Hôpital : les propositions utopiques de Martin Hirsch

Par Bernard Kron
14 mai 2022 09:17 Mis à jour: 14 mai 2022 09:17

Avec la pandémie, l’AP-HP est devenue une machine infernale qui broie les soignants. Des milliers de postes ne sont pas pourvus, des lits voire des services ferment, les démissions se multiplient et des milliers de soignants non- vaccinés sont suspendus.

Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris reconnaît enfin que l’Hôpital est en crise, ce que nous dénonçons et abordons depuis plus de 20 années années dans la revue des anciens internes des hôpitaux de Paris. Celle-ci est adressée chaque trimestre à l’AP-HP. Son directeur devrait s’en inspirer car 40% d’entre nous sont encore en activité, les mains dans le cambouis, et les autres ont participé à la réussite du système de soins qui avait hissé le pays au premier rang des pays de l’OCDE.

L’Internat de Paris est l’espace d’information et de réflexion de la communauté des AIHP, les anciens internes. Il a donné la fine fleur des chefs de services et des praticiens hospitaliers. Sa revue est publiée tous les trimestres depuis plus de 20 ans sans interruption. On y trouve depuis des années des analyses, des tribunes libres et des éditoriaux faisant des propositions pour sortir d’une crise qui trouve ses origines dans le monde politique depuis plus de 25 ans.

Avec la pandémie, l’AP-HP est devenue une machine infernale qui broie les soignants. Des milliers de postes ne sont pas pourvus, des lits voire des services ferment, les démissions se multiplient et des milliers de soignants non vaccinés sont suspendus.

Les politiques de santé menées depuis plus de 25 ans ont amené le système au bord du gouffre, ce que je décris dans mon livre Blouses Blanches colère noire.

Martin Hirsch énonce plusieurs facteurs de blocage justifiant à ses yeux un grand coup de balai. Ce constat aurait du être fait depuis longtemps, dès avant la pandémie. Toute l’année 2019 avait en effet été marquée par des grèves et des manifestations pour dénoncer cet immobilisme.

Je pense malheureusement que Martin Hirsch se trompe dans sa méthode de nettoyage. Sa persévérance dans les directions décidées par les Lois Santé et le Ségur ne peuvent pas aboutir sans réviser de fond en comble tout le système.

En tant qu’énarque, et avec son parcours politique, il devrait connaitre toutes les raisons de cette crise. Il a été conseiller juridique à la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) (1990-1992), puis au ministère de la Santé et de l’Action humanitaire (1992-1993).

Il savait qu’à cette époque le numerus clausus était à 3500. Il aurait dû comprendre que cela entrainerait la désertification de la médecine de ville et la pénurie des personnels à l’Hôpital. Après avoir été secrétaire général adjoint du Conseil d’État (1993-1995), il revient à sa première orientation en prenant la direction de la PCH, la Pharmacie centrale de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (1995).

Après sa prise de direction d’Emmaüs France, il entre en politique en devenant directeur du cabinet de Bernard Kouchner au secrétariat d’État à la Santé et à l’action sociale, et conseiller chargé de la santé au cabinet de Martine Aubry au ministère de l’Emploi et de la Solidarité.

C’est au sein des « Kouchner Boys » qu’il côtoie Jérôme Salomon, actuel directeur général de la santé. On retrouve dans cet organigramme les acteurs de la crise actuelle. Les 35 heures et la suppression du concours de l’Internat de Paris en 2002 avec les quatre lois santé qui ont suivis en sont responsables.

Deux ans plus tard, il est directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Il devient alors conseiller d’État en 2006 et fonde avec Benoît Génuini l’Agence nouvelle des solidarités actives, en devient président puis directeur général.

Comment aurait-il pu avec toutes ces fonctions assurer avec souplesse la direction de l’AP-HP et mettre en place des réformes pour anticiper la crise ?

