Djibouti : l’impasse Guelleh

21 septembre 2015 16:03 Mis à jour: 18 octobre 2015 16:09

Djibouti, un petit pays avec un président qui voit grand. C’est cette vision qui a fait de cette petite république de la corne d’Afrique – qui compte un petit million d’habitants – le pays où le PIB par tête est le plus élevé d’Afrique de l’Est. Arrivé au pouvoir en 1999, l’homme fort du pouvoir local n’a cessé d’œuvrer pour que Djibouti bénéficie au mieux de sa situation géographique – à la croisée des mondes, à quelques encablures du Yémen et faisant la jonction entre le Golfe d’Aden et la Mer Rouge. Seulement, l’ambition, tant personnelle que nationale d’Ismaël Omar Guelleh, semble tourner à la folie des grandeurs.

Quatrième mandat, grands – et coûteux travaux, association douteuse avec les banques d’investissement chinoises, autant de dérives qui montrent que l’homme fort de Djibouti semble être en train de perdre pied.

Djibouti se trouve sur la liste des pays qui, en 2016, vont se livrer au rituel d’une élection présidentielle – élection d’autant plus importante qu’elle était considérée comme la première succédant à la fin de la dynastie Guelleh. La situation est assez épineuse, car le président sortant continue de faire planer le doute quant à sa candidature. « Encore deux ans et je m’en irai, mission accomplie », avait-il lui-même confié à l’hebdomadaire français Jeune Afrique en avril 2014.

Aujourd’hui, rien ne semble moins sûr. La question de son maintien au pouvoir est d’autant plus prégnante que la Constitution, qu’il a amendée en 2010, ne limite plus le nombre de mandats présidentiels. Dans ces conditions, même s’il louvoie, Ismaël Omar Guelleh n’exclut pas de briguer un quatrième mandat. Feignant la contrainte et le sens du devoir inaccompli – « pas d’alternative viable », dit-il – Ismaël Omar Guelleh semble bel et bien préparer le terrain pour cinq années supplémentaires, alors qu’il se trouve déjà à la tête de l’État depuis pas moins de 17 ans, dans un pays qui a fêté le 27 juin dernier le 38e anniversaire de son indépendance.

Le maintien d’hommes d’État au pouvoir n’est pas en soi dommageable ; rappelons-nous qu’en France, le Général de Gaulle – encore aujourd’hui largement considéré comme un héros national – a passé pas moins de 11 années à la tête de la République (13 si l’on compte sa présidence du Gouvernement provisoire de la République française de 1944 à 1946).

Si la loi n’est qu’un cadre pour protéger une population, elle ne saurait supplanter la volonté populaire selon le principe même de la démocratie, lorsque celle-ci peut s’exprimer librement. Mais dans le cas de Djibouti, la liberté politique n’est pas toujours réellement assurée, ce qui pose problème. Depuis que l’État a obtenu son indépendance de la France en 1977, la vie politique a toujours reposé sur un système de parti unique, malgré l’adoption, en 1992, d’une constitution prévoyant un multipartisme partiel.

De profondes inégalités

Si de loin, la situation économique du pays semble globalement favorable, notamment grâce aux importantes entrées dues aux locations de bases militaires à plusieurs pays occidentaux, de profondes inégalités persistent. Sur le terrain, la situation est des plus rudes : taux de chômage global de 60 % alors que celui des jeunes (18-25 ans) est de 70 %. Presque 80 % de la population vit dans la pauvreté.

Il existe aujourd’hui à Djibouti un sérieux problème d’énergie, de logement, d’infrastructure et d’accès à l’eau. À cela, s’est ajoutée récemment une situation qui se dégrade de plus en plus dans le domaine de l’éducation et la santé. Dans le classement de Tranparency International (principale ONG de la société civile de lutte contre la corruption), le pays se situe à la très déshonorante 107e place sur un classement de 170 pays. L’Indice de Développement Humain (IDH), lui, place Djibouti au 170e rang sur 187 pays.

Pour la dernière décennie, M. Guelleh a beaucoup compté sur l’aide de l’Amérique et de la France – qui a également une forte présence militaire à Djibouti – pour maintenir la stabilité du pays. Mais à la suite de critiques du Congrès américain sur le leadership de plus en plus autocratique de M. Guelleh, le chef de Djibouti a négocié une nouvelle alliance stratégique avec Pékin. La Chine négocie actuellement l’implantation d’une base militaire à Djibouti. Alors que « les discussions sont en cours », comme l’affirme M. Guelleh, sur le plan commercial, les relations bilatérales vont bon train.

Risque de surendettement

Par orgueil, ou pour des motifs électoraux, Ismaël Omar Guelleh s’est lancé dans une politique de grands travaux fastueux. Le FMI l’a mis en garde contre le risque de surendettement – et le représentant de l’UE à Djibouti, Joseph Silva, a exprimé une inquiétude similaire. En cause : les prêts non concessionnels de l’Exim Bank of China (EBC) inclus dans le financement des grands chantiers d’infrastructures entrepris.

Ainsi, la construction de la voie ferrée reliant la frontière éthiopienne au port de Doraleh a fait l’objet d’un prêt de 505 millions de dollars – avec un remboursement prévu sur dix ans, sans période de grâce, et à un taux d’intérêt supérieur à 5 %. Non seulement ces conditions sont très désavantageuses, mais ce sont également des entreprises chinoises qui vont prendre les travaux en main, assurant des retombées minimales à la population, si retombées il y a.

Cela a valu à Ismaël Omar Guelleh de virulentes critiques, l’accusant de brader son pays à l’empire du Milieu. Rappelons que les financements de la Banque mondiale (BM) sont faits à un taux d’intérêt de 2 %, avec l’étalement des remboursements sur trente ans et une période de grâce de plusieurs années permettant de ne commencer le gros du remboursement qu’une fois que le projet est rentable. Précisons également que la BM est plus regardante sur les projets dans lesquels elle investit. Une telle politique d’endettement aveugle est particulièrement irresponsable compte tenue de la situation économique de Djibouti. Il s’agit d’un pays de services (son secteur tertiaire représente 82 % du PIB), d’autant plus vulnérable au surendettement public car l’État est le principal employeur du pays.

Cette dérive horrifie l’opposition, qui rue dans les brancards tant que possible. La situation a atteint un point de blocage lors des législatives de 2013, quand la majorité présidentielle emporte 61,5 % des voix mais près de 85 % des sièges de l’Assemblée nationale (soit 55 sur 65) du fait du système électoral. L’Union pour le salut national, la coalition des partis d’opposition, conteste le résultat de ces élections.

Elle avait alors décidé que ses élus ne siègeraient pas et instaura un « Parlement parallèle ». Un accord-cadre entre le gouvernement et l’opposition a été signé en décembre 2014 pour sortir de l’impasse. Mais l’opposition se plaint d’une situation qui n’avance pas. L’USN dénonce la mauvaise volonté de l’exécutif et la non application de cet accord. Et comme l’histoire nous l’a montré, lorsqu’un pouvoir vieillissant fait preuve de cette mauvaise volonté, sorte de despotisme paresseux, c’est que le temps est venu pour l’alternance. 

Consultant en géopolitique et relations internationales, possédant une forte expertise Afrique, Philippe Escande intervient essentiellement dans ce périmètre, où il aide les entreprises internationales à acquérir une vision à la fois globale et précise de leur environnement-métier, ainsi qu’à mesurer les risques sur le patrimoine humain et économique.

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