Le remorquage d’icebergs depuis l’Antarctique est considéré comme une solution potentielle aux pénuries d’eau dans le monde

Alors que 60% de l'eau douce de la planète est piégée dans les glaces de l'Antarctique, certains estiment qu'il devient essentiel d'y accéder

Par Autumn Spredemann
29 mars 2024 19:13 Mis à jour: 24 avril 2024 18:20

De l’eau de glacier fondue datant de près d’un million d’années, prête à être bue ? Grâce à de nouvelles recherches et à un intérêt persistant, de nombreux projets cherchent actuellement à remorquer des icebergs depuis l’Antarctique pour servir de soupape de décompression dans des régions de plus en plus arides.

Cette idée a suscité autant d’enthousiasme que de faux départs. Cependant, l’attrait du transport de glace depuis le continent austral gelé a toujours suscité l’intérêt des chercheurs et des hauts fonctionnaires de plusieurs pays, y compris les États-Unis.

Une analyse des Nations unies estime que 700 millions de personnes dans le monde seront déplacées en raison du manque d’eau douce d’ici à 2030.

La récolte d’icebergs dans les régions polaires de la planète a été considérée, souvent avec scepticisme, comme une méthode inattendue pour obtenir de l’eau douce. Pourtant, depuis des années, plusieurs petites entreprises collectent des icebergs dans l’Arctique, entre le Groenland et la province canadienne de Terre-Neuve. La région est connue sous le nom original d’« allée des icebergs ».

La glace collectée a été utilisée pour fabriquer toute une série de produits, notamment de la vodka et de l’eau embouteillée artisanale. C’est en partie ce qui a alimenté l’idée de traîner de plus gros icebergs depuis des destinations plus lointaines, comme l’Antarctique.

Au cours de la dernière décennie, la science et l’industrie maritime ont rattrapé le rêve d’exploiter la glace de l’Antarctique. L’année dernière, l’idée a fait un nouveau pas en avant grâce à une étude de faisabilité montrant comment le remorquage de la glace de l’océan Austral pourrait être possible.

L’équation du froid

« L’expansion de l’agriculture, l’augmentation de la population mondiale et les changements climatiques exercent une pression croissante sur les ressources en eau existantes, en particulier dans les régions qui connaissent actuellement une sécheresse extrême. Trouver de nouvelles sources d’eau fiables est un défi urgent », observe dans son étude en 2023, Alan Condron, de la Woods Hole Oceanographic Institution.

M. Condron a également souligné l’un des principaux obstacles auxquels l’opération devra faire face : réduire la perte de glace lorsque les icebergs seront remorqués vers des climats plus chauds.

Il a conclu que si, par exemple, un iceberg devait approvisionner la ville du Cap, en Afrique du Sud, en eau potable pour une année – jusqu’à 4 millions de gallons -, il devrait mesurer 701 mètres de long et 250 mètres d’épaisseur au début de son voyage pour tenir compte de la fonte des glaces en cours de route. Bien que cela semble herculéen, M. Condron pense que trois grands remorqueurs pourraient faire le travail.

D’autres recherches confirment l’évaluation de M. Condron selon laquelle la perte de glace pendant le transport est un problème majeur. C’est la raison pour laquelle des icebergs d’une taille aussi énorme devraient être remorqués. Cependant, il existe une autre façon de récolter la glace polaire qui n’est pas qu’une simple théorie. Elle a été mise en œuvre à plusieurs reprises.

Jamal Qureshi est l’ancien propriétaire de Svalbardi, une entreprise qui collectait des icebergs d’eau douce dans le cercle polaire arctique, près de l’archipel norvégien de Svalbard, pour les utiliser dans la fabrication d’eau embouteillée de qualité supérieure. Cet Américain d’origine norvégienne a dit être tombé amoureux de la beauté de l’Arctique et avoir rapidement reconnu la pureté et le goût inégalés de l’eau d’iceberg en 2013, et a donc décidé de la partager avec le monde entier.

« C’est un goût très léger. C’est en fait le goût d’une neige datant de 4000 ans », a-t-il confié à Epoch Times.

L’eau d’iceberg fondue était un produit de luxe lorsque M. Qureshi a créé son entreprise.

« C’était une petite entreprise familiale qui essayait d’être compétitive sur le marché mondial de l’alimentation et des boissons », explique-t-il. « Les coûts étaient si élevés qu’il s’agissait en fait d’un jeu de marketing. »

Quoi qu’il en soit, l’eau de Svalbardi a trouvé un marché de niche dans la communauté internationale. Cependant, l’équipe de M. Qureshi n’a pas remorqué d’icebergs. Elle les a arrachés directement à l’océan.

