« Human », ou si l’humanité nous était contée

Par Milene Fernandez
19 octobre 2015 17:16 Mis à jour: 19 mars 2021 04:56

NEW YORK- La plus simple des questions est aussi parfois celle à laquelle il est le plus difficile de répondre. Quel est le sens de la vie ? Qu’est le bonheur, selon chacun ? Qu’est-ce qu’aimer ? De telles interrogations vont droit au but, mais la vie quotidienne est pleine d’aléas qui nous tiennent souvent loin de l’idée de chercher des réponses.

Yann Arthus-Bertrand, lui, ne cesse de s’interroger. À travers sa nouvelle oeuvre, Human, le photojournaliste et réalisateur français cherche à comprendre les raisons de la souffrance dans le monde. Pourquoi y a t-il des guerres, pourquoi la pauvreté, pourquoi les humains laissent-ils le climat se dégrader… pourquoi, pourquoi, pourquoi.

Avec son équipe, il a donc décider d’aller directement poser ces questions à quelques 2020 personnes de 60 pays différents. Durant trois ans, ce spécialiste de l’environnement a ainsi posé des questions aussi simples qu’essentielles : « Quelle a été la plus dure épreuve de votre vie ? Qu’en avez vous appris ? »

Human est le résultat de cette profonde introspection anthropologique. Avec le coeur simple d’un enfant, Yann Arthus-Bertrand s’interroge donc sur ce qui fait de nous des humains.

Yan Arthus-Bertrand avec José Mujica, ancien president de l'Uruguay. (© HUMANKIND Production – all rights reserved)
Yan Arthus-Bertrand avec José Mujica, ancien president de l’Uruguay. (© HUMANKIND Production – all rights reserved)

La plupart de ses projets précédents – expositions, livres de photographie, documentaires et films – se concentraient sur l’environnement. Décoré de la Légion d’Honneur et membre de la prestigieuse académie des Beaux-Arts, le réalisateur d’Human s’est fait connaître dans le monde entier par son livre-photo, La Terre vue du Ciel. Écoulé à 4 millions d’exemplaires, il a également été l’objet de 175 expositions. Un premier succès suivi par 7 milliards d’Autres, puis de Home, son premier film.

Ici, le spécialiste de l’environnement change de perspective, en se centrant sur l’humain. « Je voulais entendre le coeur des gens… pour ensuite parler au coeur des gens », adressa t-il à son auditoire réuni dans un hôtel de New York, le matin du 13 septembre.

Au sein de l’Assembly Hall des Nations Unies, il n’a jamais été de mise d’inviter des cinéastes, ou de diffuser leurs oeuvres. C’est pourtant sur cette scène où les grands dirigeants du monde s’adressent aux autres pays, et présentent chaque année propositions et protocoles sur l’environnement de façon si régulière qu’on pourrait croire à un disque rayé, que le film de Yann Arthus-Bertrand a été projeté.

« Cette oeuvre contient un message d’espoir très puissant. Il montre l’importance de la voix de chaque individu, et le trésor de la diversité dans notre humanité«  a commenté François Delattre, représentant permanent de la France aux Nations Unies.

Dans la tâche certes colossale de dresser un portrait de l’humanité, Yann Arthus-Bertrand a entrepris de donner la parole à ceux qui demeurent silencieux, invisibles. « Bien qu’inconnus, leurs message est puissant, explosif« , estime t-il dans son livre A Portrait of Our World, HUMAN. L’ouvrage, qui accompagne le film, en dessine aussi le contexte ; ce dernier regroupe des thèmes tels que le bonheur, la guerre, la pauvreté, et la tolérance.

« Ce film cherche justement à faire émerger ces voix là. Il est ces voix, mais évoque aussi ce qui se trouve derrière ces voix » Mia Sfeir, Première assistante réalisatrice de Human.

Les hommes et femmes apparaissant dans le film paraissent innombrables. Chacun est unique et superbe dans sa vulnérabilité et son honnêteté ; chacun révèle un précieux secret, dont on devine qu’il n’est pas évident de parler, parfois même dans l’intimité. Ici, la perspective est élargie, inclue dans une conversation-fleuve, comme si elle prenait place entre deux parfaits inconnus.

Certains d’entre eux sont pauvres, privés de leurs droits, intouchables, et analphabètes. Certains sont des réfugiés en fuite ; certains définissent le bonheur tout simplement en ayant quelque chose à manger.

La tristesse, la réflexion, la colère ou la joie : toute une gamme d’émotion humaine se fait sentir. À la fin de chaque extrait d’interview, les personnes interrogées regardent droit dans l’objectif de la caméra.

