Les Big Tech censurent-elles ceux qui touchent à des sujets sensibles en Chine ?

L'histoire d'une créatrice de bijoux en Australie

Par Sydney Staff
16 mars 2022 20:13 Mis à jour: 16 mars 2022 20:13

La censure présumée des Big Tech à l’égard de groupes religieux et des opposants aux Parti communiste chinois semble entraver le fonctionnement de certains commerces en ligne. Deux Australiennes ont par exemple vu leurs pages professionnelles Facebook et Instagram temporairement bloquées.

Ariel Tian, une jeune créatrice de bijoux dont la clientèle attire de plus en plus de célébrités s’est réfugiée en Australie après avoir été persécutée en Chine pour ses croyances religieuses. Après avoir révélé sur son compte Instagram qu’elle puisait son inspiration dans sa pratique spirituelle, le Falun Gong, une discipline que le Parti communiste chinois (PCC) cherche à éradiquer, son compte Instagram a temporairement été bloqué.

Ariel Tian est la fondatrice et la créatrice de Yun Boutique, dont les bijoux ont été portés par des célébrités lors de la semaine de la mode à New York deux années de suite, promus lors d’évènements liés aux Golden Globes, et vus dans des séries télévisées comme le reboot de Charmed sur WB, pour n’en citer qu’une.

Ariel Tian, fondatrice de Yun Boutique, au Metropolitan Museum of Art à New York. (Benny Zhang/yunboutique.com)

Certaines célébrités n’ont pas hésiter à se faire photographier en portant les bijoux d’Ariel Tian, comme l’acteur Keith David, lauréat d’un Emmy Award (Armageddon et Platoon), Anastasia Lin, Miss Monde Canada, Toni Trucks (SEAL Team), Lela Loren (Power) et Camren Bicondova (Gotham).

Mais au milieu de son succès croissant, Ariel Tian pense qu’elle s’est peut-être accidentellement retrouvée en désaccord avec Meta, la société mère de Facebook et Instagram.

Les ennuis ont commencé après la publication d’un message sur sa story, le 4 janvier, dans lequel elle attribuait son inspiration au Falun Dafa, une pratique spirituelle de tradition bouddhiste dont les pratiquants suivent les enseignements moraux pour vivre selon les principes fondamentaux de la vérité, la compassion et la tolérance, tout en pratiquant des exercices de méditation.

Le Falun Dafa, également connu sous le nom de Falun Gong, a été présenté au public en Chine en 1992, où il a rapidement gagné en popularité en raison de ses bienfaits pour le corps et l’esprit. Selon les estimations officielles du PCC, en 1999, il y avait 70 à 100 millions de pratiquants en Chine en 1999.

Les pratiquants de Falun Dafa lors d’une séance de pratique de groupe dans la ville de Shenyang, en Chine, en 1998. (Minghui)

Mais son immense popularité a incité le PCC à lancer une persécution brutale contre le Falun gong en 1999, dans le but déclaré de l’« éradiquer ». Depuis lors, le régime a fait peser sur les pratiquants toute l’influence de sa propagande en Chine et dans le monde.

Plusieurs millions de pratiquants du Falun Gong ont été détenus au cours des vingt années qui ont suivi. Pour la seule année 2010, selon le Falun Dafa Information Center, 1,5 à 2,5 millions ont été envoyés dans des camps de travaux forcés.

Le compte professionnel d’Ariel Tian, qui vit actuellement en Australie avec son mari, a commencé à se comporter bizarrement vers le 7 janvier. Cependant, selon la société qui l’aide à promouvoir son activité sur Instagram, la connexion a disparu au 6 janvier.

Pensant initialement que le problème était une simple erreur de login, Ariel Tian a contacté son gestionnaire de compte le 8 janvier pour demander s’il avait pu accidentellement causer la suspension. On lui a assuré qu’il n’en était rien. Par ailleurs, rien dans le backend d’Instagram ne signalait un problème avec son statut.

(Capture d’écran fournie par Ariel Tian)

Mais cela n’a pas tardé à changer, quelques heures plus tard la jeune créatrice de bijoux s’est vue signalé qu’elle avait « violé les conditions » d’Instagram.