« Nous sommes allés dans des endroits où il y avait beaucoup de bris de glace, ce qui nous a permis d’avoir beaucoup d’options et de pièces différentes », explique-t-il.

M. Qureshi a souligné qu’un problème persistant pour les entreprises qui remorquent des icebergs dans l’Arctique est la réaction instinctive des défenseurs du climat.

« Nous n’étions pas en train de tailler dans un glacier, ce serait tout à fait irresponsable », a-t-il dit. « Il s’agit d’un iceberg qui est sur le point de fondre. »

Paradoxalement, plusieurs défenseurs du changement climatique affirment que la fonte des eaux douces provenant des glaciers contribue à l’élévation du niveau des mers et à la réorientation des courants océaniques.

M. Qureshi a dit que les icebergs récoltés près du Groenland sont énormes par rapport à ceux que son entreprise a collectés pour fabriquer l’eau de Svalbardi. Une grue de deux tonnes fixée à un bateau de 40 mètres recueille la glace à proximité de l’endroit où les glaciers vêlent ou déversent de la glace directement dans la mer.

La grue peut collecter des icebergs d’environ 10 mètres cubes. Selon lui, des millions de mètres cubes de glace d’eau douce s’écoulent chaque année des glaciers vers la mer près de Svalbard.

D’autres ont également reconnu que cette méthode de récolte de la glace – des grues tirant des icebergs plus petits sur de grands bateaux – était une opportunité potentielle pour décrocher le prix ultime en Antarctique.

Un projet a proposé d’utiliser cette méthode pour créer une flotte de 40 à 50 navires spécialisés pour transporter 10 à 16 blocs de glace par navire de l’Antarctique à l’Arabie saoudite. Mais une étude réalisée en 2021 souligne que cette méthode met en évidence un autre obstacle majeur à l’accès à l’eau douce de l’Antarctique : le coût est astronomique.

Photo d’un iceberg prise dans le détroit de Gerlache, en Antarctique, en février 2024 (Cesar Calani/The Epoch Times)

L’analyse observe que si l’Arabie saoudite pourrait potentiellement tirer 5 milliards d’euros de revenus d’une telle entreprise, les coûts sont estimés à 4 milliards d’euros rien que pour la construction de la flotte. Ce montant ne comprend pas le coût d’un port ou d’une autre infrastructure terrestre.

Néanmoins, un projet des Émirats arabes unis (EAU) continue d’avancer avec le rêve d’amener la glace de l’Antarctique dans la péninsule arabique.

La pointe de l’iceberg

« La majorité de l’eau douce du monde se trouve en Antarctique. Lorsqu’ils [les icebergs] fondent, ils gaspillent des milliards de gallons d’eau douce dont l’humanité a besoin », a souligné à Epoch Times, Abdulla Alshehi, directeur général du National Advisor Bureau Ltd, basé aux Émirats arabes unis.

Il est le maître d’œuvre du projet EAU-Iceberg, qui a franchi de nombreux obstacles depuis sa création en 2016. Comme l’Arabie saoudite voisine, les Émirats arabes unis souffrent d’un important stress hydrique.

M.  Alshehi estime que la diminution de la disponibilité de l’eau douce dans le monde est d’une « importance stratégique » pour toutes les nations.

« C’est une préoccupation pour tous les êtres humains, car l’eau, c’est la vie. »

M. Alshehi a également déclaré que le projet EAU-Iceberg avait résolu plusieurs problèmes techniques, notamment la perte de glace due à une exposition prolongée aux eaux chaudes. Au-delà de son pays, les autres destinations envisagées pour le remorquage d’icebergs sont l’Australie occidentale et le Cap.

Ce dernier choix est plus qu’un simple choix logistique. De 2015 à 2018, le Cap a connu une période de sécheresse extrême qui a laissé la ville au seuil de ce que l’on appelle le « jour zéro ». C’est le moment où une ville manque totalement d’eau. Une catastrophe a été évitée de justesse, mais l’incident a été un rappel à la réalité pour les grandes agglomérations du monde entier. L’événement a suscité un débat au sein de la communauté internationale sur la manière de gérer la diminution des ressources en eau. C’est un problème qui touche plusieurs pays, y compris les États-Unis.

Au début du mois, des rapports ont indiqué que la ville de Mexico pourrait être confrontée à un scénario de « jour zéro » pour l’eau d’ici la fin du mois de juin. Cela fait suite aux restrictions d’utilisation de l’eau de plus en plus strictes imposées par le gouvernement à partir d’octobre 2023.

