xu entretient des liens étroits. M. Zeng et ses partisans ont été à plusieurs reprises la cible de mesures engagées par Xi visant à consolider son pouvoir.

D’ouvrier d’aciérie à l’homme le plus riche de Chine

Au cours des deux dernières décennies, le groupe Evergrande s’est rapidement développé pour devenir la deuxième société immobilière de Chine, rivalisant avec les 500 plus grandes entreprises du monde. Son fondateur, Xu Jiayin, qui travaillait autrefois comme ouvrier dans une aciérie, est devenu l’homme le plus riche de Chine.

La saga a finalement pris fin avec le dépôt de bilan d’Evergrande à New York le 17 août, après plusieurs années et des milliards d’euros de dettes impayées.

« Il devait y avoir un soutien solide derrière [Xu Jiayin]. Un soutien qui le « transfusait » de manière constante et qui s’ accompagnait de beaucoup de commodités », a déclaré Tang Jingyuan, commentateur des questions chinoises et collaborateur d’Epoch Times, le 7 septembre, citant les gloires passées d’Evergrande. Sans ce genre de soutien, l’entreprise privée chinoise aurait été étranglée par le système économique du PCC, a t-il ajouté.

Dans un article paru le 30 août dans l’édition chinoise de NTD TV, un autre commentateur des questions chinoises Wang Youqun a établi un lien entre la faillite d’Evergrande et la loyauté de M. Xu à l’égard de l’ancien vice-président. Les deux sont directement liés, a expliqué M. Wang, ancien secrétaire du comité du Politburo à l’époque de l’ancien dirigeant Wei Jianxing et collaborateur d’Epoch Times.

M. Zeng est un « prince héritier » influent du PCC – ce terme désigne les enfants des vétérans de la révolution et des cadres supérieurs du PCC – et un partenaire fidèle de l’ancien dirigeant du PCC, Jiang Zemin. Pendant des décennies, il a renforcé le pouvoir économique et politique de sa faction, en intégrant le secteur financier chinois à sa fortune familiale et en monopolisant des agences et des industries clés, notamment la propagande, la banque, la technologie et l’immobilier.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, Xi Jinping s’est efforcé d’éradiquer ces factions rivales au nom de la lutte contre la corruption ou de la réglementation de l’industrie.

Pour sa part, M. Zeng se serait joint à d’autres anciens du parti pour blâmer le dirigeant du PCC lors de la réunion annuelle Beidaihe des dirigeants du parti cet été, selon un rapport publié le 5 septembre par Nikkei Asia.

Rumeurs de suicide, de prison, de divorce

Alors que la crise d’Evergrande s’intensifiait, les médias chinois étaient inondés de rumeurs sur son fondateur en difficulté. En décembre, l’une d’elle affirmait que M. Xu s’était suicidé, une histoire qui aurait été démentie par un mémo vocal exhortant ses cadres à accélérer les constructions. En août, le portail d’information chinois Tencent a alimenté des spéculations relatives à un confinement de M. Xu, âgé de 64 ans, à Guanghzou et une limitation des visites au siège d’Evergrande.

Tencent a également rapporté que M. Xu avait divorcé de sa femme, Ding Yumei, l’année dernière.

Xu Jiayin s’exprime lors d’une conférence de presse en marge de la quatrième session de la 12e Assemblée populaire nationale, à Beijing, le 6 mars 2016. (Etienne Oliveau/Getty Images)

Cette nouvelle a fait naître des soupçons quant à la volonté de M. Xu de limiter son endettement en excluant un membre important de sa famille, anticipant ainsi une inévitable restriction de sa liberté personnelle en raison de sa responsabilité dans la dette astronomique d’Evergrande.

Dans un communiqué publié le 14 août par Evergrande, Ding Yumei n’est plus présentée comme l’épouse de M. Xu, mais comme une « tierce partie indépendante de la société et de ses partenaires ».

« C’est considéré comme un divorce technique, laissant la richesse à Ding Yumei et les dettes à Evergrande, » a souligné un avocat financier de Shanghai, cité par le média financier d’État STCN.com le 17 août.

Les commentaires en ligne écrivaient : « Ne laissez pas la femme de Xu Jiayin s’enfuir ! » et « Ne laissez pas Xu Jiayin s’enfuir ! »

Accumuler des dettes et verser des dividendes

Le 17 juillet, Evergrande a publié des résultats attendus depuis longtemps, rendant public son énorme endettement. Le groupe n’avait pas publié de résultats depuis 2021.

Les résultats ont montré que la dette totale de l’entreprise atteignait 2,44 trillions de yuans (309 milliards d’euros) à la fin de l’année dernière.  Sa perte nette sur deux ans a atteint 81 milliards de yuans (10 milliards d’euros), un chiffre record pour une dette d’entreprise chinoise.

Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est qu’Evergrande a procédé à ce que l’on appelle des « cessions d’actifs » – le retrait d’actifs à long terme des registres financiers d’une entreprise – sur son revenu d’exploitation pour 2021 et avant, ce qui a entraîné une perte de 66,4 milliards de yuans (84 milliards d’euros) au cours des six premiers mois de l’année 2022, d’après le rapport d’Evergrande.

