Le pari à trois milliards d’euros des batteries françaises dans un contexte de rentabilité économique incertain

Par Germain de Lupiac
29 avril 2025 17:30 Mis à jour: 1 mai 2025 16:26

Quatre « gigafactories » sont en train de voir le jour dans le nord de la France, même si le secteur est en plein doute après la faillite du géant suédois de la batterie Northvolt. Cela n’a pas suffi à refroidir les ambitions de la France qui a investi 3 milliards d’euros dans ces usines géantes de batteries, selon Les Échos.

Deux de ces usines géantes sont majoritairement françaises et deux sont asiatiques.

Quatre ans après sa création, la société ACC, un consortium entre Stellantis, Mercedes-Benz et Saft (filiale de TotalEnergies) a commencé à commercialiser ses batteries pour automobiles électriques, les premières fabriquées en France, et veut devenir en dépit des difficultés de démarrage un « champion de la souveraineté européenne » dans un marché dominé par la Chine.

Le fabricant de batteries sino-japonais Envision AESC a programmé une usine près de Douai, pour fournir Renault dans un premier temps, à partir de l’été 2025. L’usine doit équiper 180 à 200.000 véhicules par an d’ici à 2026 avec 950 employés. Cette première phase représente 1,3 milliard d’euros d’investissement et le site peut développer ses capacités d’ici à 2030, si la demande suit.

Le groupe taïwanais ProLogium prévoit de lancer sa production de batteries en 2027 à Dunkerque. Sa première usine à l’étranger représente un investissement de 5,2 milliards d’euros, dont une subvention de 1,5 milliard d’euros de l’État français. Retardés, les travaux devraient démarrer au printemps prochain. L’usine devrait créer à terme 3000 emplois directs avec une capacité de production pour équiper 500.000 à 750.000 véhicules par an.

Enfin, le groupe Verkor, fondé en 2020 en Isère, a aussi choisi Dunkerque pour implanter son premier site industriel, qui doit démarrer courant 2025, avec Renault pour principal client. L’investissement est estimé à 1,5 milliard d’euros. Verkor vise d’ici à 2027 une production de batteries lithium-ion capable d’équiper 300.000 véhicules électriques par an. Quelque 1200 emplois directs devraient être créés d’ici la fin de cette première phase.

Dans La Stratégie nationale sur les batteries de France 2030, l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire assurait qu’ « afin d’interrompre cinq décennies de délocalisations massives, le président de la République a fait de la réindustrialisation de la France l’une des priorités de [sa] politique économique ».

Mais l’industrie automobile en Europe affronte une croissance plus lente que prévu de la demande de véhicules électriques et simultanément, une concurrence chinoise de plus en plus féroce, impactant directement la rentabilité des investissements dans les batteries.

Le cas de la première « gigafactory » française

L’Automotive Cells Company (ACC) a inauguré en grande pompe en mai 2023 à Billy-Berclau (Pas-de-Calais), près de Lens, la première des quatre usines de batteries françaises implantées dans les Hauts-de-France.

En 2024, 2000 packs batteries sont sortis de l’usine – un chiffre qui paraît encore minime comparé à l’immensité des lieux et aux 7 milliards d’euros d’investissements pour ce projet colossal, dont 1,2 milliard d’euros de subventions européennes – 845 millions d’euros venant de la France.

Le site, qui compte 800 salariés, en prévoit 2000 d’ici 2030 et vise à équiper 150.000 véhicules électriques dès l’an prochain, 250.000 en 2026, puis 2 à 2,5 millions en 2030, soit 20 % de part de marché dans l’Union européenne.

L’enjeu est de taille : l’UE a prévu d’interdire en 2035 la vente de véhicules thermiques neufs, entraînant la création à marche forcée d’une filière industrielle pour rattraper le retard sur les constructeurs asiatiques de batteries pour véhicules électriques.

Il a fallu pourtant prendre en main des machines importées de Chine et installées par des partenaires chinois. « Nos concurrents chinois […] nous disent que […] c’est le propre de l’industrie des batteries que d’avoir des difficultés au démarrage », souligne Matthieu Hubert, secrétaire général d’ACC.

Car ACC essuie les plâtres, la concurrence est rude, notamment sur les prix, et les aides gouvernementales à l’acquisition d’un véhicule électrique ont été réduites pour cause d’efforts budgétaires.

Une « vallée de la batterie »

Un écosystème d’entreprises technologiques, avec des emplois à la clé, naît autour de ces usines de batteries.

Orano, le spécialiste français du cycle du combustible nucléaire, s’est associé au chinois XTC New Energy pour construire un site dans le Dunkerquois intégrant recyclage et production de matériaux pour batteries. Le projet devrait générer 1300 emplois directs à l’horizon 2030.

Le groupe français Axens a confirmé en novembre son intention de construire une usine de matériaux actifs de cathodes, un composant clé pour les batteries, avec 400 emplois à la clé. Basée sur une friche industrielle près de Valenciennes, la production devrait démarrer en 2028, pour 500 millions d’euros d’investissement.

