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Le vol qui fit de « La Joconde » le tableau le plus célèbre du monde
Le vol de la « Joconde » fut considéré comme l’un des plus grands cambriolages dans le monde de l'art du XXᵉ siècle. En 1911, un modeste peintre en bâtiment italien dérobe la Joconde au Louvre. Son geste, né d’un mélange de patriotisme et de naïveté, bouleversera à jamais le destin du chef-d’œuvre de Léonard de Vinci.

Des officiels se rassemblent autour de La Joconde de Léonard de Vinci après son retour à Paris, le 4 janvier 1914. Le tableau avait été volé au Louvre en 1911 par Vincenzo Peruggia.
Photo: Paul Thompson/Getty Images
Chaque année, des milliers d’amoureux de l’art affluent vers le célèbre musée parisien du Louvre. Si on leur demande ce qu’ils sont venus admirer, la majorité répondra sans hésiter : le portrait de La Joconde (également appelé « Mona Lisa ») peint par Léonard de Vinci au XVI siècle.
Ce petit tableau, étonnamment modeste par sa taille, est depuis longtemps entouré de mystère. L’identité de la femme représentée reste matière à débat. La plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’il s’agit de Lisa del Giocondo, épouse de Francesco del Giocondo, un riche marchand de soie.
Léonard aurait commencé le tableau vers 1503 et y aurait encore travaillé en 1517. Certains avancent toutefois qu’il pourrait s’agir d’une vision idéalisée de la féminité selon l’artiste.
La Joconde n’était pas mondialement célèbre avant d’être volée, près de quatre siècles plus tard, en 1911. Le voleur s’appelait Vincenzo Peruggia, et c’est son geste audacieux qui fit entrer le tableau dans la légende.

La Joconde, 1503–1519, par Léonard de Vinci. Huile sur bois de peuplier ; env. 79,4 cm × 53,3 cm. Musée du Louvre, Paris. (Michel Urtado / Musée du Louvre)
La naissance d’un voleur
Vincenzo, de son vrai nom Pietro Vincenzo Antonio Peruggia, naquit à Dumenza, dans la province de Varèse, en Italie, en octobre 1881. Jeune homme, il devint peintre – non pas artiste, mais peintre en bâtiment. Il avait sans doute un certain talent pour l’imitation des matières et les effets décoratifs, mais il n’était en rien un artiste à la manière de Léonard.
La région de Lombardie, au nord de l’Italie, où se trouve Dumenza, était alors très pauvre. La prospérité de la Renaissance avait disparu, éclipsée par l’empire français. Napoléon avait conquis l’Italie, emportant à Paris nombre de ses trésors artistiques. Même après la chute de l’empereur, la France prospérait tandis que Dumenza dépérissait. En 1908, Peruggia partit tenter sa chance à Paris.
Il trouva d’abord du travail comme peintre en bâtiment. À l’époque, les ouvriers préparaient eux-mêmes leurs peintures, en mélangeant pâte de plomb et huile de lin – une combinaison toxique. En 1908, Peruggia fut victime d’une grave intoxication au plomb, qui le laissa incapable de travailler et l’obligea à être hospitalisé. Toujours animé par le rêve de faire fortune, il fut embauché ensuite par la maison A. Gobier, une importante entreprise de peinture et de décoration parisienne.
Là, il travailla surtout comme vitrier, chargé de découper et poser des vitres. L’un des clients de Gobier était le Louvre, où l’entreprise réparait les verrières et autres installations. En 1907, après que deux chefs-d’œuvre – L’Hiver (Le Déluge) de Nicolas Poussin et Pie VII dans la chapelle Sixtine de Jean-Auguste-Dominique Ingres – eurent été lacérés par des déséquilibrés, le musée décida de faire protéger 1 600 tableaux sous verre. Peruggia faisait partie des cinq employés autorisés à effectuer ce travail minutieux, ce qui lui donnait un accès privilégié à La Joconde.

L’Hiver (« Le Déluge »), 1660–1664, par Nicolas Poussin. Le 9 juillet 1907, un déséquilibré lacéra la toile de sept coups de couteau. Musée du Louvre, Paris. (Stéphane Maréchalle/Musée du Louvre)