Le dividende initial a donc perdu sa valeur de référence.

Normalement, Evergrande pratique des dividendes élevés en fonction des bénéfices réalisés, de sorte que les gros actionnaires et les dirigeants en retirent des profits substantiels. Cependant, bien que le promoteur immobilier ait versé des dividendes chaque année excepté en 2016, selon ses rapports annuels, son passif total a augmenté chaque année depuis son introduction en bourse.

Le chiffre d’affaires cumulé d’Evergrande entre 2018 et 2020 s’est élevé à environ 1,45 trillion de yuans (281 milliards d’euros), et les 66,4 milliards « manquants » ont représenté jusqu’à 45% de ce montant, selon un rapport publié le 18 juillet par le site web financier en langue chinoise 21Jingji.com.

De nombreux rapports publiés dans les médias chinois et occidentaux affirment qu’Evergrande a emprunté de l’argent pour payer des dividendes pendant des années, augmentant ainsi la dette de l’entreprise.

« Alors qu’elle accumulait des dettes, Evergrande a versé des milliards de dividendes à ses actionnaires, la majeure partie de cet argent revenant à M. Hui, son principal actionnaire, » selon un rapport du Wall Street Journal de septembre 2021.

« Une fois cette falsification financière vérifiée, Xu Jiayin sera emprisonné, » a indiqué un rapport de Tencent le 21 août.

M. Xu était autrefois l’homme le plus riche de Chine, en tête de la Hurun China Rich List en 2017.

Les autorités chinoises ont demandé à M. Xu d’utiliser sa fortune personnelle pour alléger la crise de la dette d’Evergrande, a révélé Reuters dans un article publié en novembre 2021, citant « deux personnes distinctes connaissant le sujet ».

La répression de l’immobilier par Xi Jinping

Au début de l’année 2016, Xi Jinping a proposé de réorganiser le secteur immobilier. Il a de nouveau insisté sur ce point dans le rapport du dix-neuvième congrès national l’année suivante.

Suite de la déclaration de Xi selon laquelle « les maisons sont destinées à l’habitation, pas à la spéculation« , le PCC a resserré les normes relatives aux prêts hypothécaires et a adopté une série de mesures destinées à limiter les emprunts effrénés des promoteurs immobiliers. En conséquence, des centaines de sociétés immobilières se sont déclarées en faillite.

Malgré les restrictions imposées par le régime et la chute du marché immobilier qui s’en est suivie, M. Xu d’Evergrande a continué à emprunter massivement, le taux d’endettement de l’entreprise progressant de plus de 80% par an.

En août 2020, l’administration Xi a fixé « trois lignes rouges » pour les promoteurs immobiliers, les obligeant à maintenir leur niveau d’endettement dans des limites raisonnables.

Incapable de se conformer aux nouvelles réglementations, Evergrande ne pouvait plus obtenir de prêts bancaires en Chine, se retrouvant ainsi piégée dans une situation financière difficile.

Un complexe résidentiel du promoteur immobilier chinois Evergrande à Huaian, dans la province chinoise du Jiangsu (est), le 17 septembre 2021. (STR/AFP via Getty Images)

Par la suite, Evergrande a fait défaut sur une dette massive en 2021, d’un montant de 2,4 billions de yuans (309 milliards d’euros).

Xi Jinping a « allumé la mèche »

Selon Yuan Hongbing, juriste et commentateur sino-australien, de nombreuses rumeurs circulent dans les cercles officiels de Pékin : Xi Jinping aurait personnellement allumé la mèche pour provoquer l’explosion d’Evergrande.

En septembre 2021, M. Yuan a révélé au portail d’information chinois Vision Times, basé aux États-Unis, que M. Xi avait ordonné aux banques de cesser d’accorder des prêts à Evergrande. Le dirigeant chinois a pris des mesures pour empêcher Evergrande d’obtenir des prêts et des injections de capitaux par d’autres circuits financiers. En conséquence, la chaîne de capitaux d’Evergrande a été rompue.

M. Yuan a également établi un lien entre ces mesures et l’allégeance de M. Xu à M. Zeng.

« Xi Jinping entend détruire ses adversaires dans la lutte pour le pouvoir et conquérir d’abord ses fondations économiques. En visant Evergrande, il veut viser Zeng Qinghong. »

Le 16 août, l’unité chinoise d’Evergrande a annoncé qu’elle faisait l’objet d’une enquête diligentée par la Commission chinoise des valeurs mobilières et des contrats à terme (SFC : Securities and Futures Commission) pour violations présumées en matière de divulgation d’informations.

Le 17 août, la société a déposé une demande de protection contre ses créanciers auprès d’un tribunal américain des faillites.

Selon M. Wang, la protection contre la faillite doit permettre de préserver les actifs transférés à l’étranger par M. Xu, M. Zeng et d’autres familles puissantes du PCC. Selon lui, cette décision aurait pour effet de laisser Xi Jinping supporter les conséquences de l’endettement massif d’Evergrande.