Près d’Arras, l’entreprise française Battri prévoit de démarrer son usine de « prétraitement » (tri et broyage des matériaux de batteries en fin de vie) au premier trimestre 2025. Le norvégien Hydrovolt compte aussi implanter une petite unité de recyclage dans le Nord l’an prochain.

Axée sur le recyclage des matériaux critiques composant les batteries pour les réutiliser, la start-up lyonnaise Mecaware compte s’implanter à Béthune (Pas-de-Calais) d’ici 2028.

Mais il y a également des rétropédalages, reflet des incertitudes dans le secteur : en octobre 2024, Eramet a suspendu son projet d’usine de recyclage de batteries à Dunkerque, « faute de montée en puissance en Europe des usines de batteries et de leurs composants », tandis que son partenaire Suez a maintenu le sien.

Li-Cycle, spécialiste canadien du recyclage des batteries lithium-ion, a aussi annoncé en mars une « pause » de son projet d’installation dans le Pas-de-Calais.

Des investissements massifs pour une rentabilité incertaine

La réussite de ces usines de batteries pour voitures électriques en France, ainsi qu’en Hongrie ou en Espagne, est considérée comme stratégique par l’Europe, alors que la Chine produit encore 83 % des batteries mondiales, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Mais le marché des voitures électriques a fortement ralenti en Europe et les technologies évoluent très rapidement.

Plus de 60 milliards d’euros ont été investis dans ces usines à travers le continent depuis 2020, selon le géant de l’informatique Capgemini. Mais la rentabilité de ces projets pharaoniques reste pourtant incertaine. Les coûts de production en Europe sont environ 50 % plus élevés qu’en Chine, la chaîne d’approvisionnement liée aux batteries reste relativement faible et le secteur manque de salariés qualifiés, notait l’AIE début mars dans un rapport.

« On est à un moment charnière », a résumé Pierre Bagnon, spécialiste du secteur chez Capgemini. Après leur construction, les usines doivent faire des tests pendant de longs mois et produire des cellules de batteries qui seront jetées, avant de monter en qualité et passer à la production en série. Le patron d’ACC, Yann Vincent, parle de cette phase de tests comme d’une « vallée de la mort ».

« Le démarrage ne dure pas un an », a précisé Pierre Bagnon. « Construire une industrie européenne pérenne, durable dans le temps en termes de consommation énergétique, se passe sur le temps long », a-t-il relevé.

« L’idée, c’est de devenir très compétitif, parce que la batterie représente aujourd’hui 40 % du prix d’un véhicule », note Matthieu Hubert d’ACC. « Les prix des batteries sont en train de chuter. Or, en Europe, on a des coûts assez élevés », rappelle Pierre Paturel, directeur d’études chez Xerfi, spécialiste en énergie et matériels de transport.

Malgré les difficultés, une volonté de réindustrialisation de la France

L’usine de batteries pour véhicules électriques Verkor, à Dunkerque, est dans la dernière ligne droite et a démarré une phase de « production test », a-t-on appris le 16 avril auprès d’un de ses investisseurs, le fonds français d’infrastructure à long terme, Meridiam.

L’usine, un des symboles de la volonté de réindustrialisation de la France, « est quasiment terminée, donc on est déjà en train de faire de la production test », a déclaré le PDG de la Banque d’investissement Meridiam, Thierry Déau, lors d’un échange avec la presse à l’occasion des 20 ans du fonds, qui a investi 200 millions d’euros dans ce projet.

Face à l’Asie, « il est nécessaire de faire émerger des champions locaux, en plus d’abriter des usines chinoises et coréennes », indique Pierre Paturel, directeur d’études chez Xerfi, spécialiste en énergie et matériels de transport.

D’autres fabricants européens appuient sur les freins

Alors que la construction de plusieurs dizaines d’usines de batteries est prévue à travers l’Europe, la stagnation des ventes des voitures électriques dans plusieurs pays complique les montages financiers et les choix technologiques.

Au Royaume-Uni, la société Britishvolt a fait faillite début 2023 avant d’arriver à lancer son énorme usine de batteries, faute d’avoir levé suffisamment de fonds.

En France, le fabricant ACC a ouvert sa première usine de batteries en mai 2023, mais TotalEnergies, qui en partage le contrôle avec Stellantis et Mercedes, a annoncé en février 2024 qu’il ralentissait ses investissements.

Quelques semaines plus tard, ACC a annoncé une « pause » dans la construction de ses deux futures usines, à Termoli en Italie et Kaiserslautern en Allemagne, invoquant notamment la nécessité d’une mise à jour technologique des batteries à produire. Le gouvernement italien a réagi en retirant à ACC les fonds publics européens destinés au projet, invoquant « l’incertitude » planant sur le calendrier de sa construction.

« Les projets de gigafactories annoncés sont très ambitieux », a commenté Apostolos Petropoulos, expert à l’Agence internationale de l’énergie. « Il faut qu’ils soient accompagnés d’une forte demande pour se concrétiser. »

Ces coups de frein sur les usines de batteries surviennent sur fond de baisse de la demande pour les voitures électriques, dont les ventes ont commencé à baisser depuis la fin 2023 en Europe. Les acheteurs se font rares en raison du coût élevé des modèles électriques, d’une autonomie limitée et de réseaux de recharge encore insuffisants.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.