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Assurance sociale en Chine : la politique de contrôle pourrait porter un coup fatal aux entreprises

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Des employés préparent des gâteaux de lune dans une usine alimentaire avant la fête de la mi-automne à Taizhou, province du Jiangsu, en Chine, le 8 septembre 2024.

Photo: Stringer/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 20 Min.

Dans le district de Putuo à Shanghai, un restaurant communautaire a récemment affiché une annonce « Recherche personnel » sur sa porte, encourageant les hommes âgés de 60 ans et plus et les femmes âgées de 55 ans et plus à postuler pour un emploi avec « un salaire généreux ». Les personnes plus jeunes n’ont pas besoin de postuler, précisait l’annonce.
La publicité met en lumière une transformation majeure en cours dans les villes chinoises, susceptible d’avoir un impact négatif sur les entreprises. Les autorités chinoises annoncent qu’à compter du 1er septembre, elles appliqueront pleinement les règles de cotisations sociales en vigueur depuis longtemps, supprimant ainsi une zone grise qui permet à de nombreux employeurs d’échapper aux paiements et aux employés de s’en désengager.
Les retraités, qui sont en grande partie exemptés de ces charges sociales, sont soudainement très recherchés pour pallier le manque de main-d’œuvre.
Les économistes préviennent que la décision d’appliquer des règles de cotisation pourrait nuire gravement aux petites et moyennes entreprises, déjà confrontées à des marges bénéficiaires étroites. Elle met également en lumière des problèmes plus profonds : ralentissement économique, vieillissement de la population et baisse de confiance du public dans les systèmes gouvernementaux.
Selon eux, l’urgence de mettre en œuvre ces nouvelles règles découle du besoin du régime de trouver de nouvelles sources de revenus après un effondrement du marché immobilier qui a réduit les recettes provenant de la vente de terrains et aggravé les difficultés financières des gouvernements locaux déjà endettés.
« Le régime chinois est tout simplement à court d’argent, il ne peut plus continuer à soutenir les choses », a expliqué Henry Li, un économiste chinois diplômé de l’Université Tsinghua, désormais basé dans le Maryland.
« Imaginez un petit restaurant de 4 ou 5 employés confronté à une hausse soudaine de 40 % de ses coûts salariaux », a-t-il expliqué à Epoch Times. « La seule solution est la fermeture de l’établissement. »
Ce qui change le 1er septembre
Le système moderne d’assurance sociale de la Chine remonte aux années 1990. Les employeurs et les employés sont tenus de contribuer aux programmes de retraite, d’assurance médicale, de chômage, d’accident du travail et de maternité, ainsi qu’à un fonds de logement obligatoire.
Selon les données actuelles du ministère des Ressources humaines et de la Sécurité sociale, les cotisations aux « cinq assurances et au fonds de logement » peuvent représenter environ 40 à 60 % des salaires, selon la région – la retraite et l’assurance médicale occupant la plus grande part.
Pendant des années, l’application des règles a été laxiste. Les entreprises les ont contournées en demandant à leurs employés de signer des attestations de non-assurance, en les reclassant comme prestataires ou intérimaires, ou en sous-déclarant les mois couverts et leurs bases de rémunération tout en complétant leurs salaires en espèces.
Cette faille est sur le point d’être comblée.
Le 1er août, la Cour populaire suprême a rendu une interprétation judiciaire annulant tout accord écrit ou verbal de renonciation « volontaire » aux cotisations, à compter du 1er septembre. Si un travailleur démissionne en raison du défaut de cotisation de son entreprise, les tribunaux peuvent approuver les demandes d’indemnités de licenciement. Lorsque les autorités imposent des paiements rétroactifs, des pénalités de retard s’accumulent à hauteur d’environ 0,05 % par jour.
L’économiste américain, Davy J. Wong, a expliqué à Epoch Times que Pékin impose ce changement en recourant à une « interprétation » judiciaire plutôt qu’à une nouvelle loi, afin de donner l’impression d’une décision de style américain et d’éluder une partie de sa responsabilité directe. Cependant, comme les tribunaux ne sont pas indépendants du Parti communiste chinois (PCC), il souligne qu’il s’agit fondamentalement d’une décision politique.
Ce changement modifie le risque pour les employeurs qui dépendaient jusqu’alors de modalités flexibles pour maintenir leur entreprise à flot.
Compression budgétaire
[pullquote author= » » org= » »]Le déficit budgétaire total de la Chine en 2025 a atteint un niveau record de 9,61 % du PIB, soit le plus élevé parmi les grandes économies, selon le Center for Strategic and International Studies.[/pullquote]
D’après M. Li, les 31 régions provinciales chinoises ont toutes un déficit budgétaire et « même la riche ville de Shanghai est dans le rouge ». Parallèlement, des informations ont circulé sur des réductions ou des retards dans le paiement des salaires des fonctionnaires et sur la récupération des primes.
Selon le China Power Project du Centre d’études stratégiques et internationales (basé à Washington DC), le déficit budgétaire total de la Chine en 2025 – sans compter les déficits des fonds d’assurance sociale – a atteint un niveau record de 9,61 % du PIB, le plus élevé parmi les grandes économies.
En comparaison, le déficit projeté des États-Unis s’élève à 6,5 % pour 2025, celui de la France à 5,8 %, celui du Royaume-Uni à 4,4 % et la moyenne mondiale à 5 %, selon un rapport d’avril du Fonds monétaire international (FMI).
Les vérificateurs chinois ont également signalé des razzias sur les fonds de pension.
Dans un rapport de juin adressé à l’Assemblée populaire nationale (APN), l’organe législatif chinois, la Cour des comptes a indiqué que 25 provinces avaient détourné au moins 60,16 milliards de yuans (environ 7,2 milliards d’euros) des fonds des régimes de retraite de leurs résidents. Sur ce total, 41,40 milliards de yuans (environ 4,9 milliards d’euros) ont été détournés ou obtenus par fraude, ont précisé les vérificateurs.