Mia Sfeir, première assistante réalisatrice d'Human. (© HUMANKIND Production – all rights reserved)
Mia Sfeir, première assistante réalisatrice d’Human. (© HUMANKIND Production – all rights reserved)

« Toute personne a une histoire, chaque personne a une histoire », souligne Mia Sfeir, journaliste et première assistante réalisatrice de Human, le lendemain de la projection de l’ONU à New York et quelques heures avant son vol de retour à Paris. Pour elle, le film traite essentiellement de la résilience humaine.

Parmi les milliers de personnes interrogées, elle s’est entretenue avec Bruno. Dans le film, cet Anglais évoque la force et la compréhension profonde de la vie qu’il a obtenu après avoir perdu ses deux jambes ; et que si Dieu avait pu lui rendre ses jambes, il n’en aurait pas voulu car cela aurait annulé la sagesse qu’il avait acquis.

Une femme nommée Ekami-un, une intouchable de l’Inde, vivant dans des conditions abjectes, a laissé une impression durable à la première assistante.

Dans le film, elle hurle, déclenchant la frustration et la douleur qui sommeillait à l’intérieur d’elle pendant des années. Et elle s’adresse aux dirigeants du monde, « aidez-nous à avoir une vie décente, sinon nous allons mourir de faim ! ». Mais il a fallu du temps et de l’encouragement avant qu’elle ne soie capable de formuler cette souffrance.

« Je me suis rendu compte que je comprenais son émotion, sa douleur, cela est au dessus des mots. C’est comme une chanson qui emplissait l’air » commenta Mia Sfeir. Bien que le film montre sa diatribe, qui monte crescendo pour finir par exploser, Mia Sfeir assure que la femme avait « un sourire incroyable… un vrai moment de générosité de sa part ». Car habituellement, « les intouchables ne parlent pas, ne se plaignent pas tant que ça dans le village », souligne t-elle.

« Ce film cherche justement à faire émerger ces voix là. Il est ces voix, mais évoque aussi ce qui se trouve derrière ces voix », explique t-elle encore. Évoquant la puissance de la musique de Armand Amar, Mia Sfeir soutient que pour elle, « ce que ces gens disent est une autre musique, dans un autre registre ».

Un film pour l’humanité

La version cinématographique d’Human dure trois heures, et se décline en une dizaine d’oeuvres : la version pour la télévision, de 131 minutes, Sur la trace des humains, trois films de 52 minutes chacun, Les histoires des Humains, de 80 minutes, L’aventure des Humains, making of de 52 minutes, HUMAN The Music, HUMAN for the Web, et HUMAN : Derrière les scènes.

Bien plus qu’un film, Human est donc un projet global et non lucratif. Le jour de l’avant première, Google a lancé pas moins de six chaînes Youtube dédiées au projet. La fondation d’Yann Arthus-Bertrand, GoodPlanet Foundation, a d’ores et déjà distribué des copies gratuites du film ainsi que des matériaux à des écoles et ONG.

« Nous devons porter notre humanité au delà de nos peurs… au delà de tout » explique Yann Arthus-Bertrand.

Le photographe français admet qu’il y a de très nombreux matériaux dans son oeuvre, mais tous sont nécessaires. D’après lui, le film est un challenge pour le spectateur, qui doit « ouvrir son coeur et écouter ». « Ce n’est pas un film facile, je sais qu’il est très long, mais je l’adore tel quel », lança-t-il ce matin du 13 septembre, après une nuit plutôt intense passée au siège des Nations unies.

Yann Arthus-Bertrand, lui même un élément des 7 milliards d’êtres humains peuplant notre planète, n’a pas répondu à ses propres questions ; le moment n’était pas encore propice. Mais une de ses questions a trouvé tout de même réponse.

Décharge à ciel ouvert, à Santo Domingo, en République Dominicaine. (© HUMANKIND Production – all rights reserved)
Décharge à ciel ouvert, à Santo Domingo, en République Dominicaine. (© HUMANKIND Production – all rights reserved)

« Hier soir, j’étais heureux. L’humanité telle que nous voulions la montrer dans le film a été comprise, et cela m’a rendu heureux », confia t-il. Mais tel un pèlerin au soir de son premier jour de voyage, le cinéaste a conclu « ce n’est pas assez, ce n’est pas assez. »

Les vies humaines, intenses, et leur essence, distillée durant trois heures, nous livrent un aperçu de ce qui aurait été difficile de percevoir ou de comprendre par notre seule imagination. Human est un incroyable projet humaniste, et appartient aux 7 milliards d’êtres humaines dont il reflète l’existence.

« J’espère qu’en ces trois heures et 11 minutes, certaines murs se briseront dans l’esprit des gens, et qu’ils oseront regarder de l’autre côté » souligne Mia Sfeir.

« Nous devons porter notre humanité au delà de nos peurs… au-delà de tout » explique Yann Arthus-Bertrand. Le cinéaste marque une pause, le regard profond. « Human n’est pas mon film, c’est notre film. »

Pour visionner le film en français : https://www.youtube.com/watch?v=FLqft-ICVQo

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