Da Vinci, une quête d’absolu

Par Michal Bleibtreu Neeman
24 octobre 2019 16:56 Mis à jour: 19 mars 2021 01:09

Du 24 octobre au 24 février le musée du Louvre présente la figure la plus emblématique de la Renaissance, le génie, le peintre, l’autodidacte qui a su dépasser tous les érudits, Léonard de Vinci.

Léonard de Vinci, Tête de femme dite La Scapigliata © Licensed by Ministero dei Beni e delle Attività culturali – Complesso Monumentale della Pilotta-Galleria Nazionale.

Cette rétrospective, présentée à l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard en France, met en avant la place prépondérante de ce que le maître a appelé lui-même la « science divine » dans la carrière de cet homme hors du commun. Selon les commissaires Vincent Delieuvin et Louis Frank, contrairement à ce qu’on a eu tendance à croire, la peinture sera la préoccupation principale du maître, une science au service de laquelle le génie utilisera toutes les autres, l’anatomie, les mathématiques ou la géométrie ainsi que toutes ses expériences pour pouvoir insuffler la vie à ses tableaux.

160 œuvres, peintures, manuscrits, dessins et objets d’art issus des plus prestigieuses institutions européennes et américaines.

Royal Collection, le British Museum, la National Gallery de Londres, la

Pinacothèque vaticane, ont été réunis après dix années de recherches, de négociations, d’analyses et de restaurations.

Pour mieux comprendre le processus du travail du peintre, l’exposition présente les réflectographies infrarouges de plusieurs peintures de Léonard de Vinci, à l’échelle de l’œuvre originale. Ceci permet de retracer les étapes et les modifications que De Vinci a apportées à ces œuvres. Ainsi l’on découvre le dessin à travers les couches de peinture de la Joconde, de la belle Ferronnière, de la Sainte Anne ou encore de la Vierge aux Rochers.

Léonard de Vinci, Portrait d’une dame de la cour de Milan, dit à tort La Belle Ferronnière, vers 1490-1497. Huile sur bois (noyer). Paris, musée du Louvre, département des Peintures© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado.

Le propos de cette exposition est de montrer que si le génie de la Renaissance a produit très peu de tableaux c’est non pas parce que la peinture prenait une place mineure dans sa carrière mais au contraire parce qu’il était à la recherche de l’absolu et de la perfection et qu’il a ainsi consacré entre dix et vingt ans de travail à chaque tableau – qui n’ont d’ailleurs jamais été totalement achevés.

Léonard de Vinci, Saint Jérôme pénitent, vers 1480- 1490. Photo © Governatorate of the Vatican City State – Vatican Museums
Léonard de Vinci, Vierge à l’Enfant avec saint Jean Baptiste et un ange, dite La Vierge aux rochers, vers 1483-1494 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Michel Urtado.

De L’Incrédulité de saint Thomas à sainte Anne

Lionardo di Ser Piero da Vinci, Léonard, fils de Messire Piero, né à Vinci, près de Florence, dans la nuit du 14 au 15 avril 1452 et mort à Amboise le 2 mai 1519, est l’icône de la peinture européenne et l’une des plus hautes figures de la Renaissance italienne. Léonard a révolutionné la peinture en représentant pour la première fois non seulement l’apparence extérieure de la forme mais également le secret du mouvement intérieure de la nature. Aucun peintre après lui n’a réussi à dépasser sa technique.

Da Vinci a vécu ses années de jeunesse à Florence et était l’élève de l’un des plus grands sculpteurs du quinzième siècle Andrea del Verrocchio.

Andrea del Verrocchio (Florence, vers 1435 Venise, 1488), L’Incrédulité de saint Thomas, 1467-1483 Bronze aux inscriptions dorées, Florence, Orsanmichele, Museo Nazionale del Bargello © Louis Frank

Si l’exposition s’ouvre avec le chef d’œuvre de Verrocchio Le Christ et saint Thomas ou L’Incrédulité de saint Thomas, c’est que cette sculpture a joué un rôle décisif dans la quête de l’absolu de Léonard de Vinci et de son innovation picturale.

Léonard de Vinci, Déluge, Royal Collection Trust © Her Majesty Queen Elizabeth II 2019.

Au début était le mouvement

C’est par cette sculpture extraordinaire que Léonard de Vinci, apprend la contradiction essentielle du mouvement, le jeu de lumière et de l’ombre qui lui permettra de créer le relief – l’espace et la forme (Les draperies), ainsi que la complexité et les nuances des sourires doux et mystérieux qui lui sont propres.

Léonard de Vinci, Draperie Saint-Morys. Figure assise© RMN-Grand Palais (musée du Louvre_Michel Urtado

« Ces contradictions internes du mouvement saisit dans un instant transitoire sont essentiels pour la peinture de Léonard et au cœur de sa peinture religieuse, dont on retrouve l’aboutissement de son développement dans la sainte Anne », nous dit le commissaire Louis Frank.

Pour reprendre l’histoire, l’Évangile de Jean nous dit que l’apôtre Thomas n’a pas voulu croire à la Résurrection du Christ avant d’avoir vu et touché les stigmates.

Quand le Christ réapparait devant Thomas il lui dit Thomas « Me voici » et l’invite à plonger ses doits dans ses plaies. Thomas qui répond « mon seigneur est mon Dieu » reconnaît le Christ. Le Christ lui répond « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! »

Mais selon l’Évangile nous ignorons si Thomas a touché ou non. Dans l’iconographie traditionnelle on représente souvent Thomas touchant les stigmates.

