Fiasco ferroviaire : les TER transfrontaliers à 400 M€ de la région Grand Est ne peuvent pas rouler en Allemagne
Un fiasco ferroviaire touche la région Grand Est. Les 30 nouvelles rames TER transfrontaliers, fraîchement acquises pour 400 millions d’euros, ne correspondent plus aux normes de sécurité allemandes.

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Photo: STEPHANE MOUCHMOUCHE/Hans Lucas/AFP via Getty Images
Pensés pour assurer la connectivité entre la France et l’Allemagne, ces trains, censés symboliser la coopération transfrontalière, restent aujourd’hui coincés côté français.
Ce revers technique, qui s’apparente à un fiasco ferroviaire, indigne élus et usagers. Pour une région toujours plus tournée vers l’espace rhénan, cette affaire soulève de profondes interrogations sur la gouvernance de grands projets européens et la coordination des réglementations.
Normes de freinage, le détail qui bloque tout
Tout beaux, tout neufs, les 30 TER sont aujourd’hui interdits de circulation sur les rails allemands. Pourtant, leur conception avait associé ingénieurs français et allemands, dans l’espoir de répondre aux futurs besoins des liaisons entre Metz, Strasbourg, Sarrebruck ou encore Offenburg. « Nous étions loin de penser que ces trains n’allaient pas être homologués à cause d’un changement au niveau de l’État central allemand », admet Thibaud Philipps, vice-président chargé de la mobilité pour la région Grand Est, sur Alsace.fr.
L’incompatibilité, révélée à la livraison, porte sur les dispositifs de freinage d’urgence. Entre la commande des rames en 2019 et leur mise en service prévue à l’été 2025, une modification de la réglementation allemande a resserré la durée minimale de freinage exigée. Cette évolution, jugée « minime » par certains responsables, suffit à rendre ces TER non conformes, conditionnant leur homologation à des tests et ajustements complémentaires.
Un dossier d’homologation attend désormais que les autorités fédérales allemandes statuent. Pendant ce temps, les trains restent cantonnés à un usage strictement français, privant les nombreux usagers frontaliers d’un service promis et attendu.
Les usagers frontaliers, premiers lésés
Sur les quais de Forbach ou de Sarreguemines, la polémique laisse un goût amer aux habitués des trajets entre la Lorraine, l’Alsace et l’Allemagne. « Il faut qu’ils s’assoient à la même table pour avoir des normes communes. Ça arrangerait tout le monde », confie, excédé, un passager. La promesse d’une liaison directe et moderne devait pourtant faciliter leur quotidien, symbolisant la fluidité tant vantée des échanges franco-allemands.
L’attente suscite de l’incompréhension d’autant que ces rames nouvelle génération étaient spécialement pensées pour dépasser la frontière sans correspondance. Aujourd’hui, elles roulent – mais uniquement de part et d’autre du Rhin, jamais au-delà. Une situation vécue comme absurde par les usagers.
De nombreuses voix appellent désormais à réformer les processus de certification pour éviter qu’un tel désaccord technique ne vienne paralyser, pour de longs mois, une infrastructure aussi stratégique.
Un projet à la gouvernance éclatée
Le projet, dès ses origines, avait pourtant associé plusieurs acteurs des deux côtés du Rhin : la région Grand Est, mais aussi les Länder de Sarre, Rhénanie-Palatinat et Bade-Wurtemberg. L’objectif était de bâtir une flotte commune grâce à un effort de planification transfrontalière. Malgré cette coopération annoncée, un grain de sable réglementaire a suffi à enrayer la mécanique.
Pour certains élus, la mésaventure pointe les fragilités d’une gouvernance à multiples têtes, dans laquelle un changement de norme décidé unilatéralement peut remettre en cause des années de concertation et d’investissement. La région Grand Est envisage désormais de réclamer des compensations financières pour la livraison tardive et l’inutilisabilité partielle de ces matériels.
Des réponses attendues d’ici 2026
La solution viendra-t-elle d’une adaptation technique ou d’un assouplissement réglementaire côté allemand ?
Les discussions se poursuivent avec l’Allemagne dans l’attente d’une autorisation de circulation, espérée d’ici le printemps prochain. Les autorités régionales françaises, de leur côté, assurent que la sécurité ne saurait être négligée mais regrettent l’absence de prévisibilité dans l’évolution des normes européennes et allemandes selon le Républicain Lorrain.
En attendant, ce coûteux programme de modernisation, initié pour offrir « plus de confort et de simplicité » aux voyageurs du Grand Est, reste le symbole, pour beaucoup, des écueils d’une intégration ferroviaire trop soumise au moindre changement de normes.
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