Quatre sujets sont pourtant majeurs :

  1. Les statuts
  2. La rémunération
  3. Les carrières
  4. L’organisation

Il n’a pas saisi l’ampleur de ces défis et il continue dans la même direction. La répétition des mêmes réponses inappropriées à cette crise risque de faire exploser le système de soins. C’est de la persévérance aveugle.

Les statuts et la rémunération des soignants

Avec 30 milliards de déficits cumulés, une inflation des dépenses de 4% par an et la crise sanitaire, les budgets manquent.

La France est probablement « le seul grand pays où les rémunérations des praticiens et des paramédicaux sont fixées au niveau national avec une grande uniformité ». Leurs statuts seraient plus proches de ceux de fonctionnaires régaliens que de professionnels produisant des soins, dont la mission nécessite une grande technicité et une adaptation permanente. Elle nécessite aussi du temps, ce que la pression administrative ne donne pas. Ainsi, moins de 50% du temps peut être consacré aux soins.

En clair, l’hôpital serait « malade de ses rigidités », assène Martin Hirsch qui donne l’exemple des 35 heures décidées avec Martine Aubry « en contrepartie d’une modération des salaires ». Ainsi, malgré le coup de pouce du Ségur les salaires des infirmières ne sont plus à la hauteur ce qui rend leur recrutement quasi impossible compte tenu des loyers parisiens.

Selon lui, cela a conduit « à une désaffection des personnels, à des doubles emplois illégaux publics privés, à des efforts de productivité non récompensés ». Alors les infirmières partent, obligeant à fermer des milliers de lits et des services.

Ainsi, à l’AP-HP, dont il a oublié qu’il en est le directeur depuis des années, il en fait une analyse cinglante. Il diagnostique une « sous-performance chronique » et une « frustration généralisée », à cause du « malaise hospitalier général. »

L’Hôpital n’est plus attractif car les revenus peuvent parfois être « cinq fois plus élevés dans le privé ou dans d’autres pays ».

Il propose une rémunération des praticiens hospitaliers à trois niveaux. Pour sortir du « cadre issu de la réforme Debré », l’ex-président d’Emmaüs propose des statuts « plus souples et différenciés, favorisant la mobilité et la diversité des parcours ».

Nerf de la guerre, la rémunération des praticiens hospitaliers serait complètement revue. L’idée serait de tirer un trait sur le « salaire uniforme (pour toutes les spécialités, tous les établissements, tous les territoires) », source de « frustrations, d’injustices et de départs ».

Il propose une rémunération en trois parties :

  • la première serait un plancher « fixé nationalement et statutairement » ;
  • la deuxième intégrerait « un coefficient géographique lié au coût de la vie dans la région » ;
  • la troisième part serait « à la main » de l’établissement, en fonction de critères définis collectivement pour « mieux rémunérer certaines spécialités, certaines fonctions, un investissement particulier dans la vie de l’établissement, des compétences ou une technicité particulière ».

Comme le budget est consommé par l’administration, ce sera déshabiller Pierre pour habiller Jacques car l’enveloppe ne peut pas augmenter sans refondre l’organisation générale. Le plan du patron de l’AP-HP est utopique.

Les carrières : des affectations par période de 5 ans renouvelables

Le médecin hospitalier nommé dans une région pourrait être « affecté par période de cinq ans renouvelable dans un établissement ». Cela permettrait « d’assurer la stabilité dans un corps et la souplesse d’affectation », et de favoriser la mobilité puisque « la notion de chômage n’existe pas » dans ces métiers. Quel contresens ! Ce serait joindre l’instabilité de la carrière et la soumission au pouvoir administratif.

La mobilité pour des médecins ayant une famille serait contre-productive. Le renouvellement des contrats par l’administration serait en fait une prise en otage des praticiens hospitaliers qui, pour être renouvelés, devraient courber l’échine !

