«Le rôle des adultes est de protéger les enfants à l’école et de leur permettre d’être dans les meilleures conditions pour apprendre»

Par David Vives et Ludovic Genin
26 septembre 2023 14:53 Mis à jour: 15 novembre 2023 05:47

Dans un baromètre publié avec l’Ifop début septembre, l’association SOS Éducation donne la parole aux parents d’élèves sur le niveau d’instruction et de sécurité à l’école. Face aux violences et au harcèlement scolaire, les parents font le constat que l’école n’est plus un sanctuaire pour leurs enfants et que les problèmes de violence entravent l’apprentissage des enfants. Pour essayer d’en comprendre les raisons, Sophie Audugé, déléguée générale de l’association SOS Éducation, a répondu à nos questions.

EPOCH TIMES : Que disent les chiffres du dernier baromètre auprès des parents d’élèves du primaire et du secondaire sur la sécurité et le niveau d’instruction ?

Sophie AUDUGÉ : Dans cette enquête, on interroge les parents qui ont eu des enfants en primaire ou en secondaire au cours de l’année scolaire 2022-2023. Ils sont plus de 70% à nous dire qu’ils considèrent que les conditions de sécurité se sont dégradées depuis les 10 dernières années.

On a voulu vérifier ensuite s’il pourrait s’agir d’un sentiment d’insécurité et si leur enfant avait été concerné par un acte de violence. On a identifié cinq typologies de violence dont pouvaient être victimes les enfants à l’école. La première étant la violence verbale, ensuite les violences physiques, le harcèlement bien sûr, les violences concernant les dégradations de biens et enfin les agressions sexuelles.

Les chiffres nous ont particulièrement surpris puisque on a un enfant sur deux qui a été victime dans l’année scolaire d’un de ces 5 types de violence. Ce qui nous a encore plus surpris, c’est que ces chiffres sont beaucoup plus importants dans les réseaux d’éducation prioritaire, puisque plus de deux enfants sur trois y ont été victimes d’un de ces actes de violence.

Pouvez-vous détailler ces actes de violence dans les zones d’éducation prioritaire et non-prioritaire ?

Sur ces différents actes de violence, on constate que si l’on prend les agressions sexuelles, nous avons 9% des enfants qui en sont victimes dans les zones d’éducation non-prioritaire. Ces chiffres atteignent presque 50% en réseau d’éducation prioritaire.

Si on prend le harcèlement, on a également des différences importantes, puisque c’est 28% des enfants qui sont touchés dans les établissements lambda, pour atteindre 56% en réseau d’éducation prioritaire. C’est très important pour nous à signaler, puisque l’on voit qu’il y a une violence endémique qui a pris une place très importante dans la société. Cette violence  ne devrait pas entrer dans l’école.

Pour nous, le plus grand défi du ministre de l’Éducation nationale est de régler ce problème de violence, de régler le problème de la sécurité dans les établissements scolaires français. On ne voit pas comment les enfants peuvent apprendre dans un environnement aussi violent. C’est vraiment pour nous un défi majeur puisque l’on sait très bien que l’influence des réseaux sociaux, l’hyper-sexualisation, l’hyper-violence, une approche sur-consumériste font que les enfants n’ont plus de limites. On découvre avec stupéfaction que cette violence commence aussi de plus en plus tôt chez les enfants, on a des retours du terrain qu’on a des actes de violence, des insultes ou d’agressions sexuelles de plus en plus tôt dès la maternelle et dès la primaire.

Cette violence s’explique par un monde qui est de plus en plus violent. Sur les réseaux sociaux – les enfants sont de plus en plus sur les téléphones, la violence est banalisée. Beaucoup de professionnels de la santé nous alertent de la déshumanisation de la jeunesse, qui n’a plus conscience de la violence et de l’impact qu’elle a sur les autres.

Parmi tous les chiffres présentés dans le baromètre, s’il y avait un seul à retenir ?

72 % des parents considèrent que la sécurité dans les établissements scolaires s’est dégradée. Ce qui est, pour nous, très important, c’est la défiance des parents d’élèves envers le gouvernement et le ministre de l’Éducation nationale.

On voit bien que la confiance est rompue, puisqu’on a 69 % des parents d’élèves qui n’ont pas confiance envers le gouvernement ou le ministre de l’Education nationale pour enrayer le problème de violences à l’école.

Ensuite, ils sont 68 % à considérer qu’ils ne seront pas capables non plus d’enrayer le problème du niveau scolaire. Les deux missions de l’école – instruire dans un cadre sécurisé – ne sont aujourd’hui pas assurées par l’école publique française.

Et que nous dit la baisse du niveau scolaire de la France au classement PISA ?

La baisse du niveau en France est mesurée très régulièrement par les enquêtes PISA. On sait que depuis une quinzaine d’années, le niveau en France s’est fortement dégradé. Ce qu’on constate, c’est que la perception des parents sur le niveau scolaire ne cesse de se dégrader.

C’est notre troisième baromètre sur l’éducation et cette enquête fait le bilan sur les six années de présidence d’Emmanuel Macron, sur les gouvernements qu’il a mis en place et les trois ministres de l’Éducation nationale. Pour les parents, il n’y a eu aucune amélioration, cela veut dire que tout ce qui a été entrepris n’est pas visible en termes de résultats.