Image de la page Instagram d’Ariel Tian le 8 janvier 2022. (Capture d’écran fournie par Ariel Tian)

« Votre compte a été désactivé pour ne pas avoir respecté nos conditions … Certaines des choses que nous n’autorisons pas comprennent la collecte artificielle de likes, de followers ou de partages, la publication de contenu répétitif ou le contact répété de personnes à des fins commerciales sans leur consentement. Si vous pensez qu’il s’agit d’une erreur, veuillez-nous le faire savoir. »

Ariel Tian a cliqué sur « veuillez nous le faire savoir » et a soumis les informations conformément aux instructions. On lui a demandé de fournir une facture liée à son commerce et une preuve que le domaine lui appartenait.

Instagram a ensuite envoyé un mail lui demandant de prendre une photo où elle tenait une attestation écrite à la main, en évidence sous son visage. Elle l’a fait et a attendu.

Elle n’a plus jamais eu de nouvelles d’Instagram, mais après avoir signalé le problème à Facebook, la société mère Meta a répondu par courriel en indiquant avoir effectué un examen de sa boutique et qu’elle était conforme à leurs politiques commerciales.

« Après notre examen, nous avons déterminé que votre boutique est conforme à nos politiques commerciales. Cette boutique est maintenant en ligne », signalait Meta.

En réalité, Ariel Tian voyait que sa page était toujours bloquée.

Ariel Tian a alors écrit un autre compte-rendu au support Facebook support en utilisant le hashtag #problemreport, Facebook a ensuite désactivé le hashtag sur sa publication, puis la boutique est redevenue active, son compte personnel a été reconnecté à la boutique, et aux tags de produits dans les posts.

(Capture d’écran fournie par Ariel Tian)

Mais la créatrice reste inquiète quant aux dommages causés à sa marque. Instagram est la première plateforme de médias sociaux pour la vente de bijoux.

Réfléchissant à ce qui aurait pu pousser Meta à fermer provisoirement ses deux comptes professionnels, Ariel Tian a envisagé diverses possibilités, notamment des posts promouvant sa marque aux Golden Globes 2019. Finalement toutes les hypothèses ont été écartées, elle soupçonne une réalité autrement plus sinistre.

Ariel Tian pense désormais que ses comptes Facebook et Instagram, qui ont gagné en popularité auprès d’une clientèle constituée de célébrités, ont attiré l’attention d’agents de contrôle Internet d’origine chinoise. En effet sur sa page, elle affirme être inspirer par sa pratique du Falun Gong dans ses créations.

« Certains Chinois peuvent être hostiles à cette pratique en raison de la propagande médiatique massive lancée par [le] Parti communiste chinois. »

À noter qu’elle ne leur en tient pas vraiment rigueur, dans la mesure où elle sait qu’ils sont endoctrinés.

« Je comprends qu’ils aient signalé mon compte. J’étais autrefois une Chinoise aveugle qui croyaient toutes les informations que le Parti communiste chinois diffusait. »

Un cas qui n’est pas isolé

Mais Tian n’est pas la seule pratiquante du Falun Dafa dont le compte professionnel a connu des problèmes.

Une compatriote sino-australienne, Jennifer Zeng, observatrice indépendante de la Chine, militante des droits de l’homme et auteure, a connu une expérience similaire sur Facebook.

Jennifer Zeng est connue pour son livre autobiographique intitulé « Witnessing History : One Woman’s Fight for Freedom and Falun Gong ». [Témoin de l’histoire : Le combat d’une femme pour la liberté et le Falun Gong, ndt.] La militante s’est illustrée en signalant sans détours les divers abus dont elle a été victime en tant que pratiquante de Falun Dafa en Chine continentale, notamment son séjour dans un centre de détention où elle a été torturée.

Selon l’auteure June Sawyers, l’ouvrage de Jennifer Zeng est « un rappel puissant et souvent déchirant de ce qui peut arriver lorsque le pouvoir gouvernemental échappe à tout contrôle ».

