L’effet Lucifer ou comment ne pas se laisser influencer par un environnement négatif

17 octobre 2016 10:03 Mis à jour: 4 mai 2017 19:24
 «Le monde est un endroit dangereux, non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et ne font rien»

 – Albert Einstein

« Pris dans une situation qui menace notre survie, nous cherchons  le moindre signe d’espoir — le moindre indice que notre  situation peut s’améliorer. Quand un criminel a envers sa victime un petit geste de gentillesse, même si le geste est intéressé, la victime le voit comme un trait positif de la personnalité du geôlier. Lors de prises d’otage criminelles ou à la guerre, le simple fait de garder en vie la victime est souvent suffisant pour provoquer cette interprétation », écrit le Docteur Joseph M. Carver dans son article Love and Stockholm Syndrome: The Mystery of Loving an Abuser.

À l’exemple de nombreux otages des FARC (Forces armées Révolutionnaires de Colombie), ou de la célèbre Patty Hearst (héritière d’un magnat de la presse) après qu’elle ait été enlevée par l’Armée de Libération Symbionaise (ALS), certaines otages, développent un état psychologique connu sous le nom de syndrome de Stockholm – en référence à un événement d’ août 1973 survenu en Suède où des criminels ont gardé des otages dans la banque Kreditbanken de Stockholm pendant six jours.

Quand la police est venue pour libérer ces personnes retenues depuis 131 heures qui avaient subi des menaces violentes et des mauvais traitements, ces otages ont eu peur des forces de l’ordre. Ils en étaient venus à croire que leurs ravisseurs les protégeaient de la police. Plus surprenant encore, une des otages s’était fiancée à son ravisseur tandis qu’un autre a aidé les criminels à se défendre lors de leur procès.

Un tel comportement semble déphasé dans pareilles situations. Qu’est-ce qui peut bien pousser  un individu à soutenir ou même à protéger son ravisseur? Selon la psychologie moderne, l’explication la plus rationnelle du Syndrome de Stockholm réside dans la peur naturelle que les victimes développent du fait des risque physiques auxquels elles sont exposées, ce qui crée une soumission totale à leurs ravisseurs. Dans ces conditions, la victime restructure son système de valeur dans la confusion, allant jusqu’à défendre inconsciemment les objectifs de son ravisseur.

L’expérience de Milgram

Certains, comme le Docteur Carver, croient que les symptômes du Syndrome de Stockholm peuvent se développer également dans des relations interpersonnelles violentes, telles celles de femmes battues qui refusent de porter plaintes contres leur conjoints violent, malgré des années de violences psychologiques et physiques. Si de pareilles circonstances n’arriveront pas à la majorité d’entre nous, d’autres situations impliquant une puissante figure d’autorité peuvent toujours provoquer des comportements inattendus.

L’expérience de Milgram, un test psychologique développé en 1961 par un scientifique  de ce nom, a choqué la communauté scientifique à cause de ses implications pour les individus dits mentalement stables.

Une année après l’exécution d’Adolf Eichman, lieutenant-colonel nazi et élément actif de la shoah, Stanley Milgram s’est demandé comment c’était possible pour des personnes mentalement stables, voire pacifiques, de se pervertir au point de participer à un génocide.

Avec cette idée en tête, Milgram a recruté de nombreux volontaires, mentalement sains, pour faire un test. Le sujet  appelé «enseignant», devait administrer des décharges électriques à un autre sujet appelé «apprenant», chaque fois que ce dernier donnait des réponses inexactes à une question. À chaque réponse incorrecte, la  décharge électrique serait plus forte et les cris et les supplications de l’apprenant correspondraient à l’intensité croissante de la  décharge électrique. On a dit aux enseignants qu’ils aidaient à développer un nouveau système d’apprentissage, mais ils ne savaient aucunement que les chocs électriques qu’ils administraient étaient fictifs, ni que l’apprenant était un acteur professionnel.

Représentation schématique de l'expérience de Milgram. L'instructeur (A) donne les instructions à l'enseignant (E) d'administrer des chocs électriques de plus en plus forts à l'apprenant, jusqu'à 450 volts. (Wikimedia Commons)
Représentation schématique de l’expérience de Milgram. L’instructeur (A) donne les instructions à l’enseignant (E) d’administrer des chocs électriques de plus en plus forts à l’apprenant, jusqu’à 450 volts. (Wikimedia Commons)

Malgré les cris de douleur de l’élève, l’enseignant a continué à administrer des chocs de plus en plus douloureux. Bien qu’au départ la majorité des 40 psychologues évaluant le projet aient prévu qu’aucun des enseignants ne continuerait l’expérience au delà de 150 volts, deux personnes sur trois des participants, obéissants aveuglements aux injonctions de l’expérimentateur « que l’administration des chocs électriques devait continuer », ont appliqué le voltage maximum possible — soit 450 volts.

L’expérience de Milgram a soulevé des questions effrayantes : une personne apparemment normale peut-elle développer une personnalité sadique lorsque son environnement est malsain ? Et cette faiblesse de l’esprit est-elle un trait partagé par tout le monde ?

Aux ordres de  l’Officier Scott 

Ce phénomène a connu une illustration frappante dans les années 1990  lorsqu’un personnage du nom de «l’Officier Scott» a commencé à appeler des restaurants (fast food) aux États-Unis. Feignant d’être un policier local et  en possession d’informations clefs sur chaque restaurant — comme les noms des directeurs, les surveillants et les employés — l’officier Scott arrivait à pousser les gens à adopter des comportements scandaleux.