Hu Axiang, 88 ans, perçoit sa première pension à son domicile de Shanghai le 28 septembre 2006. À compter du 1er septembre 2025, les autorités chinoises appliqueront pleinement les règles de sécurité sociale en vigueur depuis longtemps, comblant ainsi les lacunes qui permettent à de nombreux employeurs d’échapper aux versements. L’embauche de retraités, exonérés de charges salariales, est donc de plus en plus recherchée comme solution de contournement. (China Photos/Getty Images)

Ils ont également constaté que 13 provinces avaient détourné 40,62 milliards de yuans (environ 4,8 milliards d’euros) de cotisations de retraite pour couvrir les dépenses courantes du gouvernement telles que les salaires, les opérations et les intérêts sur les prêts en cours.
La pénurie de liquidités s’est aggravée lorsque le boom immobilier chinois s’est effondré fin 2021. Avec la diminution des ventes de terrains et des achats de logements, les collectivités locales ont perdu leur source de revenus la plus rentable. Pendant des années, elles ont financé les métros, les aéroports et les parcs industriels par l’intermédiaire de véhicules de financement des collectivités locales (VFCL), qui servaient principalement d’intermédiaires financiers chargés de lever des fonds pour les grands projets de développement.
Ces entités ont désormais du mal à faire face à ce que les analystes estiment à environ 78.000 milliards de yuans (soit plus de 9288 milliards d’euros) de passif, soit plus de la moitié de la taille de l’économie chinoise, selon une étude du groupe mondial de services financiers BBVA.
Chaque trimestre, au moins 1000 milliards de yuans (119 milliards d’euros) d’obligations VFCL arrivent à échéance, ce qui entraîne une ruée incessante vers les liquidités, selon le magazine économique axé sur la Chine CKGSB Knowledge.
[pullquote author= » » org= » »]Avec la mise en commun nationale des retraites et l’augmentation des transferts interprovinciaux, l’élargissement de la couverture des cotisations est considéré à Pékin comme le moyen structurel de maintenir la solvabilité du système alors que les revenus immobiliers s’amenuisent.[/pullquote]
« La confiance du public est ainsi détruite », a affirmé M. Li. « C’est pourquoi les gens ne veulent pas cotiser à l’assurance sociale. Les citoyens lambda considèrent leurs cotisations comme des chiffres insignifiants sur un compte, de l’argent qu’ils ne reverront peut-être jamais. »
M. Wong a déclaré qu’avec la mise en commun nationale des retraites et des transferts interprovinciaux plus importants, l’élargissement de la couverture des cotisations est considéré à Pékin comme le moyen structurel de maintenir la solvabilité du système alors que les revenus immobiliers s’amenuisent.
La démographie rend les choses plus complexes, a-t-il noté, car le taux de dépendance des personnes âgées en Chine augmente rapidement et devrait approcher deux adultes en âge de travailler par personne âgée d’ici 2050, ce qui accroît la pression pour élargir la base des payeurs dès maintenant.
Le taux de dépendance des personnes âgées fait référence au nombre d’adultes en âge de travailler (15 à 64 ans) pour chaque personne âgée (65 ans et plus).
Retombées au niveau de la rue
Dans l’ouest du Sichuan, le propriétaire d’une petite entreprise de décoration a licencié ses trois derniers employés et fait appel à son père, son frère et son cousin pour maintenir son activité.
« S’il s’agit de votre propre famille, même si vous ne payez pas les cotisations, personne ne vous poursuivra en justice », a-t-il expliqué à Epoch Times.
Les faibles marges, a-t-il ajouté, ne laissent aucune place aux salaires et aux cotisations d’assurance sociale, et licencier des travailleurs maintenant est « une douleur à court terme plutôt qu’une douleur à long terme » dans le cadre de l’application des règles.
« Ce mois-ci, je constate des licenciements partout, davantage chaque jour », a-t-il ajouté. « De nombreuses entreprises fuient. »