M. Alshehi prépare l’avenir. Il explique que son projet vise à remorquer des icebergs flottants qui se détachent naturellement des glaciers près de l’île Heard. Cette île fait partie du territoire australien dans l’Antarctique. De là, les bateaux transporteront la glace jusqu’au port de Fujairah, aux Émirats arabes unis, qui est entouré d’eaux profondes. Cela permettra d’éviter que les mastodontes gelés ne s’échouent accidentellement.

Au total, le voyage de l’Antarctique aux Émirats arabes unis durera environ neuf mois.

« Au cours de ces neuf mois, on s’attend à ce que 30% de la masse de l’iceberg fonde pendant la période de transit. Cependant, nous disposons d’une invention qui a été approuvée en 2020, selon laquelle l’iceberg est contenu sur un navire-citerne flottant. La fonte de la glace n’est plus un problème pour nous », a souligné M. Alshehi.

Il n’a pas donné plus de détails sur l’unité de confinement offshore ni sur ses investisseurs actuels, mais il a assuré que le projet était toujours « en cours ». Le projet EAU-Iceberg devait initialement être lancé en 2020, mais la pandémie de COVID-19 a entraîné des retards.

À l’heure actuelle, le prix du pétrole est le « facteur le plus important » en termes de coût, mais M. Alsheshi maintient que le remorquage d’icebergs reste plus rentable et plus respectueux de l’environnement que les dessalinisateurs océaniques. C’est ainsi que les Émirats arabes unis obtiennent actuellement la majeure partie de leur eau douce.

La zone d’une usine de dessalement prévue à Huntington Beach, en Californie, le 5 août 2020 (John Fredricks/The Epoch Times)

Le dessalement ouvre une tout autre boîte de Pandore en termes de pollution. Une analyse du Programme des Nations unies pour l’environnement indique que pour chaque litre d’eau potable produit par dessalement, environ 1,5 litre de saumure polluée est créé. Pire encore, cette saumure est généralement repompée dans l’océan, et ce n’est pas seulement du sel qui est rejeté. Le cuivre et le chlore sont également présents dans le mélange.

M. Alshehi a qualifié le dessalement de « non respectueux de l’environnement ».

Un précédent historique

L’ambition de récolter la glace de l’Antarctique trouve ses racines au Chili. En 1956, Carlos Hoerning, un professeur d’université à Santiago, a fait passer l’idée dans le grand public après avoir raconté comment, dans les années 1890, ses compatriotes avaient réussi à remorquer des icebergs du glacier San Rafael, situé dans le sud de la Patagonie, jusqu’aux villes arides de Valparaíso, au Chili, et de Callao, au Pérou.

C’est à ce moment-là qu’est né le rêve de récolter la glace de l’Antarctique.

Dans les années 1970, la NASA a mené une étude pour déterminer si les icebergs de l’Antarctique pouvaient être exploités pour leur eau douce, et elle n’était pas la seule. La RAND Corporation a soumis un rapport de 71 pages à la National Science Foundation décrivant le potentiel de la récolte de la glace de l’Antarctique pour l’utilisation de l’eau.

Ce même rapport estime que l’utilisation des icebergs de l’Antarctique pour l’approvisionnement en eau douce, par opposition au dessalement des océans ou aux transferts entre bassins sur de longues distances, permettrait d’économiser jusqu’à 70 milliards d’euros par an. La RAND Corporation a également évoqué la possibilité d’utiliser des navires à propulsion nucléaire pour remorquer les icebergs.

Quelques décennies plus tard, la théorie s’est rapprochée du terrain d’expérimentation, avec plus de motivation que jamais. Les icebergs flottant librement n’étant pas protégés par le traité de l’Antarctique, la porte est ouverte aux aspirants récolteurs de glace qui souhaitent s’emparer des richesses inexploitées d’eau douce flottant dans l’océan Austral.

Les difficultés rencontrées par les distributeurs et les effets cumulés de la pandémie de COVID-19 ont conduit M. Qureshi à abandonner la récolte de glace et à fermer les portes de Svalbardi. Lorsqu’on lui a demandé s’il pensait que le remorquage d’icebergs depuis l’Antarctique serait un jour économiquement viable, il s’est montré sceptique.

« Les gens n’arrêtent pas d’en parler, mais il y a beaucoup de friction dans l’eau, la fonte (…) c’est cher », a-t-il dit, notant que les alternatives seraient probablement toujours plus attrayantes pour les investisseurs.

Il a toutefois reconnu la valeur et l’ironie malheureuse d’une ressource aussi essentielle, piégée juste hors de portée.

« Je ne sais pas si cette solution sera un jour viable, mais d’un point de vue macroéconomique, le monde est confronté à un grave problème : la majeure partie de l’eau se trouve à l’extrême nord ou à l’extrême sud », a-t-il dit. « Or, la plupart des gens vivent plus près du centre. »

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