Driss Ghali : « Le XXIᵉ siècle sera celui de l’identité »
ENTRETIEN - Son parcours personnel l’a conduit à « tutoyer la folie ». De cette traversée intérieure est née une conviction, nourrie de ses réflexions : « Le XXIᵉ siècle sera identitaire ». Dans « L’identité d’abord. Lettre ouverte d’un immigré aux Français qui ne veulent pas disparaître », Driss Ghali explore la part intime et la part collective de ce mot galvaudé, relie l’histoire des peuples à la psychologie des individus et interroge le concept d’assimilation, qu’il juge, à grande échelle, illusoire autant pour les nations que pour les hommes.
Epoch Times : Pourquoi, selon vous, la question de l’identité s’impose-t-elle comme une matrice essentielle de notre époque ?
Driss Ghali : Les grands mouvements migratoires des dernières décennies ont créé des dizaines de millions de binationaux et de citoyens d’origine étrangère qui, d’une manière ou d’une autre, se cherchent une identité. Cela est vrai pour le Mexicain de Los Angeles comme pour le Pakistanais de Dubaï ou encore le Marocain de Lille-Sud. L’humanité est déracinée et le déracinement lui rappelle qu’elle a une identité.
Quand on est chez soi parmi les siens, on ressent l’identité comme une évidence tacite, allant de soi, mais lorsque l’on est chez les autres, l’identité se manifeste comme un besoin urgent, une sorte de question à laquelle il faut répondre à chaque instant. C’est comme si quelqu’un vous criait dessus à quelques centimètres du visage : impossible de l’ignorer.
L’identité, sa définition et sa reconfiguration éventuelle, est une urgence chez l’immigré. Elle l’est aussi chez l’autochtone qui découvre, à l’occasion du contact avec l’immigré, qu’il a lui-même une identité. Immédiatement, il se demande si elle est en danger et si elle risque d’être mise en minorité dans un futur plus ou moins proche.
Tout ce que je viens de décrire se passe d’abord dans l’esprit de chacun, au niveau des sensibilités individuelles, dans l’intime au fond. Mais, inéluctablement, ce processus devient politique car l’énergie émotionnelle qui en découle est extrêmement puissante. La politique de demain en Occident sera largement fondée sur les questions d’identité, celles des diasporas et celles des peuples historiques.
En toile de fond, il y a un mouvement identitaire mondial, une sorte de réveil de l’identité des peuples qui avaient honte d’assumer leur caractère exceptionnel.
Dans votre ouvrage, vous revenez sur votre « périple de vie », que vous décrivez comme un voyage « dangereux » vous ayant « fait tutoyer la folie ». Vous livrez un récit profondément intime, né d’un constat que « les livres de développement personnel s’adressent à un homme générique qui n’existe pas ». Vous placez ainsi la question de l’identité individuelle au cœur de votre réflexion sur la notion d’identité collective, là où une partie de la droite tend souvent à expliquer la question identitaire sous le seul angle des peuples et la gauche woke à sacraliser certaines identités particulières au mépris de l’identité nationale. Comment, selon vous, ces deux dimensions, l’identité individuelle et l’identité collective, s’articulent-elles ?
L’identité est ce qui fait de moi quelqu’un d’unique, mais aussi ce qui fonde mon appartenance à un groupe et non à un autre. L’identité a donc deux dimensions, l’une narcissique et l’autre tribale et, dans le meilleur des cas, nationale.
L’identité, c’est l’air de famille que l’on a en partage avec ceux qui font partie de notre groupe, de notre milieu, de notre peuple. Cet air de famille va au-delà des traits physiques ou des attitudes : il couvre l’inconscient collectif. Cela signifie que, que je le veuille ou non, je suis connecté à une immense toile invisible qui structure les rêves, les peurs, les réflexes et les aspirations de gens que je ne connais pas. Il y a un inconscient collectif corse, français, marocain, brésilien… Il est, en quelque sorte, le destin des peuples et des civilisations. Il les amène à exprimer certains avantages compétitifs et à maintenir en vie certains handicaps.