Jennifer Zeng est une militante des droits de l’homme et une auteure australienne. (jenniferzengblog.com)

La page Facebook de Jennifer Zeng, qui compte près de 280 000 abonnés et sur laquelle elle commente régulièrement la Chine et le PCC, a été détournée par un compte appelé FB portal en août 2020. Elle a fait appel à Facebook à de nombreuses reprises au cours des deux dernières années pour que le compte lui soit restitué, en vain.

Depuis lors, la page est remplie de vidéos vulgaires postées par le mystérieux pirate. En plus, Jennifer Zeng, qui n’a plus le contrôle administratif, n’a aucun moyen de le supprimer.

« [Les vidéos] ont sérieusement entaché ma réputation », a déclaré Jennifer Zeng à Epoch Times. « Certaines personnes m’ont accusé sous les posts de mettre en lignes ces choses horribles. Les mots sont très désagréables à lire et à entendre. Je ne peux pas les expliquer un par un, et j’ai publié des déclarations à de nombreuses reprises. »

Jennifer Zeng est perplexe quant aux raisons du silence de Facebook en réponse à ses demandes d’aide, étant donné qu’il serait très facile de vérifier sa propriété initiale.

« C’est quelque chose qu’ils peuvent facilement résoudre. Un simple coup d’œil suffit pour savoir que cette page est la mienne, [puisque] c’est moi qui la gère depuis le début… Même si quelqu’un d’autre avait volé le compte, ils pourraient facilement vérifier l’affaire et la résoudre pour moi », explique-t-elle.

Jennifer a ensuite rencontré un autre membre du personnel de Facebook par le biais de LinkedIn, et lorsqu’elle lui a demandé s’il pouvait l’aider à récupérer sa page, l’individu lui a répondu que ce serait difficile car Facebook avait reçu une instruction interne pour supprimer le Falun Dafa.

Lorsque Jennifer Zeng a demandé pourquoi Facebook censurait le Falun Dafa, l’homme a répondu : « Parce que c’est l’ère d’Internet maintenant. Beaucoup de gens dénoncent le Falun Gong, et nous ne pouvons que suivre les directives. »

Une capture d’écran de la conversation entre un membre du personnel de Facebook et Jennifer Zeng en mandarin, discutant de la politique de Facebook concernant les sujets sensibles pour la Chine comme le Falun Gong (capture d’écran fournie par Jennifer Zeng).

 

À l’époque de cet échange, en 2016, le New York Times venait de publier un article selon lequel Facebook travaillait sur un outil interne confidentiel qui lui permettrait de supprimer l’affichage de publications dans les fils d’actualité de personnes vivant dans des régions spécifiques.

Le New York Times a allégué que l’outil était conçu comme une option pour les gouvernements qui cherchaient à contrôler la plateforme et qu’il faisait partie d’un dispositif que Facebook allait mettre à leur disposition dans le cadre de ses efforts pour accéder au marché chinois.

Bien que Facebook n’ait jamais confirmé les allégations du New York Times, le PDG de Sinoinsider, le cabinet-conseil en risques politiques basée à New York, Don Tse, estime que l’article est crédible.

Don Tse, le PDG et chercheur principal de SinoInsider, a signalé à Epoch Times que son cabinet n’est plus en mesure de faire de la publicité sur Facebook depuis 2020, même par le biais d’agences tierces.

Selon le site Web du cabinet, SinoInsider est spécialisé dans l’analyse des tendances politiques dépendantes de la Chine. Le cabinet est spécialisé dans l’anticipation des projets politiques du PCC et les relations sino-américaines.

  1. Tse a également constaté qu’il ne peut pas faire de publicité sur Twitter et, bien que les publicités sur YouTube fonctionnent toujours, la chaîne est confrontée à des anomalies depuis mi-2020, notamment une baisse du nombre d’abonnés et un arrêt des notifications pour les abonnés.

Selon le consultant il y a deux possibilités : premièrement, Youtube emploie des Chinois dont la mission est de censurer certains contenus chinois ; deuxièmement, le travail de censure de YouTube a été externalisé en Chine.

La réponse des Big Tech

Un représentant de Meta a déclaré à Epoch Times que l’entreprise n’avait aucune politique visant à interdire aux gens de partager du contenu lié à la persécution du Falun Gong, des Tibétains, des Ouïghours ou des chrétiens en Chine. Selon lui, toute allégation contraire est absolument fausse.