Après s’être présenté au téléphone à un McDonald dans le New Hampshire, par exemple, l’officier Scott a accusé une  nouvelle employée d’avoir volé un porte-monnaie. Il a demandé à la directrice adjointe d’appeler la jeune femme dans  son bureau. La directrice adjointe, obéissant docilement à la voix au téléphone, l’a appelée et a fermé la porte. On lui a ordonné de dépouiller la jeune femme de tous ses vêtements sauf son tablier, pour trouver trace de l’objet prétendument volé. L’officier Scott avait convaincu la directrice adjointe qu’il avait la direction de McDonald sur l’autre ligne, ainsi que le directeur durestaurant. La directrice adjointe a même cru avoir entendu les radios de la police en l’arrière-fond,  ce qui ajoutait à  l’authenticité apparente de l’histoire.

Dans les douzaines d’autres cas impliquant des restaurants à travers le pays entre 1995 et 2005, les demandes de l’officier Scott sont devenues de plus en plus terribles, et pourtant ses victimes, ont suivi ses ordres systématiquement. Convaincues qu’elles suivaient les instructions d’un policier réel, beaucoup de victimes de l’officier Scott ont dû répondre d’accusations de sodomie, de viol et d’autres crimes, des mois plus tard devant la justice. D’autres victimes de l’officier Scott ont vu leurs conjoints demander le divorce après avoir vu les enregistrements vidéo qui montraient les conséquences de ces conversations téléphoniques.

La directrice d’un des restaurants s’est même laissée convaincre de se déshabiller devant un client que son interlocuteur lui a dit être un possible délinquant sexuel. L’officier Scott a promis que la police débarquerait aussitôt et arrêterait le client dès qu’il essaierait de  l’agresser. La directrice fut étonnée de ne jamais voir la police arriver.

Les  officiers de police — les vrais — soupçonnaient l’officier Scott d’appeler depuis le trottoir d’en face des restaurants, en utilisant des jumelles. Ils se sont rendus compte plus tard qu’il s’agissait d’un maître escroc. Les employés des restaurant qui ont parlé à l’officier Scott ont dit qu’il était exceptionnellement convaincant et parlait d’une voix calme et autoritaire comme un vrai policier. Il en savait énormément sur les endroits qu’il appelait et utilisait souvent le jargon policier.

Finalement la police a identifié un agent de sécurité comme étant le triste individu « officier Scott » après l’avoir vu sur un enregistrement de sécurité d’un magasin Wal-Mart,  achetant la carte téléphonique utilisée dans ses machinations coercitives. L’avocat d’une des victimes l’a décrit comme « un  phénomène qui se prend pour Dieu ». Et pourtant, malgré ses actions répétées, il n’a jamais été reconnu coupable d’aucun délit.

Pour nombre de spécialistes, durant la révolution culturelle en Chine, beaucoup de Chinois qui ont détruit des monuments sacrés, ou tué les prétendus ennemis du peuple, avaient eu leur personnalité altérée. Ces gens n’étaient plus des individus rationnels, mais des automates dépourvus d’esprit, obéissant totalement à un régime autoritaire.

En République populaire de Chine, la Révolution Culturelle (1966-1976) a conduit à la destruction d'un patrimoine de plusieurs milliers d'années et à la mort de millions de personnes. (Domaine Public)
En République populaire de Chine, la Révolution Culturelle (1966-1976) a conduit à la destruction d’un patrimoine de plusieurs milliers d’années et à la mort de millions de personnes. (Domaine Public)

Mais ce comportement n’est pas une exclusivité du maoïsme chinois. En fait, les dictateurs de par le monde semblent avoir bien compris ce phénomène psychologique et l’ont utilisé à plusieurs reprises à leur avantage. Certains sont capables de contrôler leur population avec une telle habileté que même ceux qui au départ étaient des sceptiques, soumettent sans tarder leur volonté à leur idéologie envahissante et perverse. « L’effet Lucifer » est le nom que Phillip G. Zimbardo donne à ce phénomène.

Dans son livre de 2007  The Lucifer Effect , Ph. Zimbardo explore la transformation d’un individu face à une influence insidieuse.

En 1971, Ph. Zimbardo a conduit l’expérience controversée de la prison de Stanford, dans laquelle des étudiants ordinaires jouaient des rôles de prisonniers ou de surveillants. L’expérience devait durer deux semaines, mais Ph. Zimbardo a dû l’arrêter au bout de seulement six jours parce que « nos gardiens devenaient sadiques, nos prisonniers dépressifs et montraient en plus des signes de stress extrême. »

Il déclare, cependant, que nous pouvons résister aux influences externes indésirables sur notre comportement par des actes  héroïques. « Pour chacun d’entre nous, il y a trois possibilités : être passif et ne rien faire, devenir mauvais, ou devenir des héros. J’admire ces héros anonymes, des gens ordinaires qui font des choses extraordinaire », écrit Ph. Zimbardo.

Après avoir soigneusement étudié à quel point la dégénérescence de la nature humaine peut aller, Ph. Zimbardo en est venu à admirer les individus qui réussissent à tenir ferme leurs principes moraux et font attention aux forces extérieures qui pourraient autrement les pousser à agir contre leur conscience. Ses recherches les plus récentes s’intéressent à ce qu’il appelle « l’imagination héroïque », en l’honneur d’individus qui sont capables de maintenir leur fibre morale dans des situations traumatiques et de s’opposer à des autorités injustes.

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