Vous le ressentez instinctivement si vous passez du temps immergé dans une culture étrangère. Ainsi, les zones d’excellence et de défaillance des Français sont différentes de celles des Marocains. Les premiers vont briller par leur discipline et leur honnêteté individuelle alors que les seconds se distingueront par leur rusticité et résilience. À l’inverse, les Français auront un rapport dysfonctionnel avec l’argent et la religion tandis que les Marocains seront souvent incapables d’envisager la notion de bien commun.
Se connaître soi-même, c’est aller à la découverte de ce que l’on a reçu en héritage : cette identité collective. Il ne faut pas seulement la connaître mais en faire quelque chose. La mobiliser pour exprimer son identité individuelle dans sa plénitude, c’est-à-dire accomplir sa mission individuelle. Lors de cet exercice, l’on rentre dans un compartiment secret au fond de son esprit où se trouve la salle des machines : là où résident nos qualités les meilleures et nos défauts les plus inavouables. Ils sont à nous, complètement à nous en tant qu’individus.
Le secret du succès n’est pas de les ignorer mais au contraire de les illuminer et de faire la paix avec eux. Accepter sa part sombre et lui donner un rôle est libérateur : c’est la véritable libération selon moi.
Dans le livre, je raconte comment je suis parvenu à ces conclusions. Le cheminement a été chaotique et très douloureux, car je suis rentré dans ce compartiment secret par un grand accident de la vie. Je donne aux lecteurs des clés pour voyager au fond d’eux-mêmes d’une manière plus apaisée.
Vous en appelez au Français d’origine à se réassimiler à sa propre identité, tandis que vous invitez le Français d’adoption à s’interroger sur son degré d’assimilation. En vous appuyant sur votre propre expérience, vous écrivez ne pas être certain qu’une identité puisse totalement effacer l’identité d’origine, et mettez en garde contre la tentation de devenir des « Français de contrefaçon » : des individus, selon vos mots, « dépourvus aussi bien des qualités françaises que des qualités arabes ou africaines ». Vous ajoutez : « Il vaut mieux être un grand Marocain ou un grand Algérien qu’un Français de pacotille. Il vaut mieux être un étranger en France, noble de caractère et bien dans sa tête, qu’un Français de pacotille. » Vous vous définissez d’ailleurs comme « un Arabe de culture française ». En quoi le modèle assimilationniste tel qu’il est aujourd’hui prôné relève-t-il, selon vous, de l’illusion ?
Quand on comprend que l’identité est plus subie que choisie, on se libère de l’illusion de l’assimilation.
Pour assimiler quelqu’un à une autre identité, il faut faire tout le travail que je viens de décrire, et au carré. Cela veut dire non seulement que la personne se connaisse parfaitement – certains mettent une vie entière pour y parvenir -, mais aussi qu’elle puisse se reprogrammer pour acquérir les zones d’excellence et les zones de défaillance de l’identité à assimiler. Mission impossible pour le commun des mortels. Mission périlleuse également : on peut devenir fou ou déséquilibré durant le processus.
Bien sûr, l’assimilation se produit tous les jours. Mais elle est limitée à une petite minorité qui, par son extrême agilité morale et sensorielle, parvient à se glisser dans un moule qui n’était pas le sien à la naissance.
Comme personne ne veut accepter cette vérité, on continue à faire semblant que l’on va transformer des Nord-Africains en Français en une, deux ou trois générations. Pure perte. Ce que l’on obtient en vérité, ce sont des mauvais Marocains et des mauvais Français. Des Algériens déplorables et des Français déplorables. Je veux dire qu’ils sont dépourvus de ce qui fait la grandeur du Nord-Africain et de ce qui fonde la grandeur du Français. Il s’agit d’un crime de masse, commis en silence au nom des droits de l’homme et du vivre-ensemble, et dont l’aboutissement est la création d’individus médiocres, quelconques et sans brio.
Imaginez quelqu’un qui est né pour courir le 100m que l’on oblige à courir le marathon. Il sera mauvais, il passera à côté de sa vocation et il a toutes les chances de reporter son aigreur sur l’ensemble de la société qu’il rendra responsable de son échec.
