Opinion
Légalisation du cannabis : « Penser qu’en légalisant on prive le crime organisé de son carburant, est une illusion », prévient François Diot

Photo: Crédit photo : François Diot
ENTRETIEN – La légalisation du cannabis revient très régulièrement dans le débat public. Au début de l’année, les députés Antoine Léaument (LFI) et Ludovic Mendes (apparenté au groupe EPR) proposaient dans un rapport la légalisation de ce stupéfiant, constatant l’échec du « tout répressif ». Pourtant, certains professionnels de santé alertent sur les dangers d’une telle solution. C’est le cas de François Diot.
François Diot est thérapeute spécialisé en conduites addictives et ancien chef de service d’un centre d’accueil pour usagers de drogues. Il ne faut pas choisir entre répression et santé, mais assumer les deux dans une stratégie globale et cohérente, préconise-t-il.
Epoch Times – François Diot, dans le Journal du Dimanche, vous estimez que la légalisation du cannabis est une fausse bonne solution pour ralentir la consommation et perturber le trafic de stupéfiants. Vous prenez en exemple des États qui ont choisi de rendre légale cette drogue pour illustrer votre propos. La légalisation n’a apporté aucun résultat positif dans les pays que vous citez ?
François Diot – Non, bien au contraire. Les chiffres démontrent l’échec de cette politique. Aux États-Unis, dans les États qui ont légalisé le cannabis, la consommation a progressé, notamment chez les jeunes, alors même que l’argument principal de la légalisation était de mieux les protéger. Le Colorado et la Californie, souvent cités en exemple, connaissent une banalisation inquiétante du produit, avec des conséquences sanitaires mesurables : augmentation des hospitalisations, multiplication des troubles psychiatriques liés aux consommations précoces, hausse des accidents de la route liés au THC.
Quant au marché noir, il n’a jamais disparu. En Californie, près de deux tiers du cannabis consommé proviennent encore des réseaux illégaux, qui vendent moins cher et contournent la fiscalité. Au Canada, même constat : la légalisation n’a pas tari le trafic et la consommation globale continue de croître. Les promesses initiales – assèchement du marché noir, recul de la consommation, meilleure protection des jeunes – n’ont pas été tenues. Pire, le message envoyé à la société a contribué à banaliser un produit dont on connaît pourtant les effets délétères, notamment sur le cerveau adolescent.
En réalité, la véritable force du marché noir est de s’adapter sans cesse aux nouvelles contraintes, y compris celle de la légalisation …
C’est exactement cela. Le crime organisé a cette capacité redoutable à transformer chaque contrainte en opportunité. Lorsqu’un État légalise, les réseaux criminels ne disparaissent pas : ils se repositionnent. Ils cassent les prix, proposent des produits plus concentrés en THC, inventent de nouvelles formes de distribution ou se tournent vers d’autres substances plus lucratives.
En réalité, la légalisation ne ferme aucune porte au marché noir, elle en ouvre de nouvelles. Car le marché légal, avec sa fiscalité, ses normes sanitaires et ses restrictions d’âge, crée mécaniquement un espace parallèle où l’illégal prospère. C’est un jeu du chat et de la souris où les trafiquants ont toujours une longueur d’avance. Penser qu’en légalisant on prive le crime organisé de son carburant est une illusion : on diversifie simplement ses sources de revenus.
En même temps, les défenseurs de la légalisation du cannabis affirment que les politiques répressives menées depuis des années n’ont pas permis de ralentir le trafic de drogues. Que leur répondez-vous ?
Je leur réponds qu’il ne faut pas caricaturer le débat. La répression seule n’est pas suffisante, mais elle est indispensable. Là où elle est menée avec constance, elle permet de contenir le trafic, d’affaiblir les réseaux, de marquer des frontières claires entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.
En revanche, si la répression n’est pas accompagnée d’une politique sanitaire ambitieuse, elle atteint vite ses limites. Mais supprimer la répression ou légaliser brouille ce repère fondamental entre licite et illicite. C’est ouvrir la voie à une banalisation encore plus grande. La véritable solution n’est pas de choisir entre le bâton et l’accompagnement, mais de les combiner intelligemment : fermeté à l’égard des trafiquants, prévention et soins à destination des consommateurs en difficulté.
« Une partie du secteur de l’addictologie, financée par le ministère de la Santé, milite activement pour la légalisation », écrivez-vous dans le Journal du Dimanche. N’est-ce pas paradoxal de voir des médecins soutenir cette approche ?
C’est effectivement un paradoxe troublant, et même inquiétant. L’addictologie, parce qu’elle est financée par l’argent public, a une mission claire : prévenir, alerter, soigner. Or, une partie de ses acteurs s’engage ouvertement dans le militantisme en faveur de la légalisation, qui est tout sauf une politique de santé.
Leur rôle devrait être de rappeler la dangerosité du cannabis, en particulier sur le cerveau adolescent, de promouvoir les solutions thérapeutiques qui permettent aux patients de sortir de la dépendance, et non de relayer un discours qui banalise la consommation et valide, de fait, les intérêts économiques de filières criminelles ou commerciales.
C’est une question de cohérence et même de déontologie : quand on reçoit une délégation de service public, on ne peut pas adopter une posture de lobbying. On doit s’en tenir à la mission de soin.
Quelles solutions proposez-vous pour endiguer ce phénomène ?
Il ne faut pas choisir entre répression et santé, mais, encore une fois, assumer les deux dans une stratégie globale et cohérente. D’un côté, renforcer la lutte contre les trafiquants : c’est un enjeu de sécurité publique, mais aussi de souveraineté nationale. Cela suppose des moyens policiers et judiciaires adaptés, une meilleure coopération internationale et une volonté politique ferme de s’attaquer à la criminalité organisée.
De l’autre, bâtir une politique de santé publique ambitieuse. Cela passe par des campagnes de prévention claires, qui ne minimisent pas les risques. Cela suppose d’accompagner les familles, de donner un accès réel à des soins de qualité pour ceux qui veulent sortir de la consommation. Et cela exige aussi de s’attaquer aux causes profondes qui rendent ces produits attractifs : le mal-être adolescent, la perte de repères, l’isolement social.
En somme, il faut envoyer un double signal à la société : aucune complaisance à l’égard du trafic, aucune résignation vis-à-vis des usagers. Car ce que notre politique doit réaffirmer, c’est qu’il est possible de s’en sortir. Qu’il est possible de vivre sans cannabis, sans dépendance, et que l’État est là pour rendre ce chemin accessible à tous.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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