Des participants à un salon de l’emploi de printemps à Yantai, dans la province du Shandong, en Chine, le 6 février 2025. Selon les observateurs du marché, la faiblesse des marges de nombreuses PME les empêche de couvrir à la fois les salaires et les cotisations sociales, ce qui les contraint à licencier. (China OUT/AFP via Getty Images)

Un employé d’une entreprise de machines du parc industriel scientifique et technologique de Wuli à Jinjiang, dans la province du Fujian, a déclaré que son employeur n’avait jamais payé sa part de cotisations sociales depuis son arrivée en 2015.
« Ils n’emploient que 32 travailleurs ; 10 d’entre eux sont considérés comme essentiels, et l’entreprise prend donc en charge leur assurance sociale. Les autres sont priés de payer la totalité de leur cotisation. C’est une pratique courante », a-t-il indiqué à Epoch Times.
« Trois employés ont déjà intenté un procès », a-t-il déclaré. « Mais l’entreprise sait que les employés auront gain de cause, alors elle fait traîner la procédure judiciaire en longueur, en faisant appel. »
Il a souligné qu’en raison de la faiblesse de l’économie, la plupart des travailleurs préfèrent recevoir plus d’argent à l’avance plutôt que de contribuer à l’assurance sociale.
Il travaille 10 heures par jour, 6 jours par semaine, et son salaire net « lui permet à peine de subvenir aux besoins de sa famille », ce qui rend difficile toute cotisation à la sécurité sociale.
Parallèlement, les retraités occupent de plus en plus de postes traditionnellement occupés par les jeunes. Par exemple, Universal Studios Beijing Resort et McDonald’s Chine recrutent ouvertement des seniors rémunérés à l’heure, selon le quotidien d’État China Daily.
[pullquote author= » » org= » »]Légalement, le seul véritable moyen d’éviter les cotisations sociales est d’embaucher des retraités.[/pullquote]
Mme Wang, une retraitée de Shanghai, a déclaré qu’un restaurant spécialisé dans les wontons l’avait embauchée pour 3000 yuans (357 euros) par mois, sans aucune cotisation de sécurité sociale.
« Je n’aurais jamais pensé que les jeunes auraient du mal à trouver du travail alors que les seniors sont très demandés », a-t-elle précisé à Epoch Times.
À Hangzhou, M. Wu, un retraité, a déclaré que les cafés locaux ont remplacé les jeunes employés par des seniors, offrant jusqu’à 4200 yuans (500 euros) par mois, soit plus que le salaire net de nombreux jeunes travailleurs.
« C’est également difficile pour les travailleurs d’âge moyen au chômage : ils ont des parents âgés et de jeunes enfants à charge », a-t-il déclaré à Epoch Times.
M. Li a qualifié l’augmentation du nombre d’embauches de retraités comme une solution provisoire plutôt que permanente.
« Légalement, le seul véritable moyen d’éviter les cotisations sociales est désormais d’embaucher des retraités », a-t-il souligné. « Mais le vivier est limité : les travailleurs âgés ne peuvent pas effectuer des tâches comme la livraison de repas ou les travaux pénibles, et les risques pour la santé sont plus élevés ; ce n’est pas une véritable solution. »