Vous affirmez que « chaque peuple possède une fréquence mentale et affective particulière, et donc un système politique particulier ». Cela signifie-t-il que, selon vous, le modèle de la démocratie libérale peut aller à rebours de l’identité profonde de certains peuples, et par conséquent de leur bien-être collectif ?
Bien entendu ! On rend un peuple malheureux quand on le gouverne contre ses propres neurones. Chaque système de gouvernement est une réponse apportée à la question de base de toute société : comment me protéger contre mes démons et contre l’extérieur ? La peur est le fondement de la politique, car l’être humain, pris seul ou dans un groupe, est dangereux.
Chaque peuple a ses peurs, forgées le long de son cheminement historique et inscrites dans son inconscient collectif.
Prenez le Marocain : il a peur de la fitna, c’est-à-dire de la dislocation sociale et politique qui se traduit par la prolifération des coupeurs de route, des petits chefs tribaux qui pratiquent l’extorsion. Donc le système marocain, pour être conforme aux besoins psychiques de sa population, devra toujours projeter la force et la fermeté, à la limite de la brutalité.
Le Marocain n’aime pas l’égalité ; il pratique plutôt l’inégalité. Cela s’explique par son passé tribal et régionaliste. Jusqu’aux années 1960, il n’y avait pas beaucoup de routes et donc d’occasions de se mêler les uns aux autres, les gens vivant une vie limitée à leur vallée ou à leur ville. Dans ce sens, il y a toujours eu une préférence locale ou régionale et non pas nationale. Une telle vision du monde empêche l’égalité qui est le fondement de la démocratie libérale.
Je prends l’exemple des Marocains, car j’en suis, mais une analyse similaire peut être menée sur plusieurs peuples.
Vous soutenez que l’identité « ne se résume pas à la race », mais qu’« on ne comprend rien si l’on ignore la race ». En quoi, selon vous, cette dimension, devenue à la fois taboue dans le débat public et instrumentalisée par l’extrême gauche comme par une partie de la gauche, vous paraît-elle constituer un « affluent essentiel » de l’identité ?
Rappelez-vous, l’identité, c’est l’air de famille. Or, l’air de famille repose sur une proximité génétique au sein d’une même famille, n’est-ce pas ? La même proximité génétique relie les familles aux peuples et les peuples à une race donnée.
La race est une évidence génétique qui saute aux yeux. On n’a pas besoin d’un diplôme en biologie pour la remarquer. Elle est là. Elle témoigne d’une histoire commune qui a fait vivre ensemble des individus et des peuples sur la longue durée et dans un isolement relatif ou total par rapport à d’autres.
Les Chinois, les Japonais ou les Vietnamiens, par exemple, sont ce qu’ils sont, car ils n’ont pas été mélangés aux Noirs ou aux Arabes. L’isolement a conduit à une préservation de l’identité sur la longue durée. La race est donc comme le lit d’une rivière où se sont déposées, au fil du temps, les traces du passé. Elle est la grande base de données où l’on stocke l’inconscient collectif d’un ou plusieurs peuples.
L’identité française s’appuie sur un peuplement blanc, très homogène dans l’histoire, en tout cas depuis la chute de l’empire romain, grosso modo. Il y a une race française qui participe d’une race blanche européenne.
Cela dit, être blanc ne suffit pas pour être français car on ne sort pas prêt et fini du ventre de sa mère. Car l’identité est aussi un vœu, un projet, une ambition. Il faut décider d’être français et se hisser à la hauteur de l’identité française. Être français c’est assumer la méritocratie, le culte de l’excellence, la solidarité et la redistribution qui découlent de la très chrétienne notion de charité. À ce titre, je vois ainsi beaucoup de Français de souche, blancs de chez blancs, moins Français que des Noirs ou des Arabes qui pratiquent les valeurs françaises.
