Espagne : L’impôt sur les successions est de retour - Bruxelles et la Banque d’Espagne réclament un durcissement de la fiscalité sur les héritages et les donations
Harmonisation à la hausse ou pillage de l'épargne ? Le bras de fer entre l'UE, la Banque d'Espagne et les communautés autonomes.

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Les recommandations de la Banque d’Espagne et de la Commission européenne ont relancé le débat sur l’impôt sur les successions et les donations (ISD). Cet impôt pourrait bientôt être durci afin d’« harmoniser » son application et d’accroître les recettes.
Sous couvert de « résilience fiscale » et de « définanciarisation » du logement, ces organismes suggèrent de réduire les abattements régionaux et de réorienter les gains hérités vers les fonds publics, ce que les critiques perçoivent comme une atteinte à la propriété privée et aux efforts familiaux.
« Les impôts sur la fortune ont le potentiel de renforcer l’efficacité du système fiscal »
Avec des recettes actuelles de 3,2 milliards d’euros — soit à peine 0,23 % du PIB — la possibilité de les porter à 10,2 milliards (0,74 % du PIB) suscite l’inquiétude : cela ne résoudrait en rien le problème de la dette élevée du pays (qui avoisine 103 % du PIB) et découragerait en outre l’épargne au profit des spéculateurs.
La Banque d’Espagne a ouvert le débat en juillet, avec la publication dans son Bulletin économique du troisième trimestre 2025 de l’article « L’impact fiscal potentiel de certaines réformes hypothétiques de l’impôt sur les successions et les donations ».
S’appuyant sur son propre modèle de micro‑simulation, le rapport estime que la suppression des abattements régionaux et l’application du barème national de référence pourraient tripler les recettes fiscales.
« Les impôts sur la fortune ont le potentiel de renforcer l’efficacité du système fiscal », indique le document.
Il ajoute : « Augmenter l’imposition sur la fortune permettrait de renforcer la résilience fiscale sans pénaliser autant le travail ou la consommation ».
La proposition de l’organisme vise des régions comme Madrid, où, par exemple, un héritage de 200 000 euros entre parents et enfants ne coûte que 1 586 euros grâce à un abattement de 99 %. Dans les Asturies, en revanche, l’impôt s’élève à 103 000 euros.
Les partisans d’une harmonisation de la charge fiscale au niveau national soutiennent que cet écart encourage le « tourisme fiscal interne », les familles optant pour des donations de leur vivant afin d’échapper à la charge fiscale.
L’impact de la hausse des droits de succession sur les ménages
Toutefois, le rapport passe sous silence l’impact de la hausse des droits de succession sur les ménages. L’an dernier seulement, 54 837 héritages ont été renoncés, soit 15,7 % du total.
Ce phénomène s’explique principalement par l’incapacité des héritiers à payer ces droits. En fin de compte, des spéculateurs profitent de la situation pour acquérir ces biens à des prix dérisoires.

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Pour des économistes comme Juan Ramón Rallo, l’impôt sur les successions n’est rien d’autre qu’un « vol injuste et inefficace ».
« Le patrimoine légué provient de revenus déjà imposés », souligne M. Rallo, rappelant que le défunt a déjà payé l’impôt sur le revenu, les plus‑values et l’impôt foncier.
Le doyen de l’université Hespérides fait également valoir que les recettes fiscales sont relativement insignifiantes, alors que les dommages sociaux sont considérables (renonciations qui fragmentent les familles et les entreprises).
C’est pourquoi il propose son abolition, comme dans neuf pays de la zone euro (Autriche, Chypre, Estonie, Lettonie, Malte, Roumanie, Slovaquie et Suède), où cet impôt n’existe pas.
« L’impôt sur les successions est en perte de vitesse. Mais la gauche, surtout l’extrême gauche, l’applaudit », confirme Carlos Rodríguez Braun, économiste et ancien professeur d’histoire de la pensée économique à l’université Complutense de Madrid.
Bruxelles amplifie la pression
Le 20 novembre, la Commission européenne a reçu les recommandations du Conseil consultatif du logement (Housing Advisory Board), créé en juin dernier dans le cadre du Plan pour le logement abordable.
Présidé par Eamon Ryan, ancien ministre irlandais, le rapport de 40 pages préconise des réformes fiscales dans les 27 États membres afin de lutter contre la « financiarisation » de l’immobilier.

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« Des modifications des règles relatives à l’impôt sur les successions pourraient garantir qu’une partie des plus‑values réalisées grâce à l’augmentation de la valeur des biens immobiliers soit réaffectée au financement de l’offre de logements plus abordables à l’aide de fonds publics », indique le document remis au commissaire Dan Jørgensen.
Le conseil propose des ajustements à l’ISD afin de canaliser les gains hérités vers un million de logements abordables par an.
Il inclut des taxes sur la valeur des terrains (taxant le terrain, et non le bâtiment, afin de décourager la spéculation) et des pénalités pour « accaparement » de terrains non construits.
Augmentation des loyers et prix du logement dans l’UE
Entre 2010 et 2024, les prix des logements dans l’UE ont augmenté de 55,4 % et les loyers de 26,7 %, tandis que les salaires n’ont progressé que de 20 %.
Bien qu’il ne cite pas le cas de l’Espagne, l’appel du conseil à la « convergence fiscale » coïncide pleinement avec les suggestions de la Banque d’Espagne.
Résistance des régions
Le débat enflamme les régions.
Madrid, sous Isabel Díaz Ayuso (PP), a étendu en février les abattements de 50 % pour le groupe III (frères, oncles, neveux) et de 100 % pour les donations inférieures à 1 000 euros, tout en maintenant les 99 % pour les héritiers directs.
Ces mesures, à contre‑courant de Bruxelles et du gouvernement espagnol, ont été saluées par des économistes tels que Daniel Lacalle, qui a qualifié l’impôt sur les successions d’« impôt sur la mort ». Il avertit également que l’ISD profite aux élites, tout en pénalisant la classe moyenne.
« Il oblige de nombreuses familles à renoncer à leur héritage parce qu’elles ne peuvent pas payer, le bien immobilier est conservé par l’administration et mis aux enchères. Et qui l’achète ? Les riches », explique‑t‑il.
« L’impôt sur les successions est l’un des plus régressifs qui soient. Il ruine des milliers de familles », conclut‑il.
Le coût humain
L’ISD n’est pas théorique. En 2024, il a entraîné plus de 50 000 renonciations.
Les familles moyennes, avec des héritages de 200 000 à 300 000 euros en biens immobiliers, sont souvent confrontées à des évaluations cadastrales gonflées, les obligeant à vendre en plein deuil.
La situation est aggravée dans des régions comme les Asturies ou l’Estrémadure, où l’imposition est plus élevée. Dans ces régions, un héritage de 800 000 euros coûte environ 200 000 euros.

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