« Nous pensons que la liberté d’expression est un droit humain fondamental, et nous soutenons le droit des personnes à exprimer un discours politique pacifique sur nos plateformes. Nous ne supprimons pas arbitrairement les discours politiques, à moins qu’ils ne violent une de nos autres normes communautaires, telles que celles relatives aux discours haineux, à l’intimidation et au harcèlement, ou au contenu violent et choquant », a déclaré le porte-parole de Meta.

Par ailleurs Meta considère ses plateformes comme des espaces où il est indispensable que les internautes puissent exercer leurs droits humains fondamentaux, de ce fait, toute allégation selon laquelle on empêche de publier librement sur Facebook est fausse, a-t-il insisté.

Il ne fait aucun doute que Facebook a fait quelques avancées initiales dans la prise en compte des droits de l’homme sur sa plateforme après avoir nommé Miranda Sissons comme directrice des droits de l’homme de Meta en 2019.

Il ne fait aucun doute que Facebook a fait quelques premières démarches pour aborder les droits de l’homme sur sa plateforme après avoir nommé Miranda Sissons comme directrice des droits de l’homme de Meta en 2019.

Miranda Sissons, dans une déclaration conjointe avec Nicole Isaac, directrice du développement stratégique international de Meta, en avril 2021, a déclaré que Facebook « soutient le droit des gens à s’exprimer librement ».

« La liberté d’expression est un droit humain fondamental et permet de nombreux autres droits. Mais nous savons que les technologies permettant la liberté d’expression, d’information et d’opinion peuvent également être utilisées de manière abusive pour diffuser la haine et la désinformation », indique le communiqué.

« Depuis 2018, nous avons des équipes dédiées couvrant le produit, l’ingénierie, la politique, la recherche et les opérations pour mieux comprendre et aborder la façon dont les médias sociaux sont utilisés dans les pays en conflit. Beaucoup de ces personnes ont une expérience de travail sur les conflits, les droits de l’homme et les questions humanitaires, ainsi que sur des domaines tels que la désinformation, les discours de haine et la polarisation. »

Cependant, après deux ans de tentatives infructueuses pour récupérer sa page par elle-même, suite à des demandes de renseignements d’Epoch Times, Meta a aidé Jennifer Zeng à reprendre le contrôle de sa page Facebook.

Dans le cas d’Ariel tian, Epoch Times a demandé auprès de Meta à ce que sa situation soit vérifiée.

Le 3 mars, Ariel Tian a été informée par Instagram, dans un message vu par Epoch Times, que la désactivation de son compte était une erreur.

Le compte a toutefois de nouveau été bloqué le 5mars avant d’être rétabli par Meta après plusieurs heures.

Mme Tian espère que ses pages professionnelles en ligne ne seront pas la cible d’une censure éventuelle car son droit à la liberté d’expression et à la liberté de croyance est la raison pour laquelle elle et nombre de ses amis ont fui le régime communiste chinois.

« De nombreuses personnes sont mortes en Chine à cause de leurs croyances et n’ont même pas eu la possibilité de s’exprimer sur leurs expériences, et d’innombrables survivants vivent avec des cicatrices mentales et physiques qui ne seront peut-être jamais guéries », témoigne-t-elle.

« [La perte] de quelques comptes de médias sociaux semble être un coût bien moindre pour faire entendre la voix de ces vies innocentes qui ont été et seront persécutées. »

Ariel Tian n’entend pas non plus changer ses sources d’inspiration pour ses créations.

« En un sens, l’art et la civilisation humaine sont un don du divin. Si la recherche du divin dans la création artistique devient ‘honteuse’, c’est une honte pour l’humanité. Si la spiritualité dans un groupe devient un ‘tabou communautaire’, c’est un grand malheur pour la communauté.

« J’ai le sentiment que si je fais des compromis, ce que je perdrai, c’est la source et le fondement de mon inspiration créative, ce qui est bien plus important que de perdre un compte d’une boite ou même de perdre une boite », conclut-elle.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.