Enfin, il faut dédramatiser la notion de race. Il existe au Brésil une seule race composée de blonds, d’indiens, de noirs et de métis. Le descendant d’Allemands de Curitiba aura des réflexes en commun avec le Noir de Bahia. Les deux partageront la même résilience et la même obsession de l’hygiène corporelle, et pêcheront par la même passivité devant l’ultraviolence et la corruption. Au-delà des apparences, ils partagent des gènes en commun en vertu du métissage. Et même quand on est en présence de « pur-sang », ils sont connectés à l’inconscient collectif dont le substrat est la race brésilienne, suffisamment éloignée de l’Europe et de l’Afrique pour s’en différencier profondément et durablement.
Enfin, s’agissant du rôle de la gauche dans la réhabilitation de la race, celle-ci lui a redonné de manière contre-intuitive droit de cité après une longue sortie de scène après la Seconde Guerre mondiale. SOS Racisme, Black Lives Matter et tous les mouvements dits antiracistes sont en réalité les vecteurs de l’affirmation de la race noire, entre autres.
Je trouve cela positif car la vérité est toujours bonne à prendre, surtout quand elle nous réconcilie avec la nature humaine. Malheureusement, la gauche a tout gâché en associant la notion de fierté à la race. Il n’y a pas à être fier d’être noir, blanc ou latino. L’on est fier d’un bilan, pas d’un fait naturel. La gauche a contaminé la question de la race en l’hystérisant. Elle a aussi fait de l’antiracisme une sorte de culte laïc qui n’admet aucune discussion ni nuance. Or, nous avons besoin de réinvestir la race, d’en comprendre les tenants et les aboutissants, pas pour en être les prisonniers, mais pour en tirer le meilleur.
Sur un autre sujet, vous dénoncez la domination contemporaine de ce que vous appelez la « dictature des enfoirés » et estimez que la France, comme une grande partie du monde, est désormais « colonisée » par cette catégorie d’individus. Selon vous, la difficulté à identifier « l’origine du mal » tiendrait à une obsession du « savoir universitaire qui veut tout expliquer selon Marx et Hegel, Weber et Friedman ». Pouvez-vous expliquer en quoi cette typologie du monde permettrait, selon vous, une lecture plus pragmatique des maux qui frappent la France et l’Occident ?
Les faits récents me donnent raison. Des médiocres sans noblesse mais extrêmement ambitieux et déterminés sont en train de saccager la Ve République à coups de dissolutions malheureuses et de trahisons déshonorantes.
Ces mêmes « enfoirés » sont à l’œuvre depuis bien longtemps. On leur doit l’explosion de la dette française, le grand déclassement du pays et l’extension illimitée du domaine de la violence urbaine. Ils sont partout, en politique, à l’université, dans le CAC 40…
La France va mal à cause de la prolifération des enfoirés et du recul concomitant des profils les plus nobles et les mieux préparés. Changer d’institutions ou de dogme économique et politique ne servira donc à rien tant qu’ils sont en place. Ils sont capables de ruiner la meilleure idée qui soit. Telle est leur vocation. Telle est leur identité !
Il faut avant tout opposer une identité forte de vainqueurs et de conquérants à ces identités minables et toxiques, mais on perd notre temps à nous écharper sur les notions de libéralisme, de socialisme ou même d’islamisme.
Je ne balaye pas d’un revers de main le facteur idéologique. Je souligne simplement que les meilleures idées ne se défendent pas toutes seules. Elles ont besoin de champions. À qui doit-on le redressement de l’Angleterre durant les années 1980 ? À la pertinence des principes du libéralisme économique ou bien à la personnalité hors-pair de Margaret Thatcher ? Vous connaissez la réponse : il a fallu d’abord que Mme Thatcher s’impose face à une légion d’incompétents qui avaient ruiné le Royaume-Uni avant de pouvoir accomplir ses réformes libérales.
L’identité d’abord : Lettre ouverte d’un immigré aux Français qui ne veulent pas disparaître, Driss Ghali (L’Artilleur), 19€.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
Etienne Fauchaire est un journaliste d'Epoch Times basé à Paris, spécialisé dans la politique française et les relations franco-américaines.