Une ouvrière appose des étiquettes sur des chapeaux de Père Noël rouges destinés à l’exportation dans une usine près de Yiwu, dans la province du Zhejiang, en Chine, le 28 avril 2025. (Kevin Frayer/Getty Images)

Le fardeau pèse le plus lourdement sur les services à forte intensité de main-d’œuvre, a-t-il ajouté.
M. Wong a expliqué la logique de coût des entreprises : la plupart des régions ne réinscrivent pas les retraités réembauchés aux pensions de base, mais les employeurs couvrent toujours pour eux l’assurance contre les accidents du travail, ce qui est bien moins cher que de payer « cinq assurances et un fonds de logement ».
« C’est pourquoi les postes de réception, d’accueil et les tâches légères en cuisine sont de plus en plus occupés par des travailleurs plus âgés », a ajouté M. Wong.
Les commerces à faible marge, qui autrefois parvenaient à peine à survivre, sont désormais en difficulté, ce qui expose de nombreuses microentreprises au risque de passer sous la barre des 5 % de marge bénéficiaire, seuil à partir duquel la fermeture est considérée comme une solution rationnelle, selon M. Li.
Risque de factures rétroactives
Pendant des années, a déclaré M. Li, la politique d’application de la loi de Pékin était claire : ceux qui ne payaient pas les cotisations d’assurance sociale ne recevraient pas de prestations de retraite.
« Le gouvernement a fermé les yeux », a-t-il déclaré. Mais avec le vieillissement de la population, refuser massivement les versements serait politiquement explosif.
« Une population âgée sans revenus entraîne une crise sociale – comme la pauvreté chez les personnes âgées, un plus lourd fardeau pour les familles, une pression sur les hôpitaux — et pourrait déclencher une instabilité économique et politique », a-t-il expliqué.

Un agriculteur (au c.) prend le métro pour vendre des légumes à Chongqing, en Chine, le 5 mars 2025. Face à la dégradation de l’économie chinoise, certains retraités se ruent vers le centre-ville pour vendre des produits locaux et gagner un maigre salaire. (Hector Retamal/AFP via Getty Images)

M. Li a souligné que les règles – concernant la date à laquelle les autorités peuvent remonter pour les paiements rétroactifs – sont malléables, car les tribunaux ne sont pas indépendants.
« En Occident, les systèmes sont dotés de freins et contrepoids, mais pas en Chine », a-t-il indiqué. « En fin de compte, c’est le PCC qui décide de tout. »
« Cela signifie que les règles sur la collecte rétroactive – qu’elle soit de cinq, dix ou même trente ans – sont arbitraires et laissées aux autorités locales. »
« C’est essentiellement comme les ‘frais de protection’ de la mafia : plus votre entreprise semble forte ou ‘grosse’, plus ils peuvent en exiger. »
Sur le papier, la répression vise à rétablir les règles, a déclaré M. Li. Cependant, en pratique, elle révèle un système sous tension : un régime qui s’empresse de combler les trous budgétaires, des employeurs qui luttent pour survivre et des travailleurs qui hésitent entre les gains immédiats et les avantages futurs.
Selon lui, les modalités de cet équilibre fourniront des informations importantes sur l’état actuel et les perspectives de l’économie chinoise.
Gu Xiaohua, Shen Yue et Ning Haizhong ont contribué à la rédaction de cet article.