Quand on interrogeait les parents sur leur satisfaction par rapport aux enseignements de leurs enfants, les parents trouvaient, il y a quelques années, que ce que l’Éducation nationale proposait en maternelle était très bien, il n’y avait quasiment rien à redire. Là, on commence à voir des parents qui, dès la maternelle, nous disent que ça ne leur convient pas. Et en primaire, c’est la même chose, on a pour la première fois une baisse importante de la satisfaction des parents sur l’enseignement qui est transmis à leur enfant en primaire.

Le maillon faible du système, c’est le secondaire, où on a 15% de satisfaction en moins concernant le collège en l’espace de quatre ans. Au lycée, c’est 13% en deux ans. On voit bien qu’il y a une insatisfaction grandissante de la part des parents d’élèves.

Est-ce que les parents pensent qu’il faudrait enseigner autrement, qu’il y ait plus d’enseignants ou qu’il manque de qualifications ?

96% des parents demandent le retour de l’autorité au sein des enseignements. On voit que c’est complètement trans-partisan, quelque soit le bord politique.

Les parents ont le sentiment que les fondamentaux ne sont pas assez enseignés, qu’ils ne sont pas assez maîtrisés. Ils ont le sentiment que l’on perd du temps dans des enseignements qui ne sont pas des enseignements fondamentaux et qui ne font pas partie du socle de connaissance et de savoir dont un enfant a besoin pour bien faire ses études et choisir le métier qui lui plaira demain.

Ils ont le sentiment que la mission d’instruction de l’école n’est pas remplie. C’est un point important. Les parents nous rappellent que l’école est là pour instruire les enfants et non pour éduquer. Ils demandent à l’école qu’elle remplisse cette mission d’instruction et aujourd’hui ils ont le sentiment que ce n’est pas le cas.

Quand on leur présente des réformes, on voit que les parents sont très massivement déterminés à ce qu’il y ait une reprise de l’autorité des enseignements, une reprise de l’autorité des enseignants, ils reprochent qu’il y ait une impunité dans l’école, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de sanctions.

Ils reprochent également qu’on ait cessé de faire des redoublements. Le redoublement n’est pas qu’une sanction, ça peut être aussi un projet éducatif et pédagogique pour un enfant. Aujourd’hui, on voit les limites de faire passer les enfants d’une classe à l’autre, même s’ils n’ont pas le niveau. Ce n’est pas un service à rendre à l’enfant, au contraire, parce qu’on le fait passer de classe en classe, alors que les connaissances ne sont pas acquises. Finalement, il se retrouve en difficulté à l’université ou même lors de sa formation professionnelle.

Vous parlez d’un abandon des enfants qui n’ont pas le niveau ?

À partir du moment où vous avez un enfant qui ne réussit pas et que vous le laissez passer d’une classe à l’autre sans qu’il ait le niveau acquis, cet enfant ne pourra pas acquérir ce qui lui est indispensable, c’est-à-dire la maîtrise de la lecture, la maîtrise de l’écriture, la maîtrise du sens et de l’analyse.

À partir de ce moment-là, comment voulez-vous qu’il puisse se développer, même dans une formation professionnelle ? Aujourd’hui, on dit que la formation professionnelle en France va très mal. Elle va très mal, parce qu’on y engouffre des enfants qui n’ont même pas acquis des bases du “lire, écrire et compter”. Si vous devenez demain menuisier, maçon ou coiffeur, c’est impératif d’avoir des connaissances en économie, en calculs, en marketing, en communication, etc. Comment voulez-vous que ces enfants, qu’on a envoyés dans des voies de garage, puissent se réaliser dans des métiers comme cela ?

Il y a effectivement urgence à redonner leur place aux savoirs fondamentaux et à exiger qu’il n’y ait pas un enfant qui quitte le primaire sans avoir maîtrisé ces fondamentaux-là. Le rôle des adultes, c’est de protéger les enfants dans l’école et de leur permettre d’être dans les meilleures conditions pour apprendre. Et aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, on a la moitié des enfants qui quittent le primaire sans savoir lire, écrire et compter parfaitement.

Est-ce que vous êtes optimiste sur la capacité du gouvernement à mettre en place des chantiers pour redonner la place aux savoirs fondamentaux ? 

Avec SOS Éducation, nous ne sommes pas du tout optimistes, parce que l’on voit qu’on se perd dans des réformes, qui deviennent finalement des réformettes, et qu’on ne restructure pas le système dans sa globalité.

Il y a deux priorités aujourd’hui à l’école: instruire et sécuriser. L’intégralité des moyens financiers et humains du ministère de l’Éducation nationale devrait être consacrée à ces deux missions-là. Ce n’est certainement pas à rajouter des réformettes, à faire des tests sur l’uniforme à un endroit et pas aux autres. On a aujourd’hui besoin de revenir à des préceptes qui sont très simples, et voir comment on les met en œuvre.

On voit aussi une fuite des professeurs car ils sont mal payés et mal considérés. Leurs conditions de travail doivent être intégralement revues. On a une sur-représentation des femmes dans le métier d’enseignement, pas que parce que ce sont particulièrement les femmes qui veulent plus faire ce métier-là, mais parce que ce sont des métiers qui sont mal payés. On a énormément d’absence de professeurs ce qui veut dire que des enseignements ne sont pas délivrés. Certains parents pourront le compenser en payant des cours particuliers, mais tous les autres passent entre les mailles du filet, et c’est absolument inadmissible.

Propos recueillis par David Vives

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