Liens étroits avec la famille de Zeng Qinghong

M. Wang a indiqué qu’Evergrande était un exemple illustrant comment les familles puissantes du PCC réalisent d’énormes profits grâce aux « gants blancs », terme chinois désignant les intermédiaires qui aident à accomplir les « sales besognes » du blanchiment d’argent.

Selon M. Yuan, M. Xu était le « gant blanc » de la famille de M. Zeng. La croissance phénoménale d’Evergrande est en grande partie due au soutien du frère cadet de Zeng Qinghong, Zeng Qinghuai, a-t-il expliqué.

En tant que « patron des coulisses » de l’industrie culturelle de Hong Kong, Zeng Qinghuai est bien placé dans les cercles riches et influents de la région. Selon un rapport publié sur le portail d’information en langue chinoise Liberty Times, ce sont les liens entre M. Xu et le jeune frère Zeng qui ont permis à M. Xu d’obtenir le soutien des magnats de Hong Kong lui permettant d’introduire avec succès Evergrande à la bourse deHong Kong.

M. Xu est également proche du fils de Zeng Qinghong, Zeng Wei. Tous deux étaient voisins dans le quartier huppé de Point Piper à Sydney.

Autres activités de M. Xu

M. Xu a participé à toute une série d’activités spéculatives en plus du secteur immobilier, notamment la troupe de chant et de danse Evergrande, Evergrande Health et Evergrande Motor.

Evergrande Song and Dance a été créé en 2011 avec un capital enregistré de 2 millions de yuans (253.000 euros), selon les médias chinois.

La troupe compte plus de 100 membres, des femmes qui se produisent non seulement pour les clients les plus importants d’Evergrande, mais qui participent également à des spectacles commerciaux de grande envergure. M. Xu aurait dépensé chaque année plusieurs millions d’euros pour soutenir la troupe.

La troupe a été dissoute en 2022.

En 2018, Evergrande s’est associé à Brigham Health, un hôpital universitaire de Harvard, pour construire le Boao Evergrande International Hospital à Boao Town, dans la province insulaire de Hainan, au sud de la Chine. Hainan est connue comme l’“Hawaï chinois”.

L’accord entre Brigham et Evergrande a été conclu lorsque M. Xu a fait don de 187 millions d’euros à Harvard en 2016. M. Xu a investi des centaines de millions d’euros dans l’hôpital ultramoderne. « Hainan prévoit un centre névralgique du tourisme médical de 2,8 milliards d’euros, » titrait le Macau Daily Times.

Cependant, le projet n’a pas abouti. Selon un article du Boston Globe de décembre 2021, l’hôpital de 647 lits n’accueillait en général qu’une dizaine de patients. Brigham Health a mis fin à son partenariat avec Evergrande à l’expiration du contrat, selon l’article du Boston Globe.

En juillet 2020, M. Xu a rebaptisé Evergrande Health en Evergrande New Energy Vehicle Group, également connu sous le nom « Evergrande Auto ».

En juillet 2023, Evergrande Auto a annoncé une perte nette combinée de 71,12 milliards de yuans (9,32 milliards d’euros) pour 2021 et 2022.

Des destins entremêlés

Le 27 août, Evergrande a annoncé des pertes totalisant 33 milliards de yuans (4,24 milliards d’euros) pour le premier semestre de l’année, soit une perte nette plus faible que pour la même période l’année précédente.

Un jour plus tard, lorsque les actions d’Evergrande ont recommencé à être négociées – pour la première fois depuis leur suspension en mars 2022 -, elles ont perdu 20,6 milliards d’euros, soit 79% de leur valeur de marché.

Le sort de M. Xu est indissociable des dettes croissantes d’Evergrande. Bien que l’on ne sache pas encore ce qui l’attend, il peut s’inspirer de cas similaires.

Le premier est celui de Chen Feng, ancien président du groupe HNA, une compagnie aérienne qui s’est diversifiée dans l’immobilier, les services financiers, le tourisme, la logistique et d’autres entreprises. M. Chen a été emprisonné en septembre 2021 après la faillite du conglomérat, dont la dette s’élevait à plus de 700 milliards de yuans (90 milliards d’euros).

Un autre est Li Hejun, fondateur du groupe Hanergy Holding, une entreprise de panneaux solaires à couche mince. Ce magnat de l’énergie est arrivé en tête de la Huron Global Rich List en 2015. En décembre 2022, M. Li a été arrêté et interrogé par la police. Bien que la cause de son arrestation ne soit pas clairement établie, les médias chinois ont rapporté qu’elle était liée à la Banque de Jinzhou, en difficulté, qui avait financé l’introduction en bourse de M. Li en 2015 avec près de 10 milliards de yuans (1,4 milliard d’euros). Peu après l’arrestation, Hanergy a entamé une procédure de faillite et de liquidation, sous l’égide des autorités du PCC.

La police chinoise a annoncé samedi matin l’arrestation de plusieurs employés d’une filiale d’Evergrande. Un communiqué publié par la police de Shenzhen, ville du sud de la Chine, ne précise pas le nombre d’employés arrêtés ni les charges retenues contre eux, mais demande au public de dénoncer les cas présumés de fraude impliquant l’entreprise.

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