Pie VII dans la chapelle Sixtine, 1800–1825, par Jean-Auguste-Dominique Ingres. Huile sur toile. En 1907, une femme sans emploi nommée Valentine Contrel attaqua l’œuvre avec une paire de ciseaux. Musée du Louvre, Paris. (Philippe Fuzeau/Musée du Louvre)
Des années plus tard, le cinéaste Joe Medeiros fut fasciné par cette histoire. Il retrouva des descendants de Peruggia, dont sa fille de 84 ans, Celestina, et réalisa en 2012 le documentaire The Missing Piece: Mona Lisa, Her Thief, the True Story (« La Joconde a disparu« ) retraçant cette affaire méconnue. Grâce à des lettres adressées par Peruggia à son père, à des archives judiciaires et à des témoignages familiaux, il fit émerger un portrait tragique : celui d’un homme marqué par la pauvreté, affaibli par le plomb, mais rêvant d’apporter la prospérité aux siens.
Dans une lettre à son père, il écrivait que « sa fortune finirait par lui sourire ». Mais le plomb endommage le cerveau : il altère le jugement, accroît l’agressivité et affaiblit la raison. Il est probable que cette intoxication ait profondément affecté Peruggia. Avant même de travailler chez Gobier, il avait eu plusieurs démêlés avec la justice – peut-être dus à ce manque de discernement.
Un jour, il tenta d’empêcher des garçons de voler des tuyaux en terre cuite ; l’un d’eux tomba, et c’est lui qu’on accusa de vol. Une autre fois, il fut arrêté pour port de couteau et absence de papiers d’identité. Rien de tout cela ne l’empêcha pourtant d’être embauché chez Gobier, entreprise chargée de protéger les trésors nationaux.
Au Louvre, Peruggia fut victime de brimades de la part de ses collègues français. Les Italiens, alors nombreux en France, subissaient un fort mépris social. Il découvrit aussi pourquoi tant d’œuvres italiennes trônaient au Louvre : au début du XIXᵉ siècle, Napoléon avait pillé les musées italiens, emportant plus de 600 œuvres, dont à peine la moitié fut restituée après sa chute.
Fierté nationale ou appât du gain ?

Photo d’identité judiciaire de Vincenzo Peruggia, l’Italien qui vola La Joconde au musée du Louvre, à Paris. (Domaine public)
Peruggia imagina alors un plan. Certains pensent qu’il fut guidé par le patriotisme, d’autres par la promesse d’une récompense financière – sans doute les deux. Son idée : voler une œuvre italienne afin de la « rapatrier », tout en espérant en tirer profit. Son plan était bien pensé : il choisit une toile de petite taille, une peinture de Léonard de Vinci alors relativement méconnue.
Après avoir quitté Gobier pour redevenir peintre en bâtiment, il conserva sa blouse de travail. Sachant que le Louvre fermait le lundi pour le nettoyage, il s’y présenta le 21 août 1911, vers 7 heures du matin, vêtu de sa blouse blanche. Le musée ne comptait qu’une poignée de gardiens ce jour-là, et il n’était pas rare que des œuvres soient déplacées pour être photographiées.
Peruggia entra dans la salle où se trouvait La Joconde et l’ôta de ses crochets, conçus pour permettre une évacuation rapide en cas d’incendie. Il retira la peinture de son cadre, enveloppa le panneau dans sa blouse, et sortit simplement du musée, sans être inquiété.

L’emplacement vide, avec les crochets de fer apparents, où La Joconde était accrochée dans le Salon Carré du Louvre. (Domaine public)
Quand le vol fut découvert, le Louvre ouvrit une enquête. Qui avait pu faire cela ? On soupçonna même Pablo Picasso, un habitué du musée, ainsi que le peintre Louis Béroud, fasciné par le tableau. Des milliers d’affiches furent diffusées, et la presse du monde entier relaya l’affaire. Le Washington Post publia même la nouvelle avec la mauvaise image ! L’enquête piétina, et le mystère fit naître une légende.
Peruggia attendit plus de deux ans avant de quitter Paris, le temps que le tumulte se calme. Il confia à un parent qu’il cachait La Joconde sous une nappe, sur la table de son modeste logement. Ironie du sort : un policier vint perquisitionner son appartement et rédigea probablement son rapport… sur la table même où reposait le tableau volé.
Peruggia fabriqua ensuite une caisse à double fond, y plaça la peinture et y rangea par-dessus ses vêtements et outils avant de rentrer en Italie. À Florence, il tenta de la revendre au galeriste Alfredo Geri, persuadé qu’il serait récompensé pour avoir « restitué » un trésor national. Il fut arrêté sur-le-champ. Condamné à sept mois de prison, il fut libéré plus tôt pour cause d’aliénation mentale.
Redevenu Pietro, il se maria, retourna vivre en France et eut une fille, Celestina. Toujours malade, il mourut un an plus tard, à 44 ans.
Ironie du destin, Peruggia partageait un point commun avec Léonard de Vinci : tous deux terminèrent leurs jours en France. Léonard fut au service du roi François Ier, qui, selon certains biographes, aurait tenu le peintre dans ses bras à l’heure de sa mort. La Joconde, elle, fut achetée directement à Léonard par le souverain, et donc acquise légitimement.
Après sa récupération, le tableau fut exposé quelque temps en Italie avant de retrouver le Louvre. C’est en grande partie grâce à Vincenzo Peruggia que le tableau jouit aujourd’hui d’une renommée mondiale. Chef-d’œuvre de douceur et d’innovation picturale, il est devenu, par le scandale de son vol, le symbole universel de la peinture de la Renaissance.
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