Bien décidé à briser la concurrence entre la ville et l’hôpital où « les modes de rémunérations sont trop différents », le patron de l’AP défend des « structures mixtes » (liées à l’hôpital) « permettant le salariat ou la rémunération sous forme d’honoraires, mais avec un lien contractuel entre l’hôpital et les médecins exerçant en soins primaires ». Une formule qui permettrait de mieux structurer l’organisation entre les urgences hospitalières et les services de soins non programmés ou les CPTS libérales, dit-il. C’est un mirage car la coopération entre la ville et l’hôpital n’a jamais marché !

L’organisation générale

Sur la gouvernance hospitalière, Martin Hirsch prêche pour sa paroisse.

Contrairement à la plupart des médecins, il considère que la loi HPST « n’a pas renforcé les pouvoirs des directeurs sur les médecins », mais plutôt « amoindri les pouvoirs » du conseil d’administration (devenu conseil de surveillance) et complexifié les pouvoirs médicaux, aboutissant à une neutralisation du management et des décisions.

La gouvernance médicale

Tout en se disant favorable à une « médicalisation » de la gouvernance, il estime que la demande d’autonomie des chefs de service n’est « pas cohérente avec le besoin de transversalité et de parcours médicaux ».

Là aussi, il se trompe. Les pôles privent les chefs de services d’une réelle autonomie et de la responsabilité sur leurs équipes. Pire, ils sont dispersés en fonction des carences de service en service. Quant aux médecins élus membres des CME, ils seraient « coincés entre leur rôle de représentation et leur responsabilité dans les décisions ». Il plaide donc pour un système où les médecins exerceraient de « réelles responsabilités » au sein même des équipes de direction, y compris diriger l’établissement et dans des départements médicaux plus vastes afin de « mener des réorganisations, faire des arbitrages » et non pas « défendre leur propre service, leurs élèves, leurs lits, leurs propres projets ».

Quand on sait que le temps consacré aux soins est déjà amputé de 50% par les autres tâches, cela ne ferait qu’aggraver la situation.

Les recrutements

Il convient aussi d’accorder, dit-il, « plus de leviers aux établissements » pour qu’ils puissent agir sur les ressources humaines « aussi bien médicales, paramédicales qu’administratives ». Et Martin Hirsch de réclamer la fin des « chaînes de responsabilité parallèles », via la mise en place d’équipes de direction « incluant médecins, paramédicaux et administratifs ». Ceux-ci pourraient se choisir mutuellement « pour avoir un mandat commun, et non pas des mandats séparés, incompatibles entre eux ». Il rêve d’un monde de bisounours !

Les budgets et la T2A

Sur le financement, Martin Hirsch appelle de ses vœux des « ajustements » et non un « bouleversement ». Il s’insurge au passage contre la « focalisation anti-T2A », puisque cette tarification à l’acte si décriée serait « peu ou prou le système adopté par la plupart des pays »… Il oublie que la France a perverti le système faute de soignants disponibles et bien formés. La politique du flux tendu qui en découle a empêché de soigner les malades du covid et les autres pathologies faute de lits et de personnels disponibles.

Son credo pour l’allocation des ressources ? Un financement  « intégral » par l’Assurance maladie évitant aux hôpitaux de « jongler avec les assurances complémentaires » et d’« émettre des millions de factures souvent impayées ». Il propose aussi de favoriser davantage les tarifications valorisant la prise en charge ambulatoire et de « généraliser les mécanismes d’intéressement ».

Conclusion

Bref, tout cela est de la poudre aux yeux car le fond du problème est l’organisation générale dont il a été l’un des promoteurs avec la loi HSPT. Plus de soignants mieux payés c’est à enveloppe constante moins d’administration. Sans une réforme de grande ampleur il n’y aura pas de salut.

Attendons de savoir quel sera le prochain ministre de la Santé pour espérer enfin une vraie réforme avec davantage de soignants et moins d’organes administratifs.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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