Verrocchio s’attarde sur l’élan de l’apôtre vers le Christ, le mouvement qu’il porte vers la plaie du Christ et en même temps le mouvement de retenu. Un mouvement qui est à la fois lancé et arrêté, profondément contradictoire, qui a pour effet de vriller la figure de l’apôtre et qui est entièrement inscrit dans une spirale du pied de l’apôtre jusqu’au sommet du crâne du Christ dans une série d’enroulements et qui se dédouble dans une seconde spirale établissant une relation entre l’apôtre et le drapé du Christ.

« Leonard de Vinci va utiliser ce même mouvement dans sa Saint Anne. Un mouvement en direction de quelque chose et un mouvement de renoncement. » La vierge dans la Sainte Anne veut retenir Jésus d’aller vers l’agneau mais finalement elle choisit le mouvement de relâcher. Elle accepte finalement le sacrifice de Jésus. Le désir d’empêcher Jésus d’aller vers la mort et celui de le laisser accomplir son destin sont inscrits en est un seul et même mouvement.

Le sourire

Le monde est tissé de mouvement comme il est tissé d’ombre et de lumière, de réalités contradictoires. Les sentiments, les sourires de Léonard sont aussi complexes. Le sourire est un mouvement né de différents états.

Léonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus, dite La Sainte Anne © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) René-Gabriel Ojéda

Nous retrouvons là encore cette influence de Verrocchio. En observant le Saint Thomas, nous le voyons d’un côté souriant, mais en se déplaçant et en regardant l’autre côté de la figure nous constatons que le visage est plutôt triste. Thomas est d’abord dans l’agitation, le trouble spirituel dans le doute mais lorsque le Christ apparaît devant lui il est alors submergé de joie par sa présence, mais bientôt un troisième état arrive – la déception – quand le Christ lui dit « Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! », car Thomas a demandé à voir, donc il ne pourra partager cette béatitude infinie, il restera à jamais celui qui aura manqué de foi. Par ce fait nous retrouvons le doute, puis la joie puis à nouveau la déception. On retrouvera ces mouvements et composants contradictoires dans toutes les œuvres de Léonard.

Pour le commissaire Vincent Delieuvin, la Sainte Anne représente la synthèse des recherches scientifiques et artistiques du peintre. Léonard a commencé ce tableau en 1503, à Florence et en 1519, en France, il continue encore à rajouter des coups de pinceau, laissant certaines parties inachevées et notamment le paysage.

« Tout est à admirer dans ce tableau», selon le commissaire, « la stratification rocheuse, la transparence de l’eau… On y peut retrouver le paysage le plus fascinant par sa grandeur par ses éléments, par le mouvement de l’eau autour de la montagne ». Un paysage qui rappelle la création du monde, la formation de la terre et l’érosion du temps. Il maitrise la perspective atmosphérique grâce aux couches de glacis qui brouillent les contours et créent une profondeur. Cette même technique caractérise la Joconde qu’il commence également en 1503 laissant là aussi le paysage somptueux inachevé. La Joconde sera achetée par François 1er en 1516, et entrera dans les collections royales françaises.

Le visiteur pourra vivre une rencontre en tête à tête avec La Joconde par une expérience de réalité virtuelle.

La Joconde et les sourires de Léonard

Léonard de Vinci, La Joconde, vers 1503-1516 @Domaine public
Réflectographie infrarouge de La Joconde. On voit que le dessin original comportait très peu d’éléments de l’arrière plan. Ils ont été réalisés à main levée directement à la peinture. (R.B., Epoch Times)

« Les trois personnages dans la Saint Anne, Sainte Anne, la Vierge et l’enfant représentent la synthèse des travaux du peintre sur la réalité et l’expression humaine », nous dit Vincent Delieuvin. Nous retrouvons dans ce tableau trois sourires différents. La Sainte Anne et Jésus ont un sourire très marqué. C’est la vierge qui a le sourire le plus subtil. « C’est un sourire entre mélancolie et joie », celui qui connaît le sort de son fils, qui sait qu’il sera crucifié mais malgré tout décide de l’accompagner vers son destin. C’est aussi celui qui est le plus difficile à peindre parce qu’il est entre tristesse et joie. Selon Delieuvin, ce tableau est sans doute le plus complet et le plus ambitieux du peintre.

Le sfumato

Le caractère sacré du sourire de la Vierge ainsi que celui plus mystérieux de La Joconde, sont dus, en large partie, au fameux effet de sfumato, inventé par Léonard au sommet de sa technique picturale. La superposition des couches de glacis permet de créer des transitions imperceptibles entre ombres et lumières et « de donner l’effet des vibrations à la matière ». Cet effet donne du relief mais surtout permet d’animer les expressions. C’est le sfumato qui a octroyé une expression fascinante à la Sainte Anne et qui a immortalisé le sourire mystérieux de La Joconde.

Selon Arnaud Hu, professeur de histoire de l’art, le sfumato a été inspiré par l’effet des vitraux des églises. Cette technique aurait été influencée par l’intérêt que portait le peintre pour la nouveauté apportée à Florence par la peinture flamande – portrait de trois quarts et technique de l’huile. Il s’agit des couches fines d’huile avec très peu de pigments qui créent des couches transparentes.

Selon une théorie du 13e siècle explique Arnaud Hu, « le rôle des vitraux dans les églises était de transformer la lumière physique en lumière divine, autrement dit de faire entrer la présence divine dans les églises. En peinture la technique du glacis s’inspire de la même idée ». La lumière qui émane des personnages semble surnaturelle car elle ne vient pas d’une source extérieure mais de l’intérieur.

Infos pratiques :

Léonard de Vinci, Musée du Louvre de 9 h à 18 h, sauf le mardi. Nocturne mercredi et vendredi jusqu’à 21 h 45. Nocturnes supplémentaires les samedis et dimanches

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